Banques et assurances dans la course à l’agilité

Sur des marchés matures, marqués par la profusion d’opportunités technologiques et de nouvelles offres, de nouveaux acteurs très agiles et par une évolution des attentes des consommateurs, les banquiers et les assureurs doivent réviser leurs stratégies. Au menu : Time to Market, agilité, réactivité et qualité du pilotage opérationnel.

Aujourd’hui, le marché de l’assurance est parvenu à maturité, l’un des signes est la concentration des acteurs. Il en est de même pour le secteur bancaire, comme le montrent les données de l’Insee, pour qui ce secteur connaît une diminution de sa valeur ajoutée et de ses marges. A cette conjoncture relativement difficile s’ajoute l’offensive des Fintechs et des Assurtechs, pure players très agressifs pour capter de nouveaux clients face aux acteurs historiques. Les levées de fonds pour ces Fintechs et Assurtechs ont bondi de 36 % en 2017, selon une étude Willis Towers Watson et le mouvement se poursuit. D’autres acteurs se positionnent également, tels les opérateurs de télécommunications (Orange Bank…) ou les GAFA, qui ont affiché leurs velléités de proposer des systèmes de paiement, chasse gardée des établissements bancaires qui doivent réagir face à ces « néo-banques ».

Selon une étude du cabinet Xerfi, après la banque et la finance, le secteur de l’assurance est à son tour gagné par l’effervescence technologique, alimentée par plusieurs initiatives de start-up qui dessinent les contours de l’assurance de demain. Assurance P2P, à la demande, à l’usage ou ponctuelle, achats groupés, parcours d’achat 100 % digitalisés : « Au-delà de la refonte des offres, ces jeunes pousses imaginent de nouvelles formes de mutualisation, réinventent les modalités d’accès aux produits et élèvent les standards de l’expérience client. Débarrassés des coûts de structure des acteurs traditionnels, les AssurTechs ont également un positionnement tarifaire agressif », souligne Sabine Gräfe, auteure de l’étude Xerfi.

Une conjonction d’éléments favorables a ainsi crédibilisé le phénomène « tech », à commencer par une action législative orientée vers une plus grande ouverture à la concurrence de nombreux marchés de l’assurance, laquelle a d’ailleurs porté concrètement un coup aux pratiques de tacite reconduction et facilité la mobilité des assurés. « En outre, des profils clients de plus en plus habitués aux expériences digitales portées par les géants du numérique et qui expriment de nouvelles attentes et exigences en matière d’instantanéité, d’autonomisation, mais aussi de simplicité d’accès, constituent un autre élément favorable », estime Sabine Gräfe.

D’après une étude du cabinet Deloitte sur les Français et les nouveaux services financiers en 2019, les Français sont de plus en plus nombreux (38 %) à porter un regard positif sur le degré d’innovation du marché des banques et des assurances. Ils sont ouverts à l’idée que leur banque ou leur assureur leur propose de nouveaux services, même non financiers.

Se diversifier et se digitaliser

Comment dès lors capter des parts de marché ? D’abord, par la diversification, y compris sur le plan international. Le temps où les banquiers et les assureurs opéraient chacun exclusivement dans leurs métiers historiques est largement révolu. Les deux univers sont largement confondus et perméables, un phénomène que l’on connaît sous le nom de bancassurance.

