Le 19 septembre 2013 était organisé à l’initiative du Cercle des Décideurs Numérique et Santé un colloque consacré à l’ouverture des données de santé. Les enjeux mais aussi les écueils possibles ont été examinés par les différents intervenants.
L’ouverture des données publiques est depuis quelques années particulièrement à l’honneur. Dans un domaine comme la Santé publique, à la fois sensible et soumis à de forts enjeux, le mouvement est en cours, mais les choses évoluent lentement. Au cœur du viseur, la grande base de données de l’Assurance Maladie, le SMIIRAM, créé en 1998 et mis en place progressivement depuis 2004, mais pas seulement. « Il existe une grande diversité de bases dans le domaine de la Santé, certaines appartenant à des organismes publics et d’autres à des acteurs privés », a rappelé Christian Babusiaux, président de l’Institut des Données de Santé (IDS), citant par exemple celles du réseau de pharmacies Celtipharm ou de Cegedim.
Plusieurs groupes d’acteurs sont partisans d’une plus grande ouverture de ces données : dans la sphère publique, c’est notamment le cas des chercheurs, qui peuvent aujourd’hui accéder à travers l’ISD à un certain nombre de bases dont celles du SNIIRAM, mais en étant limités pour la plupart à des données agrégées ou à des extractions soumises à autorisation préalable de la CNIL. L’accès exhaustif aux données anonymisées est quant à lui réservé à un petit nombre d’acteurs, comme les médecins des Agences Régionales de Santé ou l’Institut de Veille Sanitaire. Du côté des acteurs privés, les laboratoires pharmaceutiques militent sans surprise pour une plus grande ouverture, mais aussi des entreprises comme Santéclair, une société spécialisée dans l’analyse du risque Santé, ou le Collectif Interassociatif sur la Santé (CISS), un réseau défendant les intérêts des usagers du système de santé.
Parmi les bénéfices attendus de cette ouverture, la réduction des inégalités en matière d’accès aux soins et l’amélioration de la prise en charge ont souvent été cités dans les débats. Claude Evin, actuellement Directeur général de l’ARS Ile de France, a ainsi mis en avant le besoin de pouvoir « croiser des données sensibles comme le lieu de résidence des patients, afin de pouvoir instruire une véritable politique territoriale de santé ». Un avis partagé par le Professeur Didier Sicard, Président du Comité d’experts de l’IDS et Président d’honneur du Comité consultatif national d’éthique : « Aujourd’hui les politiques de Santé Publique sont élaborées sans disposer de données permanentes et centralisés, c’est un pilotage un peu en aveugle ».
De son côté, Mahmoud Zureik, Directeur de la Stratégie et des Affaires Internationales de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) a insisté sur l’importance de disposer de données « pour diminuer l’incertitude lors de la prise de décision et être en mesure de faire une évaluation correcte des risques liés à l’usage de médicaments ». Marianne Binst, Directrice générale de Santéclair, estime quant à elle que l’ouverture des données liées à la médecine de ville pourrait aider les usagers à « choisir leur médecin en connaissance de cause, évitant par exemple ceux qui prescrivent trop d’antibiotiques ».
Quels garde-fous ?
Si tous les acteurs présents au colloque s’accordaient globalement sur les bénéfices potentiels d’une plus grande ouverture, certains ont mis néanmoins quelques bémols. Sur le plan juridique, maître Nathalie Beslay, avocate, estime que « le cadre légal pour la protection des personnes est adapté et harmonisé au niveau européen ». En revanche, elle observe que c’est davantage le cadre réglementaire d’accès aux données qui fait aujourd’hui débat. « Si celui-ci n’est pas adapté, alors il faut réfléchir à un nouveau cadre, en clarifiant bien de quelles bases et de quelles données il s’agit, mais aussi à qui ces données sont destinées et à quelles fins ».
Dominique Polton, Directrice de la stratégie, des études et des statistiques à la CNAMTS a ensuite évoqué certaines des difficultés qui freinent aujourd’hui l’accès aux données du SMIIRAM : ainsi, les délais longs que rencontrent aujourd’hui les chercheurs s’expliquent notamment par le temps nécessaire pour élaborer des protocoles de recherche et les soumettre à l’évaluation préalable. Par ailleurs, ces données peuvent s’avérer « compliquées à utiliser car il faut une bonne connaissance des conditions de remboursement ». Pour Dominique Polton, « un travail préalable pourrait être nécessaire pour rendre les données plus intelligibles ». Elle souligne également deux risques à prendre en compte : « à partir de ces données, même anonymisées, il est facile d’identifier un individu, surtout une personnalité publique. » Par ailleurs, elle s’interroge sur la question des usages, insistant notamment sur le besoin d’avoir « une expertise indépendante très forte, en particulier si on ouvre l’accès de ces bases aux laboratoires pharmaceutiques. »
Enfin, Jean-Yves Robin, Directeur de l’Agence des Systèmes d’informations partagés (ASIP Santé), a rappelé que l’on était encore « à la veille de la numérisation des données », et qu’il fallait par conséquent « se donner une capacité d’anticipation, ce qui n’est pas simple ». Il a également insisté sur l’importance de « se doter de règles compréhensibles par tout le monde », soulignant une certaine complexité du corpus juridique, « pas toujours aisément applicable ».