Quand la génération applis modèle les systèmes d’information

On peut effectuer un parallèle entre les générations de systèmes d’information et les générations d’individus, entre les « anciens » et les « nouveaux » : les « millenials » et la génération applis marquent déjà de leur empreinte les caractéristiques des systèmes d’information. Un mouvement irréversible qu’il est préférable d’anticiper…

Dans leur ouvrage publié en 2016 sur « La génération App » (1), deux professeurs d’Harvard et de l’université de Washington observent que « la jeunesse d’aujourd’hui est la première génération à se définir par rapport à la technologie, plutôt que d’après des événements politiques ou économiques clés. La génération applis est en quête permanente de nouveaux outils. Elle veut savoir ce qu’ils valent, quel est leur intérêt et ce qui viendra ensuite. » C’est une tendance à laquelle n’échapperont aucune entreprise ni aucun DSI…

Une table-ronde, organisée en juin 2017 par l’éditeur Fuze et animée par Best Practices, a réuni des DSI pour aborder cette problématique. Une étude, publiée par Fuze (2) et réalisée auprès de 900 DSI, 6 000 salariés et 3 300 jeunes de 15 à 18 ans, a mis en évidence la montée en puissance des utilisateurs hyper-connectés et mobiles : 87 % des utilisateurs français estiment en effet qu’il n’est pas utile d’être au bureau pour être productif. Cette opinion est évidemment plus présente chez les plus jeunes générations, qui imaginent le bureau de demain davantage basé sur les terminaux portables que fixes, sur les smartphones que sur les téléphones fixes…

Trop de temps pour les infrastructures, pas assez pour l’innovation

Pour les DSI, c’est plutôt une bonne nouvelle. Dans l’enquête Fuze, près des deux-tiers d’entre eux estiment que les plus jeunes favoriseront l’innovation dans le monde du travail. Mais les configurations actuelles des DSI ne sont pas optimales pour intégrer ces besoins. Ainsi, les DSI français consacrent actuellement 85 % de leur temps à gérer les plateformes IT et à résoudre les problèmes des utilisateurs, et seulement 7 % à l’innovation. Cette situation, héritée de l’histoire, va inévitablement entrer en collision avec les besoins des utilisateurs hyper-connectés, surtout ceux de la génération applis.

« Nous avons trois enjeux, résume le DSI d’un groupe agroalimentaire. D’abord, celui des infrastructures, domaine dans lequel on prend le virage du cloud, pour garantir de la disponibilité sans se préoccuper de la gestion des serveurs. Ensuite, celui des postes de travail multi-devices, y compris les problématiques liées à la téléphonie : il faut s’affranchir des systèmes d’exploitation et des lieux de travail, car la question de la flexibilité est régulièrement posée par les utilisateurs internes, de plus en plus hyper-connectés.

Enfin, celui des applications métiers. Au cours des années passées, nous avions tendance à tout intégrer dans l’ERP. Nous avons installé des monstres logiciels peu évolutifs, difficiles à gérer. Mais, aujourd’hui, on doit privilégier la flexibilité, car les métiers réinventent de nouveaux services et de nouveaux usages. Si la DSI répond à un métier qu’il faut six mois pour livrer une application, comment faire ? Soit on embauche plusieurs dizaines de personnes, soit on change la stratégie métier. Nous sommes entrés dans une logique de services dans laquelle l’IT se consomme de manière différente. »

DSI, DG, métiers et utilisateurs : des incompréhensions mutuelles

Au-delà des aspects techniques, il reste un verrou à faire sauter : celui des incompréhensions respectives entre les DSI, les directions générales et les utilisateurs (voir tableau pag 3). Quatre niveaux d’incompréhension sont particulièrement visibles : d’abord, des directions générales vers les DSI. « Les décideurs informatiques sont prêts à révolutionner l’environnement du travail, mais les dirigeants d’entreprises freinent cet élan. Ils cantonnent le rôle de l’équipe IT à la réduction des coûts et à la gestion des outils existants », soulignent les auteurs de l’étude Fuze. « Ce ne sont pas les DSI qui bloquent la collaboration, mais plutôt les dirigeants », confirme le DSI d’un groupe industriel.

