Un système d’information 100 % est-il possible ?

Lors du salon Cloud Computing World Expo, les 1er et 2 avril 2015, plusieurs DSI sont intervenus sur la possibilité, ou non, de gérer la totalité d’un SI dans le cloud. Si celle-ci pouvait sembler farfelue il y a quelques années encore, qu’en est-il aujourd’hui ? Un système d’information entièrement basé sur le cloud est-il désormais non seulement plausible, mais réalisable ?

Jean-Michel Mougeolle, DSI du réseau de franchisés MIKIT France, spécialisé dans la construction d’habitats individuels, est catégorique : pour lui, un système d’information entièrement basé sur du cloud est possible. « Je l’ai fait et j’en suis très satisfait », affirme ce DSI qui utilise notamment Office 365, Salesforce et un ERP en mode SaaS. Julien Simon, directeur technique de Viadeo, s’est rangé dans le même camp. Au sein du réseau social professionnel, le basculement vers le cloud est bien entamé, l’entreprise venant tout juste de migrer l’ensemble de son infrastructure sur le cloud d’Amazon (AWS). Pour cet acteur du Web, chez qui les mises en production sont quotidiennes, « le premier objectif de ce projet était de gagner en agilité, tant sur l’infrastructure que sur le développement. » Le deuxième objectif était de gérer les coûts d’infrastructure de manière plus efficace, en ajustant les ressources aux variations du trafic, plus faible la nuit, par exemple. Enfin, le passage au cloud apporte plus de souplesse et d’élasticité pour le dimensionnement, le prototypage ou les processus de reprise après incident.

Le poids des SI historiques

Pour les entreprises plus grandes, cette approche semble plus délicate à envisager. « Je ne connais pas, à l’heure actuelle, de grande entreprise à 100% sur le cloud. Néanmoins, la première question n’est pas de savoir si c’est faisable, mais si c’est souhaitable », estime Hubert Tournier, directeur général adjoint de STIME (Groupement Les Mousquetaires).

Pour lui, il existe actuellement deux situations différentes dans les grands groupes. D’une part, « ceux qui ne gèrent plus leur infrastructure », généralement parce que celle-ci est externalisée auprès d’un prestataire, et, d’autre part, « ceux qui la gèrent encore. Ces derniers ne vont pas, du jour au lendemain, abandonner les investissements réalisés dans les datacenters et les équipes, ce n’est pas forcément pertinent, tant d’un point de vue social qu’économique. » Pour Hubert Tournier, le premier point à considérer pour évaluer les bénéfices d’un passage au cloud est donc l’existant, même s’il reconnaît que l’agilité constitue un critère intéressant. Sur le SaaS, il estime que ce serait absurde de se priver de certaines solutions. Néanmoins, pour lui, « les solutions que l’on trouve en SaaS ne sont pas vraiment différenciatrices. Pour certains métiers, comme la gestion des ressources humaines, ce n’est pas grave, mais pour d’autres domaines, l’entreprise voudra probablement des solutions autres que celles proposées sur le marché. »

Pour Jean-Michel Mougeolle, un certain niveau de différentiation est cependant possible avec les offres SaaS, grâce au paramétrage. « Ces solutions me donnent également un temps d’avance sur les entreprises qui ne les utilisent pas : je bénéficie immédiatement des nouvelles fonctionnalités et je peux les déployer au moment où mes collaborateurs en ont besoin. » Cette vision du système d’information reste difficilement transposable dans une organisation comme celle d’Hubert Tournier, qui gère entre 2 000 et 3 000 applicatifs métiers et près de 150 000 utilisateurs, avec des coûts de support et de formation en conséquence.

Une accélérateur d’innovation

A la Société générale, Carlos Goncalves, DSI de la banque grande clientèle, estime, pour sa part, que la question n’est pas tant le cloud que la capacité à assurer une livraison continue pour soutenir l’innovation. « Les clients sont très exigeants, donc il faut être différentiant. Néanmoins, il convient de distinguer les systèmes soutenant l’innovation des systèmes centraux. Pour ces derniers, livrer de nouvelles fonctionnalités toutes les semaines n’est pas souhaitable. » Dans cette optique d’innovation, il admet qu’il ne peut être agile sans le cloud. Cependant, pour atteindre cette agilité, la banque a préféré commencer par une stratégie de cloud privé. « Un cloud entièrement public n’est pas réaliste dans notre contexte. Certaines de nos applications fonctionnent en temps réel et, pour l’instant, il n’existe pas de services dans le cloud nous permettant de maîtriser la performance à ce niveau. Un autre frein est le régulateur et les contraintes de réversibilité, d’auditabilité ou de protection des données, qui ralentissent également l’adoption. Ne serait-ce que pour la messagerie par exemple, début 2015, les principales offres cloud ne proposaient toujours pas le chiffrement des données. »


