Nous sommes dans l’ère de l’iconomie. Michel Volle, économiste et historien lui consacre un ouvrage et la définit de manière suivante : « Société dont l’économie, les institutions et les modes de vie d’appuient sur la synergie de la microélectronique, du logiciel et de l’Internet. »
« Le secteur du numérique n’est certes pas négligeable, mais il importe beaucoup moins que l’informatisation du système productif. » Hélas, affirme l’auteur, nombreux sont ceux qui pensent que l’informatisation appartient au passé. « Notre expérience du terrain les contredit », assène Michel Volle. Selon l’auteur, l’informatique souffre d’un discrédit « dû à une rivalité entre des corporations et à la méfiance des dirigeants envers des personnes qui, possédant une compétence, pourraient leur opposer des arguments qu’ils ne comprennent pas. »
Selon Michel Volle, autant les « industrialistes » qui veulent réindustrialiser la France en s’appuyant sur les composantes du passé (la chimie, la mécanique, l’énergie…), que les adeptes de la « révolution numérique » qui se focalisent sur certains aspects (la génération Y, les conséquences d’Internet sur les médias, par exemple), font fausse route. Deux éléments caractérisent la troisième révolution industrielle, celle de l’informatisation : le cerveau d’œuvre (ressource naturelle inépuisable qui remplace la main-d’œuvre lorsque les tâches répétitives ont été automatisées) et les « automates programmables ubiquitaires » (Internet).
Iconomie, par Michel Volle, Economica-Xerfi, 2014, 227 pages.
L’iconomie se caractérise également par deux phénomènes : c’est une économie à coûts fixes et à risque maximum. « Si tout le travail répétitif est automatisé, le coût marginal sera faible et parfois négligeable, il ne dépend pratiquement plus de la quantité produite ou de la distance parcourue », explique l’auteur. On le constate par exemple pour les microprocesseurs ou les logiciels.
Le fait que les rendements d’échelle sont croissants favorise la création de situations de monopole : dans la mesure où le coût moyen de production des plus grandes entreprises est plus faible parce qu’elles produisent de plus grands volumes, celles-ci peuvent vendre moins cher. Il reste aux challengers à se différencier pour éviter de perdre des parts de marché.
C’est donc un contexte qui crée des situations de risques : il suffit d’une erreur de marketing ou de positionnement pour disparaître, on le voit avec des ex-géants comme Nokia ou RIM. C’est bien sûr une incitation à innover pour pénétrer ou se maintenir sur un segment de marché. De fait, l’iconomie se caractérise par la production de biens et services qui résultent d’assemblage, cela permet notamment de partager les risques.
« Le partenariat remplace la relation entre donneur d’ordres et sous-traitant car lui seul permet la négociation d’égal à égal nécessaire au partage de l’effort de conception », souligne l’auteur. Par ailleurs, l’iconomie consacre la règle du « commerce de la considération ». Pour Michel Volle, « il est en effet pratiquement impossible de faire fonctionner une entreprise où l’essentiel de l’emploi est occupé par le cerveau d’œuvre si l’on néglige ce fait évident : un cerveau ne peut être efficace que s’il sait pouvoir se faire entendre, il se stérilisera à la longue si l’écoute lui est refusée. »
Quand peut-on affirmer qu’une entreprise est parvenue à atteindre la maturité dans l’iconomie ? Pour Michel Volle, si elle respecte deux critères. D’une part, avoir informatisé raisonnablement (tâches répétitives automatisées, processus de travail supervisés, éclairage de la stratégie par le système d’information).
D’autre part, il faut qu’elle soit « organisée et orientée conformément aux exigences de l’iconomie », autrement dit : elle renouvelle l’innovation (produits, services mais aussi processus), ses offres sont des « assemblages de biens et services élaborés par un partenariat autour d’une intermédiation » et les relations « entre les personnes, les spécialités, les partenaires ainsi qu’avec les fournisseurs et les clients obéissent au commerce de la considération, ce qui implique qu’elle ait rompu avec l’organisation hiérarchique », résume l’auteur.
Ce voyage vers l’iconomie se heurte à des freins, en particulier l’attitude des directions générales alors que le système d’information est déterminant pour assurer la qualité des produits, la façon de les fabriquer et pour garantir les relations avec les partenaires. « Que disent les dirigeants français ? L’informatique, c’est de la technique, je n’y comprends rien, la seule chose que je sais c’est qu’elle coûte trop cher », rappelle Michel Volle, pour qui cette posture relève d’une forme d’inconscience.
« Alors que le système d’information est devenu le principal instrument de la stratégie des entreprises, les dirigeants français, pour la plupart, donnent pour seule consigne à leur DSI de réduire le coût de l’informatique. Alors que l’informatisation entraîne une décentralisation des responsabilités, ils refusent de déléguer aux agents opérationnels la légitimité qui leur permettrait de les assumer », ajoute l’auteur, qui plaide pour une « iconomie républicaine » afin d’encourager son émergence en France.