Dans son Bréviaire des politiciens, paru en 1684, le cardinal Jules Mazarin énonce un certain nombre de principes qui, aujourd’hui, s’appliquent parfaitement au management des systèmes d’information. Nous en avons sélectionné vingt.
1. Améliorer la transparence dans les relations avec les métiers
« Si tu soupçonnes quelqu’un d’avoir une opinion bien arrêtée sur un sujet mais de n’en rien vouloir dire, soutiens le point de vue opposé au cours d’une conversation. Si ton opinion est effectivement contraire à la sienne, il aura beaucoup de mal à ne pas se trahir en soulevant des objections. »
On trouve souvent des opinions très arrêtées dans les métiers, qu’il s’agisse des technologies qu’il faut mettre en œuvre (« Le cloud et puis c’est tout… »), de la manière de gérer les projets (« On pourrait facilement aller plus vite… »), des compétences nécessaires ou inutiles (« Franchement, à quoi ça sert un UX Designer ? »). Le principe énoncé par Mazarin permet d’éviter le double langage et, à terme, d’engendrer des relations plus fructueuses.
La bonne pratique : identifier d’où viennent les opinions très arrêtées, c’est souvent après des rendez-vous avec des fournisseurs.
2. Gérer les relations avec les fournisseurs
« Défie-toi d’un homme à la promesse trop facile : c’est généralement un menteur et un perfide. »
On retrouve là un principe de base utilisé par les commerciaux des éditeurs, dont certains ont vraiment tendance à promettre beaucoup à propos des performances de leurs solutions, des délais de mises en œuvre, des fonctionnalités prévues dans la roadmap ou des potentialités de réductions de coûts.
La bonne pratique : chaque promesse d’un fournisseur, à supposer qu’elle soit réaliste, doit être formalisée par écrit.
3. Se concentrer sur le cœur de métier
« Ne te lance jamais dans plusieurs entreprises à la fois : on ne t’admirera pas de te voir te disperser. Il vaut mieux en réussir une seule, mais éclatante. Je parle d’expérience. »
Il paraît évident que se lancer en même temps dans un lourd projet ERP, un ambitieux plan de consolidation de multiples datacenters et une réorganisation complète de la DSI suite à une acquisition majeure, sans parler d’une transformation digitale qui bouleverse tous les processus métiers, aboutit à une dispersion des tâches qui ne peut profiter à aucun projet. Il est donc plus raisonnable de ne jamais entreprendre des chantiers risqués simultanément, la probabilité d’échec étant maximale, surtout si les interdépendances (fonctionnelles, techniques, organisationnelles…) sont fortes.
La bonne pratique : pouvoir démontrer les risques d’échec à ceux qui veulent tout faire en même temps… et qui devront, au final, les assumer.
4. Affirmer le leadership du DSI
« Au début de ta carrière, ne fais pas l’économie ni des longues heures de réflexion, ni des efforts les plus rudes. Ne prends pas non plus d’initiative si tu n’es pas sûr de réussir. Une fois ta renommée établie, même tes erreurs se transformeront en titres de gloire. »
Sauf s’il arrive dans une entreprise dans laquelle le SI est dans un état très délabré, le DSI qui prend un nouveau poste doit prendre son temps : d’analyser l’existant (les projets, les technologies utilisées, les applications, les ressources, les modes de gouvernance…), de rencontrer les métiers, de décortiquer les budgets, d’évaluer l’apport des fournisseurs et de valider la cartographie des compétences.
La bonne pratique : attention à la précipitation dans tous les domaines, surtout si le contexte social est dégradé.
