Les six plaies des systèmes d’information

Dans un rapport de plus de 130 pages, la Cour des Comptes a étudié les systèmes d’information de la DGFiP (Direction générale des finances publiques) et de la DGDDI (Direction générale des douanes et des droits indirects). L’analyse met en exergue les six difficultés qui concernent et guettent toutes les DSI.

La Direction générale des finances publiques et la Direction générale des douanes et des droits indirects ont une particularité : au sein de l’État, ces deux directions figurent parmi celles qui utilisent le plus intensément les outils informatiques. Elles représentent ainsi un budget informatique agrégé de 650 millions d’euros et près de 5 500 agents affectés aux systèmes d’information, soit plus du quart des dépenses et effectifs informatiques de l’État, hors ministère des Armées.

Ils sont en outre extrêmement stratégiques : la gestion et la collecte des impôts reposent ainsi sur des applications fiscales adressant des requêtes à de vastes bases de données hébergées par des serveurs. Les circuits de paiement des dépenses, des traitements et des pensions sont aussi intégralement informatisés. Et « en matière de contrôle, qu’il soit fiscal ou douanier, les ciblages résultent de plus en plus fréquemment de croisements et d’analyses de grandes masses de données », souligne la Cour des Comptes.

On imagine que le pilotage de tels ensembles se révèle complexe. Les experts de la Cour des Comptes ont identifié six domaines qui posent problème dans un contexte où, reconnaissent-ils, les systèmes d’information sont gérés « avec sérieux et fiabilité », avec des taux de disponibilité satisfaisants et la responsabilité de chantiers majeurs, tel que le prélèvement à la source.

1. Des systèmes vieillissants, facteurs d’aggravation de la dette technique

Comme beaucoup de systèmes d’information, ceux de la DGFiP et de la DGDDI ont été construits par ajouts de couches applicatives et d’infrastructures, dont certaines remontent aux années 1970. Résultat : la dette technique augmente. Rappelons que la dette technique correspond à l’accumulation de matériels et logiciels obsolètes, parce qu’ils ne sont plus maintenus, les langages de programmation sont dépassés ou que que les versions ne sont plus à l’état de l’art.

Pour la Cour des Comptes, « la multiplication de couches informatiques anciennes conduit à un système d’information non-optimisé entraînant une augmentation des coûts d’exploitation et de maintenance. Au-delà des coûts, la « dette technique » implique aussi de l’inefficacité, des processus redondants et des surcharges de travail occasionnées par une architecture technologique obsolète ou non maîtrisée. »

En 2018, 9 % des applications de la DGFiP étaient considérées comme obsolètes. « La « dette technique » se traduit par un manque d’évolutivité et un risque d’incident. Elle conduit également à accroître le coût d’exploitation du système et mobilise des ressources qui pourraient être utilisées sur d’autres tâches. » La sortie des systèmes obsolètes a mobilisé 10 % des jours/homme en 2018, contre seulement 2 % en 2014.

2. Des budgets en baisse

Les budgets SI des deux directions représentent environ 6,5 % des budgets globaux ce qui, note la Cour des Comptes, est « en retrait par rapport aux organisations comparables. » Contrairement à la DGDDI, le budget de la DGFip a baissé de 8 % entre 2012 et 2017, soit plus que la baisse des budgets globaux (-5 %), en partie du fait de la fusion entre la DGI (Direction générale des impôts) et de DGCP (Direction générale de comptabilité publique). En comparaison, le poids des dépenses IT dépasse les 10 % à Pôle Emploi, les 13 % à la Cnav. Aux Etats-Unis, l’administration fiscale consacre 20 % de son budget global à l’IT.

Cette évolution budgétaire reste sous la contrainte des dépenses en personnel, en exploitation et en maintenance. A la DGFiP, par exemple, 82 % du budget est dédié à l’exploitation et à la maintenance. Cela limite la capacité d’investissement. « Chaque année, la DGFiP consacre entre 10 et 15 % de ses moyens informatiques à de grands projets aux fins de modernisation ou de transformation de pans de son SI. Cette enveloppe, inférieure à celle des organisations comparables, paraît insuffisante pour assurer sa transition numérique et lui permettre de figurer parmi les administrations les plus performantes en la matière au sein de l’OCDE », note la Cour des Comptes.

