En matière de transformation digitale, on constate un foisonnement d’idées. En réalité, peu importe leur qualité, leur quantité, ce qui compte c’est leur exécution.
Pour Yves Caseau, DSI de Michelin, membre de l’Académie des technologies et de l’Institut Lean France, « dans le monde numérique, l’idée importe peu, c’est avant tout son exécution qui compte. Ce sont vos clients qui savent le mieux ce qui crée de la valeur pour eux : c’est pourquoi l’approche lean de la transformation digitale place le client au centre de la construction des nouveaux produits et services. Le numérique, l’intelligence artificielle et une approche DevOps nous donnent les moyens de cette «co-création» avec le client car ils permettent de formaliser, d’automatiser et d’accélérer ces itérations. »
Et c’est souvent une affaire de code : « Ce qui caractérise une entreprise innovante, c’est sa compétence logicielle, sa rapidité dans l’exécution et sa capacité à mettre en place des itérations rapides avec ses clients », ajoute Yves Caseau. C’est l’approche centrale privilégiée par l’auteur dans cet ouvrage, résumée par l’idée d’une « boucle continue du client au code et du code au client (…). Il faut instiller « l’amour du client » et « l’amour du code » dans l’entreprise », d’autant que, généralement, les solutions apportées aux problèmes des clients résultent d’un processus de co-création, selon les principes du Lean Startup (en trois phases : le design thinking, le produit minimal (MVP) et le growth hacking). Co-créer des produits et des services numériques doit combiner l’observation, le dialogue et l’expérimentation itérative, ainsi que la construction de micro-usines logicielles pour produire des plateformes de services.
Pour réussir la transformation digitale, au moins quatre ingrédients sont nécessaires : savoir recueillir et développer les « intuitions sur les besoins clients », absorber de façon continue de nouvelles capacités numériques, s’appuyer sur des processus et un système d’information et développer des plateformes digitales. Surtout dans un monde de type VUCA, autrement dit marqué par la Volatilité, l’Incertitude (Uncertainty), la Complexité et l’Ambiguité.
« Si une entreprise ne construit pas ces capacités, elle risque de se faire désintermédier et de laisser d’autres acteurs, plus numériques et plus agiles, se placer entre elle et ses clients », assure Yves Caseau. Celui-ci articule son ouvrage en trois grandes parties : les enjeux de la transformation digitale (et du focus sur les clients), le système d’information exponentiel et les plateformes logicielles.
Selon le principe, largement admis, que « les marchés sont des conversations », la manière de s’adresser aux clients s’est transformée. « Il n’est plus possible de prendre la parole à n’importe quel moment pour pousser un message, celui de l’existence d’un produit ou d’un service, de ses avantages, de son coût ou de ses conditions d’usage. Un tel message devient inaudible dans un contexte de surcharge informationnelle permanente », résume Yves Caseau. C’est tout l’enjeu de l’économie de l’attention et des stratégies de contenus pour alimenter les conversations avec les clients.
« Dans un monde de multi-consommation de contenus multimédia sur des terminaux multiples, cette attention est encore plus difficile à capturer. La stratégie consistant à forcer son passage par des contenus « encore plus captivants », trouve ses limites. Il faut commencer par écouter ses (futurs) clients pour détecter les opportunités de communication », poursuit l’auteur, pour qui l’un des concepts les plus importants à maîtriser pour réussir sa transformation digitale est celui de « customer journey », dans le cadre de l’économie de l’intention, « nouveau champ de bataille de la transformation digitale (…). Les actions des clients produisent des traces numériques. Le regain d’intérêt pour l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique ne font que renforcer cette course à l’analyse des traces numériques. »
Pour l’auteur, le client est l’architecte de son expérience et celle-ci constitue l’unité de la stratégie digitale. Mais prendre en compte cet aspect n’a rien de facile : « La complexité du comportement de l’utilisateur s’invite au milieu de la complexité technologique et c’est elle qui domine », prévient Yves Caseau. C’est souvent une question de temps : le client veut du temps utile et, côté entreprise, les systèmes doivent suivre en étant performants, ce que l’on peut mesurer par trois critères : la disponibilité, la latence (durée d’un traitement) et la capacité à gérer des volumes importants de traitements.