5. S’impliquer dans les projets
« Lorsque tu es accaparé par une affaire qui t’incombe, refuse absolument tout ce qui pourrait distraire un peu de ton attention. En effet, si jamais on s’aperçoit que tu as failli, fût-ce de façon minime, aux devoirs de ta charge, on t’en fera grief aussitôt. »
L’implication des DSI dans les projets ne peut être superficielle, même si, bien sûr, il faut déléguer intelligemment (Voir ci-après). C’est une question de gestion du temps, c’est un exercice difficile pour tous les managers. Le manque d’implication comporte trois risques : d’abord, le syndrome du « je n’ai pas le temps de m’en occuper » masque les facteurs de risques et les signaux faibles qu’il serait judicieux de détecter au plus tôt. Ensuite, le risque de déléguer à la mauvaise personne. Enfin, le risque que le dossier traîne en longueur. De quoi donner de bons arguments à ceux qui penseront que « le DSI a failli ».
La bonne pratique : consacrer le temps nécessaire à identifier ce qui peut se déléguer (par exemple, la gestion opérationnelle des projets, le pilotage des infrastructures)… et ne pas se déléguer (la gouvernance, la stratégie, les relations fournisseurs…)
6. Déléguer les responsabilités
« Décharge-toi des affaires minimes sur tes subordonnés, selon une répartition stricte des tâches sur laquelle tu ne reviendras jamais par la suite. Si une affaire est de peu d’importance, ne lui consacre que peu de temps. »
C’est le principe d’alignement entre le degré stratégique et le temps. On imagine mal un DSI consacrer quelques heures par mois à un projet ERP et le double, ou le triple, à régler des problèmes techniques mineurs, tâche qui doit être déléguée, parfois en externalisant.
La bonne pratique : réaliser un audit rapide, sur quelques semaines, de la structure des tâches et du temps associé, le résultat risque d’être surprenant.
7. Garantir l’objectivité aux métiers
« Garde-toi de faire trop facilement des promesses et d’accorder trop de permissions. »
C’est une tentation bien compréhensible de vouloir satisfaire les métiers, les utilisateurs, la direction générale, voire les fournisseurs, en surestimant les capacités de la DSI à délivrer ce qu’elle a promis, dans les délais et avec le respect des contraintes budgétaires. Il est préférable d’annoncer les mauvaises nouvelles le plus tôt possible : la frustration du début sera certainement effacée par la tranquillité qui suivra.
La bonne pratique : fiabiliser les estimations budgétaires et temporelles, par exemple avec la technique du planning poker.
8. Gérer les relations avec les Chief Digital Officers
« Si quelqu’un se vante à tout propos de ses grandes richesses, pousse ceux qui entendent ses fanfaronnades à le solliciter. »
C’est la première fois dans l’histoire, qu’une fonction, connexe à celle de DSI, vient se greffer sur les compétences numériques. En l’occurrence, le métier de Chief Digital Officer, dont certains ont des velléités à conduire toutes les transformations technologiques.
La bonne pratique : faire assumer aux CDO ce qu’ils réclament, même les aspects les plus difficiles du management des systèmes numériques.
9. Améliorer la communication de la DSI
« Adapte ta façon d’être et tes propos à celui avec qui tu es en affaires. Aux avares, parle de pertes et de profits, aux dévôts, de Dieu et de sa gloire. »
On retrouve dans ce principe la nécessité d’adapter le discours de la DSI à ses différents publics, dans le cadre d’une stratégie de communication et de marketing du SI. En effet, on ne communique pas de la même manière avec le Comex, les équipes de la DSI ou les utilisateurs. Pour un DAF ou un DG, le discours sera axé sur la création de valeur, pour les métiers, sur l’efficacité, ou pour les utilisateurs, sur l’amélioration des performances…
La bonne pratique : adapter la stratégie de marketing du SI aux spécificités des publics visés : ça coûte plus cher, c’est un peu plus compliqué, mais les résultats sont nettement meilleurs que si un seul discours sous-tend la politique de communication de la DSI.