Conseils de DSI

Carlos Goncalves (Société Générale) : mieux dimensionner les plateformes

« Je vois deux cas d’usage intéressants avec le cloud : avoir la possibilité d’accéder à un cloud public, en cas de besoin, permet de dimensionner sa plateforme interne par rapport à un taux d’utilisation moyen, plutôt que sur des pics d’activité ; pour le développement, cela permet de faire du provisionnement rapide. »

Julien Simon (Viadeo) : pas de « copier-coller » dans le cloud

« Il ne faut pas prendre son infrastructure physique et faire « copier-coller » dans le cloud, sinon cela risque de coûter plus cher. Avant la migration, il faut se demander ce que l’on doit changer et ce que l’on peut optimiser : les bases de données classiques, par exemple, coûtent très cher par rapport à certains services proposés dans Amazon WS. »

Hubert Tournier (STIME) : évaluer les risques

« Dans tous les cas, nous commençons par une analyse des risques. Toutes les données ne sont pas sensibles. Si, dans le IaaS ou le PaaS, c’est l’entreprise qui gère la sécurité, ce n’est pas le cas avec le SaaS. Lorsque nous étudions une solution de ce type, nous questionnons les prestataires sur la sécurité, mais, dans plus de la moitié des cas, les questions ne sont pas comprises. »

Jean-Michel Mougeolle (MIKIT France) : garder le contrôle

« Si la DSI n’amène pas les solutions souhaitées par les utilisateurs dans l’entreprise, alors, votre informatique est « à la rue », vous risquez de voir se développer des applications hors de votre contrôle. »


Le cloud progresse rapidement dans les entreprises françaises

En décembre 2014, le taux d’utilisation du cloud est passé à 55 % dans les entreprises interrogées pour le dernier Cloud Index du cabinet PAC, contre 29 % lors de la précédente édition, en juin 2014. Le cabinet a également observé la répartition des usages par type de cloud : si les solutions de type SaaS (Software as a Service) demeurent majoritaires, utilisées par 54 % des répondants, le IaaS (Infrastructure as a Service) n’est plus très loin derrière, avec 46 % d’utilisateurs. Le PaaS (Platform as a Service) vient en dernier, avec seulement 16 % d’entreprises utilisatrices, mais avec une progression notable, puisqu’il n’était qu’à 5% en juin. « Pour le SaaS, le cloud public est majoritaire, tandis que pour l’IaaS le cloud privé domine. Pour ce dernier, le cloud public ne représente actuellement que 25 % du marché, mais nous estimons que cette part pourrait passer à 50 % d’ici quatre ans », a indiqué Frank Nassah, vice-président senior chez PAC. « Le PaaS est, quant à lui, majoritairement sur du cloud public, à 80 %. » De manière générale, le cabinet s’attend à une progression du cloud public sur le marché français : sa part est d’aujourd’hui de 43 % du marché total du cloud, mais pourrait atteindre 52 % en 2018.

Selon IDC France, le marché français des technologies de l’information va globalement rester stable entre 2013 et 2018, autour de 43 milliards d’euros. La croissance annuelle moyenne restera inférieure à 1 %. En revanche, le marché du cloud progressera, selon IDC, de plus de 24 % par an, en moyenne. Il a représenté 3,6 % du marché global en 2013 mais pèsera plus de 8 % à l’horizon 2018.


L’avis de Best Practices

Comme le montrent ces témoignages, un système d’information 100 % cloud est plus aisé à envisager dans des entreprises de taille moyenne que dans des grands groupes, ainsi que par des acteurs du Web, plutôt que par des entreprises dont l’existant s’est construit sur plusieurs dizaines d’années avec des technologies hétérogènes. Néanmoins, cela n’empêche pas ces dernières d’expérimenter, de multiples options étant à leur portée pour profiter elles-aussi de l’agilité liée au modèle. Si les DSI ont raison d’avoir encore quelques réserves vis-à-vis du cloud public, comme le soulignent les exemples cités par Hubert Tournier (STIME) et Carlos Goncalves (Société générale), il serait néanmoins risqué de s’en tenir trop à l’écart, le Shadow IT pouvant alors pointer son nez. Espérons, au contraire, que les DSI, de plus en plus nombreux à s’intéresser à ces services, sauront relayer leurs préoccupations auprès des fournisseurs de cloud, afin que le marché dans son ensemble poursuive ses efforts en matière de sécurité et de fiabilité.En effet, ces problématiques restent des points bloquants : 45 % des entreprises qui n’utilisent pas de solution dans le cloud évoquent le manque de contrôle et de sécurité comme principale raison de leur choix, selon une étude F-Secure. Pour les trois quarts des entreprises qui recourent au cloud, la sécurité est la première préoccupation, d’après une étude Vanson Bourne pour BT.