Second niveau d’incompréhension : des DSI vers les directions générales. Les premiers se sentent bridés par les secondes. Ainsi, selon l’étude Fuze, alors que 84 % des DSI français estiment que la transformation digitale devrait être au cœur de leur mission, un sur trois est encore évalué sur ses capacités à réduire les coûts. « Il faut être capable de parler avec les métiers ET la direction générale. Le DSI doit donc se positionner en miroir, pour les aider. C’est une question de posture, mais les plus jeunes DSI n’ont pas toujours une maturité suffisante. Quant aux DSI plus seniors, ils peuvent rester bloqués dans leurs savoir-faire et plus difficilement franchir les frontières des usages », admet le DSI d’un groupe agroalimentaire.

Le troisième niveau d’incompréhension porte sur les relations entre les métiers/utilisateurs et les DSI. Il est lié à trois phénomènes qui se conjuguent : la montée en puissance de collaborateurs hyper-connectés et mobiles, la convergence entre les usages privés et professionnels des technologies, et le besoin d’espaces de travail hybrides pour favoriser la communication, la collaboration et l’interactivité entre des équipes de plus en plus organisées en mode projet. Cela favorise évidemment le Shadow IT : « Chez nous, l’IT a glissé en Shadow IT, le rôle du DSI est de mettre en place une vraie structure gouvernance, avec des processus communs, surtout lorsque nous acquérons des sociétés », témoigne le DSI d’un éditeur de logiciels.

Même constat pour le DSI d’un grand intégrateur : « Nous avons beaucoup de Shadow IT : dans la mesure où nous commercialisons beaucoup de solutions, tout le monde essaye de les mettre en place en interne et l’on se retrouve avec pléthore de systèmes de visioconférence, de téléphonie et d’outils de collaboration. Il faut donc unifier avant que cela ne devienne trop complexe, en travaillant plutôt sur les usages que sur les outils. » Le DSI d’un groupe agroalimentaire note que, « par le passé, les DSI avaient tendance à imposer les solutions de manière relativement hégémonique pour tous les utilisateurs, mais, aujourd’hui, à mesure que les applications fleurissent, nous sommes obligés d’introduire une dose de tolérance. »

Enfin, le quatrième niveau d’incompréhension concerne la perception des utilisateurs par la DSI. Sur ce terrain, précise le DSI d’un groupe agroalimentaire, il faut intégrer le fait que « les métiers viennent nous voir avec des solutions qu’ils ont vu ailleurs. Notre difficulté est d’anticiper et de suggérer un panel de solutions. Cela suppose de prendre le temps du dialogue avec les métiers. Auparavant, nous avions un cahier des charges, discuté pendant plusieurs mois, nous avions donc ce temps de dialogue, mais, aujourd’hui la question des métiers est : « Quand peut-on avoir l’application ? » ; Les DSI doivent reprendre leur rôle de questionneurs. »

Alors que 87 % des utilisateurs français estiment qu’il n’est pas utile d’être au bureau pour être productif, la moitié assurent que leur entreprise ne leur fournit pas les technologies adéquates pour être plus productifs. Une opinion qui va se renforcer à mesure que la génération « applis » va investir les entreprises. « Nous recrutons environ 300 à 400 personnes chaque année, pour une entreprise de 2 600 salariés. Lorsqu’ils arrivent et considèrent nos outils, ils ne comprennent pas, par exemple, qu’on ne puisse pas saisir les notes de frais et les fiches de temps directement sur leur smartphone ! Si l’on veut préparer le futur, il est indispensable que les jeunes générations qualifient nos outils de travail comme « fun et cool » », témoigne le DSI d’un intégrateur.

Postes de travail : des attentes différentes selon les générations

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Source : Casser les codes d’ici 2020, comment les DSI façonnent le monde du travail de demain, étude Fuze.

Les facteurs accélérateurs de la transformation

Heureusement, la situation évolue, dans le bon sens. D’abord, Les DSI nouent de nouvelles formes de collaboration avec leurs dirigeants. « Le relationnel a changé dans la mesure où nous sommes moins perçus comme un centre de coûts et davantage comme un fournisseur de services, c’est récent et lié aux besoins des métiers en numérique », observe le DSI d’un groupe industriel. Ensuite, le contexte externe a aidé à pacifier les relations entre les DSI et les métiers, en particulier avec l’internationalisation des entreprises et leurs besoins de transformation numérique.

