Aujourd’hui, le manque de temps ou de ressources oblige de nombreux managers à se former sur le tas pour progresser, par exemple en s’échangeant des conseils entre pairs. Même si la plupart reposent initialement sur des principes managériaux pertinents, ils finissent, à force de se transmettre, par s’en éloigner. Ils deviennent alors des croyances solidement établies chez les managers pouvant entraîner des comportements limitants. Pierre Fournier, fondateur de la Will Academy, fait un tour d’horizon de ces « fausses croyances ».
- « Un bon objectif est un objectif chiffré »
Les « Objective and Key Results » – fixer un résultat chiffré derrière chaque objectif – se sont rapidement imposés comme une sorte de « norme » en termes de management. Cependant aujourd’hui, de nombreux managers ne retiennent que la dimension quantitative, au détriment de l’aspect qualitatif.
« Trouver la bonne métrique est souvent un travail très complexe et nécessitant d’avoir passé un certain temps sur la dimension qualitative de l’objectif. En sautant cette étape, on risque de choisir le mauvais indicateur, alors que ce dernier va avoir un impact considérable sur ce que les équipes vont mettre en place. », explique Pierre Fournier.
Encore pire, de nombreux managers conditionnent l’obtention d’un bonus, financier ou autre, à l’atteinte de cet objectif. Un comportement qui risque de brider la créativité du collaborateur et entraver le plaisir pris à réaliser la tâche. Ce type de stratégie peut fonctionner à court terme, mais deviendra forcément limitant à long terme.
- « Il faut limiter le nombre de personnes en réunion »
« La réunionnite est un mal très répandu en entreprise. Tout le monde s’en plaint, les gens se partagent des techniques pour lutter contre, mais finalement rien ne change véritablement », analyse le fondateur de la Will Academy.
L’idée la plus populaire actuellement, serait de limiter le nombre de participants… En d’autres termes, n’inviter que les plus indispensables.
Même si cela part d’une bonne intention – celle de protéger le temps des personnes non conviées –, le résultat pourrait être l’inverse de ce qu’on recherche.
« Les réunions servent souvent à prendre une décision : si vous limitez le nombre d’acteurs qui interviennent sur celle-ci, vous allez créer de la frustration, voire de la résistance au changement chez les absents », ajoute-t-il. In fine, il faudra convaincre que la décision prise en petit comité est bien la bonne et pour cela, vous risquez de devoir mettre en place… une nouvelle réunion !
Finalement, l’idée d’un nombre de participants « parfait » ne fait que cacher le vrai problème : la structure des réunions, qui limite le taux de participation dans un temps donné et réduit les possibilités de convergences.
- « Les retours positifs diluent les retours négatifs »
De nombreux managers accusent le feedback sandwich, ou le feedback bullshit comme ils le surnomment, d’étouffer les retours négatifs, voire même de créer de la confusion entre le positif et le négatif. Le feedback sandwich, outil classique de la PNL (Programmation Neuro Linguistique) consiste à « entourer » un axe d’amélioration (retour négatif) par trois qualités / talents.
Au contraire : « Demandez à une personne si elle serait d’accord pour que vous lui partagiez un axe d’amélioration après lui avoir fait trois retours positifs. Vous verrez immédiatement son attention redoubler ! », illustre Pierre Fournier.
Encore une fois, tout est dans l’intention. Le feedback « sandwich » a pour but de donner de l’énergie au collaborateur pour s’améliorer en lui exposant en premier lieu ses forces et ses accomplissements. Ne recevoir que des points d’amélioration peut vite devenir usant, même pour le plus motivé des collaborateurs.
- « On ne parle pas de ses sentiments »
La pudeur concernant les émotions est encore solidement ancrée dans la sphère professionnelle, car elle induit un enjeu de vulnérabilité que les managers cherchent à éviter de crainte de se faire juger.
Mais les sentiments sont pourtant l’une des singularités de l’être humain, les nier ou les refouler risque de les amplifier et de rendre la personne plus instable émotionnellement.
« C’est une croyance qui a la vie dure ! Pourtant quand quelqu’un d’autre fait part de ses émotions ou d’une vulnérabilité, on a plutôt tendance à considérer cette personne comme courageuse et à lui proposer notre aide. Pourquoi ne s’applique-t-on donc pas ce jugement à nous-même ? Il faut réussir à dépasser la peur d’exposer nos failles », souligne Pierre Fournier.
- « Il faut être sympathique avec ses collaborateurs »
Être « sympathique » soulève plusieurs problématiques. Premièrement, ce sentiment ne se commande pas : si le collaborateur ne ressent aucune affinité personnelle avec son manager, ce dernier prend le risque d’un manque d’authenticité dans la relation.
Ensuite, être sympathique pose également le problème de la gestion de situations conflictuelles. Comment le manager gardera cette posture dans une situation de sous-performance pouvant aller jusqu’à un licenciement ? Que pensera alors le collaborateur de son manager anciennement « amical » ? Le contexte peut donc empêcher le manager de garantir à son collaborateur une sympathie permanente.
« L’idée n’est pas de bannir toute trace de bienveillance, mais de considérer des postures plus adaptées au poste de manager, comme l’empathie par exemple. Cette dernière est à la base d’une relation interpersonnelle de qualité et peut s’exercer quel que soit le contexte », explique Pierre Fournier.
Même dans le cas d’un licenciement, le manager pourra faire preuve d’empathie en essayant d’imaginer le ressenti de son collaborateur. Sera-t-il surpris de l’annonce ? Aura-t-il peur de ne pas retrouver un nouvel emploi ? Trouvera-t-il cela injuste au vu des efforts fournis ? Cela n’empêchera pas le collaborateur de ressentir ces sentiments, mais il se dira que son manager se soucie de lui.