Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à introduire le cloud computing dans leurs projets. En parallèle, l’offre explose. Quatre entreprises ont accepté de partager leur expérience lors d’une table ronde organisée par l’EBG le 31 janvier 2012.
Dans une enquête menée en avril et mai 2011 auprès de 156 entreprises européennes, le cabinet de conseil Deloitte avait constaté que seules 5 % d’entre elles n’avaient pas de projets liés au cloud computing, le premier frein évoqué étant la sécurité.
Alors que les projets se multiplient, les entreprises pionnières tirent les premiers bilans de leurs expériences. Quatre d’entre elles ont accepté de témoigner lors d’une table ronde organisée par l’Electronic Business Group le 31 janvier dernier : le groupe hôtelier Accor, les Pages Jaunes, Quintess, une PME spécialisée dans le marketing relationnel, et V-Trafic, une société diffusant de l’information sur le trafic. À leurs côtés, Patrick Joubert, directeur associé de Beamap, une société de conseil spécialisée dans le cloud computing, et Thierry Dor, avocat à la cour, ont apporté leurs visions des enjeux et des risques associés au cloud computing.
Quintess : réduire le coût et la charge de travail liés aux applications collaboratives
Quintess est un groupe de marketing relationnel qui conçoit et met en œuvre des stratégies de conquête et de fidélisation pour les marques. Il possède quatre filiales, emploie 160 collaborateurs et réalise 32 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel.
Le DSI, Didier Pawlak, s’est retrouvé confronté à un problème que beaucoup de ses homologues connaissent ou ont connu : l’explosion du nombre d’e-mails a perturbé le système de messagerie existant. Les utilisateurs passant énormément de temps sur leur messagerie, l’entreprise a donc décidé d’externaliser celle-ci pour retrouver un niveau de performance acceptable. « Les utilisateurs ont pu ainsi retrouver une boîte performante, avec une capacité de 25 Go, accessible de partout », relate Didier Pawlak.
Pour les équipes de la DSI, le passage à une messagerie sur le cloud a permis de réduire à la fois les coûts et le temps passé en administration. « Mes collaborateurs chargés du parc et du réseau ont pu libérer du temps pour m’aider sur d’autres sujets, comme la mobilité ou une réflexion sur les autres applications externalisables. » L’entreprise étudie notamment le passage à une version cloud de son logiciel comptable. « Aujourd’hui, tout est hébergé dans le centre de données, mais nous étudions chaque nouveau projet sous les deux angles, data center ou cloud. »
Accor : optimiser les services offerts aux clients
Le groupe Accor possède plus de 4 000 établissements hôteliers dans le monde et gère près de 500 000 chambres. Le premier projet de cloud computing du groupe concernait l’affichage d’informations destinées aux clients : dans le secteur de l’hôtellerie, il est en effet obligatoire d’afficher le tableau des prix.
Pour satisfaire à cette obligation, l’entreprise avait mis en place des écrans numériques dans les hôtels, en externalisant le système chargé d’envoyer les messages. « Les écrans étaient utilisés comme des clients légers, toute l’intelligence était sur le cloud », relate Christophe Causero, directeur des achats technologiques du groupe. De cette façon, les équipes opérationnelles ont pu être déchargées de la maintenance. Par ailleurs, cela a également contribué à l’harmonisation et à la rationalisation de l’offre.
Sur le plan financier, les dépenses d’investissement (Capex) sont devenues des dépenses d’exploitation (Opex). « Ce basculement est souvent rentable à court terme, pondère Christophe Causero. À moyen terme, il faut faire attention, et sur le long terme, il ne faut pas hésiter à redimensionner les contrats. En outre, il peut y avoir des coûts cachés très importants avec le cloud computing, liés notamment à la sécurisation et à la qualité de service. » Dans le cas d’Accor, l’affichage des prix étant une obligation légale, l’entreprise doit par exemple prévoir des systèmes de secours en cas de problème sur le réseau.
« Nous ne sommes jamais à l’abri d’une pelleteuse qui arrache les câbles, illustre le directeur des achats technologiques. La dépendance au réseau reste le point faible du cloud computing. » Consciente des limites comme des atouts du modèle, l’entreprise mène d’autres projets, parmi lesquels le déploiement sur le cloud du PMS (Property Management System), système qui permet de gérer les hôtels et la distribution des cartes magnétiques. « Le système est hébergé, mais pas encore en totalité, il faut donc avoir des infrastructures doubles, explique Christophe Causero. Dans certains pays ce n’est pas possible. En raison de ces contraintes, beaucoup d’applications métiers fonctionnent encore en mode dual. »
Pages Jaunes : une flexibilité adaptée au test de nouveaux services
Les Pages Jaunes sont l’un des grands acteurs du marché de la publicité locale en France. Cette société privée emploie 4 500 personnes et réalise plus d’un milliard de chiffre d’affaires. Plus de la moitié de ces revenus proviennent d’Internet, avec des sites comme pagesjaunes.fr, Mappy, A Vendre A Louer ou Keltravo.