« Pour la première fois, nous avons abordé la question du digital lors de notre dernier séminaire des dirigeants du groupe. Auparavant, c’était plutôt perçu comme un gadget pour les jeunes générations ou pour les équipes de la DSI. Mais le sujet a mûri et tout le monde se rend compte qu’on en a absolument besoin, car les actionnaires demandent des résultats, d’autant que le numérique participe à la valorisation des entreprises et que nous poursuivons notre croissance à l’international », explique le DSI d’un groupe agroalimentaire. C’est aussi un enjeu externe, vers les clients. « Notre enjeu est de réussir à transformer des entreprises très traditionnelles, avec des usines et des matières premières, pour offrir aux consommateurs un produit, un service et un univers », ajoute-t-il.

Enfin, le renforcement des cohortes de collaborateurs issus de la « génération applis », celle qui n’a jamais connu un monde sans smartphone ni accès à Internet, contraint les DSI à se transformer. Selon une étude de PWC, les personnes nées après les années 1980 formeront la moitié des actifs à l’horizon 2020. L’un des changements majeurs concerne le poste de travail : celui d’hier était composé d’un ordinateur de bureau, d’un téléphone fixe, d’une corbeille à papier, de stylos, de calculatrices, d’agrafeuses et de disquettes…

Celui d’aujourd’hui dispose d’ordinateurs portables et de clés USB, mais celui de demain sera organisé autour de terminaux mobiles, y compris personnels, de smartphones, de casques et de stations de recharge. Sans oublier les outils collaboratifs qui vont bien… « La génération applis est en attente d’outils qu’elle s’approprie très rapidement, ce qui facilite le travail du DSI sur le plan de la gestion du changement », estime le DSI d’un groupe industriel.

Il reste du chemin à faire : « Nous sommes souvent plus digitalisés avec nos clients et nos fournisseurs qu’avec nos collaborateurs, qui ont de plus en plus besoin de travailler depuis n’importe où de manière transparente », constate le DSI d’un intégrateur. Comment faire ? Quatre stratégies ont été évoquées par les participants à la table-ronde Fuze.

Performance du SI et simplification

La première consiste à ne jamais perdre de vue les fondamentaux. « Nous avons des SI traditionnels, mon premier job est qu’ils soient totalement opérationnels, même si, dans le même temps, nous avons besoin de proposer aux utilisateurs davantage de flexibilité, de transversalité et de communication », résume le DSI d’un groupe agroalimentaire, pour qui « la question des infrastructures sera toujours au cœur de la discussion avec les métiers, car elles sont coûteuses et les architectures peuvent vite devenir complexes. »

Seconde stratégie : simplifier. « Mon DG veut que tout soit simple. Cela pose la question de notre responsabilité de DSI pour accompagner nos patrons, nos managers et nos utilisateurs à être plus efficaces avec les outils technologiques », ajoute le DSI. Le DG d’une ESN explique pour sa part que, du fait d’une croissance forte à l’international, « nous avons empilé de multiples solutions hétérogènes, notamment pour les communications, c’est difficile d’homogénéiser et d’apporter de la cohérence. » La simplification, en particulier pour les solutions de communication et de collaboration, se justifie par les coûts directs et indirects qu’elles entraînent, notamment pour la maintenance, les licences, la formation, le support et le temps passé par les équipes IT à gérer la complexité.

Un changement de posture et de compétences pour les DSI

La troisième stratégie consiste à faire évoluer la posture du DSI. « La DSI a davantage besoin de se transformer que les métiers, nous sommes restés trop longtemps dans un mode hiérarchique-cahier des charges », reconnaît le DSI d’un éditeur de logiciels. Pour le DSI d’un groupe agroalimentaire, « la DSI a toujours quelque chose à raconter, en restant modeste, car nous ne sommes pas là pour réinventer le business. »

Enfin, la quatrième approche porte sur l’évolution des compétences. « Mes équipes sont composées de collaborateurs techniques et fonctionnels. Certes, ils connaissent les enjeux métiers mais les traduisent en paramétrage, ils ne savent pas intégrer la composante services, tout comme les plus techniques, imprégnés de logique mainframe, AS/400 et développements spécifiques. Il faut donc les rassurer et les accompagner, témoigne le DSI d’un groupe agrolimentaire. Le fait de passer à des environnements ERP a déjà constitué un changement majeur et difficile, les transformations actuelles constituent une nouvelle remise en question pour les équipes. » Dans l’étude Fuze, la moitié des DSI interrogés estiment qu’un complément de formation sera nécessaire pour les collaborateurs les plus anciens.