Ainsi, confrontés à la stagnation, puis à la baisse des revenus dans le domaine de la banque de détail, les groupes bancaires ont mis l’assurance au cœur de leur stratégie au cours des dernières années, capitalisant sur leur clientèle et leurs importants réseaux physiques de distribution. Les bancassureurs ne cessent ainsi de grignoter des parts de marché aux autres acteurs. Sur le segment de l’assurance vie, leur marché phare, sur lequel ils disposent d’une très forte légitimité, leur poids a ainsi augmenté de 4 points depuis 2009, pour atteindre 65 % aujourd’hui, selon la Fédération Française des Assurances. En assurance dommages corporels, biens et responsabilité, leurs parts de marché ont gagné respectivement 3 et 3,7 points sur la même période. Après l’assurance vie, les acteurs bancaires se sont ainsi intéressés aux produits de prévoyance et de couverture des risques des particuliers, avant de cibler les clientèles professionnelles et les entreprises. Ce mouvement stratégique va probablement s’accélérer : d’après une étude du cabinet d’analyses économiques Xerfi, « les banques peuvent et doivent accélérer, d’autant que les leviers à leur disposition ne manquent pas entre la mobilisation des réseaux d’agences, la légitimation du métier d’assureur, la conquête de nouveaux espaces produits ou clientèles, la digitalisation des parcours clients, les partenariats stratégiques ou encore l’internationalisation. »

De leur côté, les assureurs se sont diversifiés dans les activités bancaires et ont créé des filiales dédiées à ces activités (Axa Banque, Allianz Banque, GMF Banque, etc…). Selon le cabinet PAC-CXP, plus d’un assureur sur trois réfléchit désormais à l’évolution de son modèle économique.

Deuxième voie pour conserver des avantages compétitifs : la transformation digitale. Tous les acteurs des secteurs banque et assurance se sont engagés dans cette voie. Il s’agit de proposer aux clients de nouveaux services basés sur le numérique (banque en ligne, chatbots, gestion de sinistres dématérialisée, Internet conversationnel, parcours clients multi-écrans, bornes interactives, signature électronique, applications mobiles, support multicanal…), mais aussi de moderniser les processus internes, en intégrant les outils numériques et les technologies les plus innovantes, dont l’intelligence artificielle, le Big Data, la dématérialisation, les réseaux sociaux d’entreprise… Cette mutation ne va pas sans transformation radicale des emplois et des compétences : entre 1986 et 2016, alors que la population active totale a progressé de 21 %, celle des employés de banque et d’assurance a chuté de 39 %, selon une étude de l’institut Sapiens, dont les auteurs prévoient une extinction de ces métiers entre 2038 et 2051…

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Gagner la course contre le temps

Face aux ruptures des business models, aux fluctuations conjoncturelles, à la reconfiguration permanente du paysage concurrentiel, aux questionnements sur la digitalisation et les opportunités des outils numériques, ainsi qu’à la transformation des processus et à la métamorphose des compétences, les acteurs de la banque et de l’assurance doivent adresser quatre challenges majeurs.