10. Gérer sa carrière
« évite de progresser dans ta carrière de manière trop rapide ou trop éclatante. Face à une lumière qui se fait de plus en plus brillante, il faut que les yeux s’habituent peu à peu sinon, éblouis, ils se détournent. »
Tous les DSI connaissent les parcours de certains dirigeants de filiales françaises d’éditeurs, qui changent d’employeurs tous les dix-huit mois, parfois moins, et qui ne laissent guère de traces de leurs performances, voire qui ont dégradé celles de leurs employeurs successifs. Sans que les chasseurs de têtes y accordent une importance particulière, privilégiant souvent le nom du diplôme plutôt que les capacités sur le terrain. On observe également ce type de parcours pour des postes comme les CDO, dont le turn-over semble élevé. On peut retenir l’hypothèse que la performance et le leadership d’un DSI s’inscrivent dans la durée.
La bonne pratique : pouvoir expliquer de façon objective les raisons d’une durée courte dans un poste.
11. Affirmer sa neutralité vis-à-vis des utilisateurs
« Si tu édictes des lois, qu’elles soient les mêmes pour tous. »
Ce principe s’applique assez bien dans le domaine de la sécurité, du Help Desk ou de la régulation du Shadow IT. Rien de plus frustrant, en effet, que de traiter différemment des utilisateurs selon leur position hiérarchique, leur pouvoir de nuisance ou tout autre critère perçu comme peu objectif.
La bonne pratique : justifier les exceptions avec des critères objectifs (conditions de travail spécifiques, horaires décalés, salariés mobiles…).
12. S’installer dans un nouveau poste
« Ne te targue jamais de pratiquer une politique meilleure que celle de tes prédécesseurs, ni d’annoncer que tes lois sont à la fois plus équitables et plus rigoureuses. »
Le DSI qui arrive dans une posture de sauveur et qui va résoudre tous les problèmes, parce que son prédécesseur n’était pas à la hauteur du fait de son incompétence, ne devrait en principe pas rester longtemps tranquille. Car il y aura toujours des supporters dudit prédécesseur qui passeront à l’action pour entraver même les meilleures initiatives. C’est donc un comportement très risqué vis-à-vis des équipes en place, mais aussi des métiers et des utilisateurs, qui n’ont peut-être pas le même point de vue.
La bonne pratique : adopter, et partager, une vision optimiste tournée vers l’amélioration continue.
13. Lancer un projet de transformation
« Si tu décides de promulger de nouvelles lois, commence par en démontrer l’impérieuse nécessité à un conseil de sages et mets au point cette réforme avec eux. »
Ce principe s’applique à la politique de sécurité ou au lancement de projets de transformation, dont il faut démontrer l’absolue nécessité. On retrouve ce qui figure depuis longtemps dans les bonnes pratiques, en l’occurrence l’intérêt d’un sponsor pour appuyer et financer les initiatives de la DSI.
La bonne pratique : ne pas initier un projet sans un sponsor identifié qui engage sa responsabilité en s’impliquant.
14. Mettre en avant le ROI
« Quelles que soient tes fonctions, sache que tu peux toujours t’attirer les bonnes grâces d’un supérieur en lui assurant des profits. »
La création de valeur détermine l’essentiel des activités de la DSI et celle-ci doit le faire savoir, surtout lorsque les résultats sont au rendez-vous. C’est le principe de fonctionnement avec les métiers : s’assurer que ceux-ci vont créer de la valeur avec le système d’information.
La bonne pratique : systématiser les évaluations de ROI, argumentées et réalistes, dans tous les projets.
15. Maîtriser les risques projet
« Si quelqu’un t’engage à le suivre dans une entreprise, fais en sorte que les risques les plus grands soient pour lui. »
La maîtrise des risques dans les projets est essentielle, car ils en présentent tous. Le problème est de les répartir : tout comme un fournisseur seul ne peut assumer tous les risques, un DSI ne peut en porter le fardeau de manière exclusive. La meilleure combinaison est celle où DSI, fournisseurs et clients internes ont un intérêt commun à minimiser les risques, de manière à profiter d’une situation « gagnant-gagnant ».
La bonne pratique : se poser la question « qui gagne à tous les coups sans prendre de risques ? »
16. Contrôler le pouvoir des DAF
« Dans une communauté d’intérêts, il y a danger dès qu’un membre devient trop puissant. »
En moyenne, 28 % des DSI reportent à un DAF, selon une étude de Deloitte. Une fonction qui a la réputation de détenir un pouvoir financier qui peut s’avérer contre-productif pour la performance et la modernisation du système d’information.