(1) The App Generation: How Today’s Youth Navigate Identity, Intimacy, and Imagination in a Digital World, par Howard Gardner et Katie Davis, Yale University Press.
(2) Casser les codes d’ici 2020, comment les DSI façonnent le monde du travail de demain, étude Fuze. Lien : https://fr.fuze.com/casser-les-codes-d-ici-2020.

Les jeunes et les seniors : smartphones contre PC de bureau
Outils considérés comme indispensables pour travailler… … par la génération applis … par la génération des plus de 55 ans
Téléphone de bureau 43 % 62 %
Smartphone 60 % 43 %
PC de bureau 55 % 62 %
Télécopieur 24 % 36 %
PC portable 59 % 42 %
Source : Casser les codes d’ici 2020, comment les DSI façonnent le monde du travail de demain, étude Fuze.

 

Les principales sources de frustrations et de distorsions entre les DSI, les métiers et les DG
Sens de frustration Argument principal utilisé Types de distorsions Solution possible pour le DSI Domaine d’action à privilégier
Du DG vers la DSI « Le DSI veut aller trop vite pour innover » De compétences, de terri­toires, de responsabilités Insister sur les impacts métiers La collaboration
Du DSI vers la DG « La DG se focalise trop sur les coûts » De vision, de gouvernance Renforcer le marketing de la DSI La culture numérique
Des métiers/utilisa-teurs vers la DSI « La DSI ne fournit pas les bons outils pour être plus productifs » De performance, de productivité Prendre en compte les usages Le comportement
De la DSI vers les métiers/utilisa-teurs « Les métiers veulent tout, tout de suite, au moindre coût » D’alignement Devenir plus agile Les compétences
Source : Digitalonomics.

La règle des 4C

La transformation de la DSI n’échappe pas aux lois de base du marketing : ce qui se voit le plus doit évoluer en premier. Par exemple, une évolution, même minime, de l’ergonomie d’un poste de travail aura toujours plus d’effet auprès des utilisateurs qu’un changement de version d’une base de données, alors qu’au final la performance globale du système d’information se trouvera améliorée dans les mêmes proportions. L’une des composantes de cette visibilité concerne les outils de communication et de collaboration, utilisés au quotidien par le plus grand nombre. « Il faut privilégier des quick wins sur des aspects opérationnels, en se focalisant sur les usages », résume le DSI d’un groupe agroalimentaire. « J’ai été recruté il y a dix mois pour accompagner le groupe dans la transformation du SI autour du digital, plus particulièrement autour des communications unifiées et des outils de collaboration », explique le DSI d’un intégrateur de technologies.

Plus généralement, nous recommandons de s’appuyer sur la règle des 4 C, synthèse des quatre domaines sur lesquels il convient d’agir et qui renforcent la convergence entre la DSI, les métiers, les utilisateurs et la direction générale :

  • la collaboration : elle est à la fois organisationnelle (entre les DSI, les métiers et les DG) et technologique, pour améliorer la productivité et fluidifier la gestion de projet.
  • la culture numérique : lorsqu’elle progresse, cela modifie la perception envers les DSI, davantage vus comme des accélérateurs que des freins.
  • les comportements, pour réduire le phénomène de Shadow IT et reprendre le contrôle du système d’information.
  • les compétences, notamment pour que les équipes de la DSI soient plus en phase avec les métiers (agilité, business relationship management, marketing…).

Chacun de ces domaines reste encore une source de frustrations entre les DSI et les différentes parties prenantes (métiers, utilisateurs, direction générale), qu’il est possible d’atténuer. Reste à résoudre le paradoxe, résumé par le DSI d’un groupe agroalimentaire : « Le grand écart entre, d’un côté, une réalité opérationnelle, lorsque l’on nous demande de réduire nos coûts de production pour être plus performant, et, d’un autre côté, le besoin d’accompagner les métiers pour les aider dans leur nouvelle vision business. »


Chiffres-clés

  • 83 % des salariés estiment qu’il pas utile d’être au bureau pour être productif.
  • 88 % des salariés utilisent leurs smartphones tous les jours pour travailler.
  • 13 % des budgets IT sont, en moyenne, investis pour déployer et maintenir l’infrastructure et les applications de communication.
  • 54 % des DSI estiment que la génération applis posera problème car elle n’est pas habituée à utiliser certaines technologies.
  • 53 % des DSI français assurent que leur entreprise insiste trop sur la réduction des coûts.

Source : étude Fuze