  1. Concilier la transformation digitale et les systèmes d’information existants : ce challenge, qui est déjà difficile à adresser pour la majorité des entreprises, l’est particulièrement pour les acteurs de la banque et de l’assurance. En effet, à l’exception des pure players du numérique, la transformation numérique doit coexister avec les systèmes d’information historiques, dont on sait que, dans la banque et l’assurance, ils sont très complexes et très anciens. Il faut donc concilier différentes couches technologiques (du mainframe aux interfaces mobiles…), adapter les compétences dans un contexte où le numérique remet en cause les profils de postes, introduire de l’agilité dans un monde de processus lourds et changer la culture de l’innovation. Surtout face aux pure players : selon le World FinTech Report 2018, publié par Capgemini et LinkedIn en collaboration avec l’Efma (European Financial Management Association), la moitié des clients des banques dans le monde font d’ores et déjà appel aux produits ou services d’au moins une FinTech, qui ont le vent en poupe auprès d’une clientèle jeune, technophile et aisée. Mais les établissements financiers classiques gardent une longueur d’avance en termes de protection contre la fraude, de qualité du service et de transparence, ils sont toutefois « peu disposés à prendre des risques, ont du mal à innover, et 40,3 % des dirigeants estiment que la culture de leur entreprise ne favorise pas l’innovation. » Dès lors que la bataille se jouera sur la qualité de l’expérience client, l’alignement du système d’information avec les exigences des clients des banques et des sociétés d’assurance n’est plus une option, y compris avec le recours au cloud. Selon IDC France, une banque française sur quatre considère le cloud comme un axe prioritaire pour soutenir sa stratégie de transformation. Et 50 % des banques auront porté au moins 20 % de leurs environnements métiers critiques vers une plateforme cloud à l’horizon 2024, essentiellement pour améliorer les niveaux de services, raccourcir le Time to Market et réduire les coûts.
  2. Intégrer les changements réglementaires : c’est un sujet récurrent pour les acteurs du secteur banque et assurance, qui sont soumis à des réglementations très contraignantes et spécifiques, telles Bâle III, pour la maîtrise des risques bancaires, des liquidités, des engagements et du crédit, ou Solvabilité 2, pour le renforcement et le contrôle de la solvabilité des compagnies d’assurance suite à la crise des subprimes de 2007, avec quatre piliers (les fonds propres, la gouvernance des risques, le reporting et la transparence). A ces dispositions internationales s’ajoutent de multiples obligations nationales (Loi Hamon, reste à charge pour les mutuelles, principes anti-fraude, lutte contre le blanchiment…) ou européennes comme le RGPD sur la protection des données personnelles.
  3. Réduire les coûts et augmenter la productivité : c’est un impératif pour la plupart des entreprises, mais davantage pour les acteurs de la banque et de l’assurance, pour au moins trois raisons. D’abord, parce que la pyramide des âges reste déséquilibrée en faveur des seniors, avec des compétences et une culture pas toujours tournées vers le numérique. Ensuite, parce que le contexte concurrentiel pèse davantage que par le passé sur les marges, avec, notamment, l’offensive des Fintechs et des AssurTechs. Enfin, parce que l’organisation et les processus hérités de l’histoire manquent d’agilité et que le potentiel de gains reste encore significatif. Les banques de détail, par exemple, l’ont bien compris, avec leur volonté de réduire la taille de leur réseau. Selon une étude du cabinet Sia Partners, le nombre d’agences dans l’Hexagone passerait de 37 261 à 32 500 entre 2016 et 2020. En cause, la digitalisation du secteur et la baisse de la fréquentation des agences. Les banques s’orientent ainsi vers un maillage beaucoup moins dense que par le passé, mais plus spécialisé et orienté vers l’accompagnement, l’expertise et le conseil.
  4. Améliorer le Time to Market : dans la mesure où les positions acquises sur un marché ne sont plus vraiment pérennes, comme cela pouvait être le cas par le passé pour les banques et les compagnies d’assurance, la contrainte du temps devient incontournable. Elle concerne à la fois la stratégie (aller plus vite que les concurrents), les clients (souscription de contrats, ouverture de comptes, traitement des sinistres…), la politique commerciale (lancement rapide de nouvelles offres dans un contexte de digitalisation), le degré d’adaptation des processus (pour améliorer l’expérience client plus vite que les concurrents) et même les aspects réglementaires (dates butoir…) ou financiers (Time to Closing).

On ne peut intégrer avec succès cette contrainte de temps sans disposer d’un pilotage fin, surtout dans un contexte où la production de données s’accélère. C’est, par exemple, tout l’enjeu du Fast Closing, qui ne se limite pas à la production des comptes. Rappelons que le Fast Closing se définit comme la capacité d’une entreprise à réaliser en quelques jours une clôture comptable, qu’elle soit annuelle, semestrielle, trimestrielle ou mensuelle, tout en s’inscrivant dans un processus d’amélioration continue de la qualité des informations comptables, financières et de gestion.

Le Fast Closing répond également au besoin de fournir aux managers tous les éléments (informations comptables, financières, de gestion…) nécessaires au pilotage d’une organisation, de manière à la rendre beaucoup plus réactive et agile. C’est un chantier majeur pour les acteurs de la banque et de l’assurance, car il suppose de travailler en amont sur les données (cartographie, collecte, contrôle qualité, analyse, restitution, tableaux de bord…). Celles-ci sont à la fois de nature purement comptable, le plus souvent produites automatiquement par les applications financières, mais également de sources diverses (notes de frais, engagements de dépenses, devis…) et il convient aussi de les intégrer. L’agrégation de toutes ces données permet d’apporter du sens à l’action et au pilotage stratégique.