On conçoit dès lors que ce changement fondamental induit des bouleversements et que les systèmes d’information deviennent exponentiels. L’organisation exponentielle est une évolution de l’organisation de l’entreprise dans le but de tirer le meilleur parti du changement extrêmement rapide des technologies. Cela s’applique au système d’information, qui doit, lui aussi, évoluer pour s’adapter au changement exponentiel. Cela signifie être ouvert à l’afflux constant de nouvelles technologies et être capable de se transformer à un rythme accéléré.
Pour Yves Caseau « le changement radical du numérique, c’est que le taux de rafraîchissement des systèmes techniques est multiplié par un ordre de grandeur (…). Le système d’information exponentiel doit utiliser massivement ce qui est fait à l’extérieur. » Il doit devenir anti-fragile, multi-modal et réactif, dans un contexte de changement perpétuel, tout en réduisant la dette technique. Il convient également de gérer la complexité de façon durable et de maîtriser l’âge des systèmes par les flux, pour améliorer la capacité de l’entreprise à s’adapter à son environnement.
D’où l’intérêt de privilégier les plateformes logicielles et les usines à services, plaide Yves Caseau. Il s’agit d’automatiser le processus logiciel pour gagner en efficacité, en qualité de service et en réduction de coûts, c’est l’un des premiers objectifs des usines logicielles, surtout dans un contexte où l’intégration continue est cruciale : « L’approche DevOps est le socle commun des entreprises qui excellent dans le développement et déploiement de logiciels », assure l’auteur.
Quant aux plateformes (d’innovation, de transactions, d’intermédiation), c’est également une approche centrale : « Une des premières étapes d’une stratégie digitale est de déterminer les écosystèmes auxquels on appartient et les plateformes existantes sur lesquelles l’entreprise doit s’appuyer », résume l’auteur, qui identifie trois facteurs clés de succès : rester simple, se concentrer sur le client et savoir utiliser les bons outils logiciels. On s’en doute, la partie la plus ardue réside dans le changement de culture dans les entreprises, notamment pour « prendre l’orientation client au sérieux », « bannir la culture de la peur » et « faire entrer l’appréciation de la technologie, en particulier la technologie logicielle, dans la culture de l’entreprise. »
Pour en savoir plus : L’approche lean pour la transformation digitale, du client au code, du code au client, par Yves Caseau, Dunod, 2020, 219 pages.
Les autres idées à retenir
- Dans un monde de surabondance, l’entreprise doit construire des conversations avec ses clients et développer une intimité qui légitime la pertinence des solutions qu’elle propose.
- Savoir construire des plateformes digitales est une nécessité pour réaliser les ambitions d’ouverture et de démultiplication par effet de levier des capacités des écosystèmes numériques.
- Les plateformes en développement ont deux obsessions : croître pour que les effets de réseaux multiplient leur valeur et le faire plus rapidement que leurs concurrents.
- Les organisations efficaces sont en premier lieu des organisations apprenantes.
- La transformation digitale réintroduit la nécessité d’une revue de code.
- La complexité produit quatre difficultés : le rework, le TTM, le code non déployé et le gaspillage de temps.
- Le développement du système d’information requiert l’expertise et la contribution des architectes, au sein même des équipes agiles.
- L’enjeu d’une bonne gouvernance est de transformer la frustration du constat de la complexité en une énergie de simplification.
- Il est fondamental de penser les données en tant que cycle continu de collecte : les données du futur ont plus de valeur que celles du passé.
- La capacité à collecter l’ensemble des données disponibles dans l’entreprise et à y associer des données externes repose sur l’existence d’un modèle de données métier unique et partagé.
- L’intelligence artificielle est une boucle d’apprentissage avec des humains à l’intérieur.
- Il est essentiel d’imiter la nature et d’ajouter à tout processus itératif un processus de nettoyage et de réorganisation.
- Réduire sa dette technique diminue les coûts à venir et augmente le potentiel de situation.
- Il faut donner aux équipes d’innovation un accès à de vrais clients.
- Plus de la moitié des échecs ne sont pas de mauvais produits, mais des produits que les clients ne comprennent pas, donc n’essaient pas.
- Ce qui transforme une entreprise, ce n’est pas d’adopter une méthode agile pour développer ses plateformes numériques ou son SI, c’est d’adopter l’agilité comme démarche stratégique.
- Ce qui définit le potentiel de situation numérique d’une entreprise, c’est à la fois son niveau de compétence sur les technologies numériques du jour et sa capacité à les renouveler de façon continue.
- Le changement qui est train de s’opérer avec l’utilisation de données massives et d’algorithmes, c’est qu’il devient possible d’optimiser sans prévoir.