La bonne pratique : factualiser le plus possible. Face à un DAF qui bloque toute modernisation applicative, lui expliquer le principe de la dette technique devrait alimenter sa réflexion sur le rôle du SI dans la performance financière de l’entreprise. On peut aussi jouer la carte des risques et de leurs coûts en termes d’image, de perte de chiffre d’affaires et de marges.
17. Promouvoir l’efficience de la DSI
« Fais publiquement savoir que, grâce à tes conseils avisés, on est parvenu à accomplir beaucoup de choses pour le bien du peuple sans avoir besoin de lever des impôts. »
La saine gestion des finances et des ressources de la DSI doit être connue de tous, en particulier de ceux qui utilisent le SI et qui le financent. C’est l’un des enjeux des initiatives à prendre en matière de communication.
La bonne pratique : communiquer régulièrement sur l’emploi des ressources, ainsi que sur les coûts des projets mis en regard des gains métiers.
18. Saisir les opportunités d’innovation
« Avant de décider d’une innovation, pose-toi quatre questions : sera-t-elle profitable ou nuisible ? Serai-je capable de l’imposer ? Est-elle en accord avec ma qualité ? Ai-je l’estime de ceux qu’elle va toucher ? »
Les budgets dédiés à l’innovation sont souvent contraints. Selon une étude Vanson Bourne pour Rimini Street, 71 % des DSI se battent pour obtenir davantage de budgets en faveur de l’innovation IT et 78 % se plaignent du manque de soutien de la direction générale en faveur des investissements dédiés à l’innovation. Compte tenu de la rareté des financements, autant se concentrer sur l’essentiel. Les quatre questions suggérées par le cardinal Mazarin prennent alors tout leur sens.
La bonne pratique : renforcer les collaborations avec les start-up.
19. Créer de la valeur pour l’entreprise
« Quand tu t’occupes d’affaires importantes aux conséquences décisives, laisse aux autres les satisfactions futiles comme la gloriole et les applaudissements. »
Ce principe n’est certainement pas à appliquer à la lettre… Car, dans certains cas, il est bon que les DSI s’attribuent les bénéfices de leurs actions. Mais, parfois, cela peut être judicieux d’en laisser une part à d’autres, par exemple à un PDG devant ses actionnaires, à un directeur logistique devant ses fournisseurs ou à un DAF devant des analystes financiers… A charge de revanche, bien sûr !
La bonne pratique : choisir d’autres canaux pour communiquer sur le rôle de la DSI, par exemple la presse professionnelle, les événements organisés par les fournisseurs, le journal interne, les réseaux sociaux…
20. Organiser la veille technologique et managériale
« Lis et relis. D’abord, pour te constituer une réserve de modèles d’argumentations adaptés à chaque situation, ce qui te permettra de maîtriser les lois de l’argumentation assertive, contradictoire et défensive. Ensuite, parce que cela t’enseignera les meilleures façons de profiter d’une conversation pour te lancer dans des digressions bien stylées qui impressionneront ton auditoire. »
Toutes les études sur le management mettent en exergue le fait que les Soft Skills deviennent tout aussi importantes que les traditionnelles Hard Skills. Selon le cabinet Robert Half Technologie, qui a interrogé une centaine de DSI français, les Soft Skills concernent la capacité d’analyse, la vision stratégique, l’adaptabilité, la flexibilité, la communication, le leadership et les capacités à influencer le management. Pour le cabinet de chasseur de têtes Spencer Stuart, les DSI doivent maîtriser de plus en plus les Soft Skills, tels que la communication, l’influence, la collaboration et un esprit de curiosité.
La bonne pratique : consacrer au moins une heure par jour à lire tout ce qui peut contribuer à améliorer la capacité d’influence (livres, revues, presse économique…). Et partir du principe que le manque de curiosité et de culture économique chez beaucoup de managers est un avantage pour se différencier.