Le cloud computing a été utilisé pour UrbanDive, un projet d’innovation porté par Mappy. Il s’agissait d’utiliser un système d’exploration locale, proposant une vue immersive et panoramique des villes et des rues, pour découvrir des services de proximité. Avec ce projet, l’idée était de bâtir un écosystème ouvert, avec de nombreux partenaires.
« Nous sommes partis d’une feuille blanche, relate Jean-François Paccini, directeur technique du pôle Internet des Pages Jaunes. Le contexte était très favorable à une solution de type cloud. En effet, nous ne savions pas quel allait être le trafic, et il était donc difficile de savoir quelle devait être la capacité de l’infrastructure ». Le choix du cloud computing a apporté une grande flexibilité : « Nous avons payé des services de base, comme l’usage de serveurs Linux et l’infrastructure réseau. »
Ce choix s’est avéré pertinent : en effet, deux ans plus tard, l’architecture n’est plus du tout celle imaginée au départ. « Nous avons travaillé sur un mode agile, en démarrant avec un système de base de données que nous avons abandonné par la suite », raconte Jean-François Paccini. Le choix du cloud computing a permis de pouvoir changer d’idée en cours de route, ce qui aurait été difficile avec l’achat de licences coûteuses, choix autrement plus engageant.
L’élasticité de la plate-forme de production hébergée sur le cloud était également un atout : « Cela nous a permis de mettre en ligne une puissance adaptée au trafic réellement constaté : l’ajout et le retrait de serveurs se faisant de manière dynamique, il est aisé de s’adapter à la charge », détaille le directeur technique.
Le groupe a également utilisé le cloud computing pour ses plates-formes de développement. En revanche, ce choix n’est pas envisagé pour les applications très stratégiques : « Quand on a investi depuis longtemps sur l’infrastructure existante et sur les compétences associées, le basculement n’est pas évident, explique Jean-François Paccini.
Dans un tel contexte, l’ajout de ressources représente finalement un coût marginal. » La fréquentation d’UrbanDive étant désormais connue et le service maîtrisé, le groupe envisage même d’internaliser l’infrastructure pour capitaliser sur l’expérience de ses équipes.
Néanmoins, pour Jean-François Paccini, l’intérêt du cloud computing ne se limite pas aux phases de test et de démarrage de services expérimentaux comme UrbanDive. Face à un phénomène en pleine expansion, celui du « big data », le cloud computing ouvre de nouvelles opportunités pour les entreprises. Grâce à des technologies comme le framework Open Source Hadoop, il devient en effet envisageable de mobiliser un millier de serveurs pendant quelques heures pour traiter un volume de données important, tâche auparavant complexe et coûteuse. Le cloud computing s’avère également intéressant dans le domaine du stockage, avec des niveaux de prix et de services compétitifs.
V-Trafic : faire face aux pics de charges imprévisibles
V-Trafic est une filiale du groupe TDF, qui développe une plate-forme de distribution de contenus. La société informe en temps réel ses clients sur le trafic et les incidents. « Notre projet de cloud a démarré fin 2010, au moment où de grosses tempêtes de neige ont bloqué la circulation », relate le DSI, François Simoes. Les conséquences ont été immédiates pour les différents acteurs de l’info-trafic : « Les serveurs se sont retrouvés confrontés à une charge bien plus importante qu’habituellement et ils ne pouvaient plus répondre aux demandes. »
L’entreprise découvre alors l’élasticité du cloud computing, qui permet de passer en cinq minutes d’un serveur à une centaine, puis d’en diminuer le nombre lorsqu’une telle capacité n’est plus indispensable. « Dans notre activité, nous avons certains pics prévisibles, les automobilistes se connectant matin et soir lors des trajets entre bureau et domicile, et d’autres imprévisibles, comme ceux liés à la météo, explique le DSI. Le cloud computing nous permet de répondre à ces pics imprévisibles. »
La société a donc monté en six mois un prototype sur la plate-forme Azure de Microsoft, testé lors des départs en vacances estivaux. Ce prototype ayant bien tenu, elle a ensuite entamé le développement du système complet, aujourd’hui opérationnel. « Nous comparons désormais le modèle cloud computing aux autres pour chaque nouveau projet, en particulier quand il existe des contraintes de montée en charge », conclut François Simoes.