3. Un manque de souplesse et d’agilité dans l’organisation et la gouvernance

A la DGFiP, la gouvernance apparaît comme « lourde » avec une dispersion des moyens sur le territoire. On trouve ainsi cinq niveaux de gouvernance (comité stratégique et de pilotage). Si ce mode d’organisation permet de segmenter le pilotage, notamment financier, il nécessite néanmoins des efforts de coordination entre les différents niveaux. « La lourde comitologie en place absorbe ainsi des ressources importantes, notamment entre septembre et novembre, mois durant lesquels plusieurs centaines de réunions sont organisées afin de planifier l’activité de l’année suivante », remarque la Cour des Comptes. D’où une certaine rigidité de la gouvernance.

4. Une conduite de projet à professionnaliser

Dans le domaine de la gestion de projets, les dépassements de budgets et de délais révèlent un manque de maîtrise. Ainsi 90 % des grands projets ont dépassé les coûts d’en moyenne 65 %. Côté délais, « de nombreux projets connaissent des retards importants sans que l’ampleur et les raisons de ces retards ne puissent être objectivées », déplore la Cour des Comptes.

En fait, de très nombreux projets sont gérés par de très nombreux acteurs, avec plus de 300 à la DGFiP pour un parc de 760 applications et environ 100 à la DGDDI pour un parc de 198 applications. Les approches de gestion de projet reposent essentiellement sur des cycles en V, dont on connaît les inconvénients, notamment pour réagir aux dérives par rapport aux attentes initiales, prendre en compte l’expression des besoins et des retours d’expérience.

5. Des difficultés de recrutement

A la DGFiP, les effectifs sont orientés à la baisse, de 13 % entre 2013 et 2018, essentiellement pour des métiers peu qualifiés. Mais, dans les deux directions, le recrutement s’avère difficile : ainsi, à la DGFiP, près de 35 % des postes de programmeurs ouverts au concours des 3 dernières années n’ont pas été pourvus.

Ce chiffre s’élève à 80 % à la Douane pour les postes d’informaticiens en 2018. À la DGDDI, des postes de cadres informaticiens sont vacants depuis plus de deux ans. Des difficultés liées à un déficit de notoriété et à un marché de l’emploi très concurrentiel, malgré le recours aux contractuels. Et également aux grilles de rémunérations, moins avantageuses dans le secteur public, et des évolutions de carrière lentes.

6. Un manque de vision stratégique

La vision stratégique est indispensable pour garantir une certaine cohérence du système d’information et dans les actions entreprises. Or, souligne la Cour des Comptes, « depuis sa création en 2008, la DGFiP ne s’est jamais dotée de documents stratégiques en matière informatique, considérant que l’accélération des évolutions réglementaires et technologiques rend vaine toute démarche de planification. Cette pratique apparaît singulière au regard des organisations comparables. »

Les orientations du SI font l’objet d’une simple « note stratégique » élaborée une fois par an : « Elle contient des instructions de méthode et de calendrier, mais ne définit pas de priorités stratégiques. Elle constitue néanmoins le principal document de pilotage de l’activité SI. »

Pour la Cour des Comptes, cette situation constitue une « incongruité », d’autant que les responsables des trois principaux services impliqués dans le SI ne partagent pas les mêmes priorités. Et qu’à l’étranger, les quatre administrations fiscales étudiées par la Cour des Comptes disposent toutes d’un plan stratégique en matière de SI, aligné sur les priorités stratégiques de l’organisation. « Dans chacun des cas, ces plans explicitent clairement les objectifs à atteindre, les moyens alloués et les gains attendus des investissements programmés. »

Comment faire pour accroître la performance d’un système d’information
Objectifs Principes stratégiques Comment faire ?
Définir une stratégie de transformation Afficher une stratégie claire, ambitieuse et contractualisée de la transformation numérique
  • Se doter de plans de transformation clairs, ambitieux et contractualisés
  • Faire explicitement du numérique un levier d’efficience
  • Faire du numérique un facteur d’amélioration de la qualité de service
Définir des stratégies informatiques pluriannuelles
  • Planifier, organiser et hiérarchiser les évolutions des SI
  • Résorber la « dette technique »
Accroître la performance des services informatiques Rendre l’organisation et le pilotage plus fluides
  • Fluidifier la gouvernance
  • Mieux connaître les coûts IT
  • Rationaliser les services d’assistance de proximité
Rénover les méthodes de conduite de projet
  • Développer les méthodes « agiles »
  • Mieux piloter les coûts et les délais
Rendre plus souple et plus prospective la gestion des ressources humaines
  • Innover dans les modalités de recrutement
  • Élaborer une politique des ressources humaines plus prospective
Source : Cour des Comptes.