Patrick Joubert, directeur associé de Beamap : « Le cloud computing accélère les projets »
« On parlait beaucoup du cloud computing en 2010, mais en 2012, un cap a été franchi, les entreprises ont désormais des projets réels et opérationnels. Elles ne sont pas encore prêtes pour des projets portant sur le cœur du système d’information, mais la réflexion autour de modèles comme le cloud privé est très avancée. Par ailleurs, le marché s’est beaucoup transformé, avec l’apparition de nouveaux acteurs, opérateurs télécoms, sociétés de services ou encore hébergeurs.
Avec le modèle du cloud computing, les projets se déroulent plus rapidement : sur un projet de conférences Web que nous avons étudié, le cloud computing permettait ainsi de gagner entre trois et dix-huit mois par rapport à un déploiement en interne.
Il faut malgré tout surveiller les modèles économiques associés : dans certains cas, transformer des dépenses d’investissement en dépenses d’exploitation permet de financer des projets qui ne le seraient pas autrement, par exemple des projets liés à l’événementiel, qui nécessitent une puissance donnée sur une période courte. Cependant, tout basculer n’est pas toujours pertinent, et les investissements faits par le passé ne sont pas forcément à jeter. En outre, le passage au cloud computing a un impact fort sur la manière de travailler, il faut préparer les équipes en amont. La tendance actuelle est aux projets hybrides, mixant cloud public, cloud privé et systèmes existants. »
Thierry Dor, avocat à la cour : les données et les contrats, les deux grands risques juridiques liés au cloud computing
« Le premier risque concerne les données. En effet, dès lors qu’il s’agit de données à caractère personnel, les entreprises qui les traitent ont des obligations. Or, celles-ci sont partiellement assumées par les fournisseurs de cloud, en particulier dans le cas du cloud public. Si l’entreprise ne sait pas exactement où sont hébergées ses données, elle n’a nulle garantie d’être en conformité avec la loi. Il n’est en effet pas légal de transférer des données hors de l’Union européenne et des pays reconnus comme assurant un niveau de protection adéquat. Beaucoup d’offres de cloud computing dans le monde ne permettaient pas jusqu’à présent de respecter ces obligations, mais c’est en train d’évoluer.
Le second risque porte sur les contrats. Aujourd’hui, la plupart des projets de cloud sont de petits projets, dans lesquels l’entreprise ne met pas toute sa puissance de feu. En face, elles ont des prestataires très puissants, comme Amazon, Google ou Microsoft. Les leviers de négociation sont plus faibles qu’avec des prestataires d’externalisation classiques, ce qui mène à des contrats peu négociés. De fait, un certain nombre de clauses sont insuffisantes : contrôle des données, réversibilité, engagements de service (SLA) très souvent imposés… Il faut que les projets grossissent pour renverser le rapport de force. »
Dix bonnes pratiques issues des retours d’expérience
- Pas de cloud sans une infrastructure réseau fiable
- Privilégier les prestataires qui permettent de choisir où les données sont hébergées
- Préférer le cloud privé pour les projets sensibles
- Exiger des certifications ou des rapports d’audit de la part des fournisseurs de cloud computing
- Surveiller la consommation en temps réel, pour ajuster au plus près les capacités à la charge
- Dans certains contextes, les coûts du cloud computing peuvent tendre vers l’infini, il faut donc prévoir des mécanismes pour les contrôler
- Comparer systématiquement le coût des solutions cloud computing avec les autres options, en prenant en compte la charge, mais aussi les coûts de migration/développement éventuels, ainsi que ceux des options comme l’équilibrage de charge ou les plans de secours.
- Quand la charge se stabilise et que le besoin d’élasticité n’est plus forcément justifié, ne pas hésiter à envisager d’autres options que le cloud computing
- La réversibilité est plus facile quand il s’agit d’infrastructures (IaaS) que quand il s’agit de services applicatifs (SaaS). Quand c’est possible, ne pas hésiter à la tester.
- Préparer le changement des rôles : les développeurs doivent acquérir des compétences d’exploitants et s’intéresser davantage au dimensionnement, tandis que les exploitants peuvent être amenés à développer des outils de gestion des instances