Une timide incursion dans l’intelligence artificielle

Un foisonnement de projets reposant sur les techniques d’intelligence artificielle (IA) a caractérisé la période récente dans la banque, mais aussi dans l’assurance. Les chatbots, en particulier, s’y multiplient. Si certains sont dédiés à la relation clientèle, d’autres assistent les conseillers lors de la vente. D’autres encore sont déployés dans la gestion des sinistres. Ils visent notamment à améliorer l’expérience client. Et le recours à l’IA devrait passer à la vitesse supérieure ces prochaines années, de l’avis des experts de Xerfi, qui viennent de publier une étude sur l’IA dans la banque et l’assurance. Dans la banque, le Crédit Mutuel apparaît comme l’un des acteurs les plus offensifs en la matière avec son programme Watson, lancé dès 2016, basé sur la technologie cognitive et déployé en association avec IBM. La dizaine d’applications lancées par le lab interne de BNP Paribas en 2018 en est un autre exemple. Les leaders, tels que Generali, Axa et Allianz, ne sont pas en reste dans le monde de l’assurance. « Les solutions d’IA constituent de fait un important levier d’économies de coûts et de croissance. Elles permettent également d’améliorer l’expérience d’un client friand de simplicité, de transparence, de réactivité et d’immédiateté », estime Xerfi. Toutefois, la généralisation de l’IA à grande échelle est encore loin d’être une réalité. « La majorité des applications d’intelligence artificielle recensées reposent en effet sur des algorithmes simples, sans parler de l’utilisation parfois abusive du terme d’IA pour des solutions technologiques qui n’en sont pas vraiment. »

Si certains acteurs affirment être dans une démarche de production, force est de constater que la plupart des banques et assureurs restent souvent dans une logique de Test & Learn, compte tenu de la longueur et de la complexité du processus d’apprentissage. Développées en interne, les applications peuvent également l’être par des prestataires externes. « Outre IBM, la majorité des logiciels d’IA testés ou utilisés par les groupes bancaires et les assureurs ont été élaborés par des Fintech et/ou des Assurtech », expliquent les auteurs de l’étude Xerfi. Les coopérations avec les start-up ne se limitent pas à de simples accords commerciaux, comme en témoignent les prises de participation de Natixis dans PayPlug ou Wynd ou encore l’accompagnement proposé aux jeunes pousses via les accélérateurs / incubateurs. Par ailleurs, La Banque Postale et Société générale se sont associées à des acteurs issus d’autres secteurs, tels que la SNCF, Leonard-Vinci ou encore Air Liquide, pour fonder #HubFranceIA. But de l’opération : créer une filière française de l’IA en mobilisant un écosystème le plus large possible.

Pour Xerfi, le déploiement d’une telle technologie bouleverse surtout les organisations et requiert de lourds investissements à la rentabilité incertaine. Banques et assurances doivent par conséquent relever trois principaux défis : réorganiser les ressources humaines, gérer les phénomènes de dépendance technologique et autres coûts de transfert, protéger les données (forcément sensibles) des clients.

« Banques et assurances devront alors miser sur l’amélioration de l’offre pour convaincre le client d’adhérer aux conditions d’utilisation de ces nouvelles technologies. Et dans ce domaine, les possibilités ne manquent pas. L’exploitation d’importants volumes de données non structurées grâce à l’IA peut ainsi permettre aux banques et assureurs de personnaliser les offres, les risques et les tarifs. L’intelligence artificielle est également une carte à jouer pour enrichir les services proposés à l’image de l’assistance juridique gratuite proposée par Axa. »

Plus globalement, les opportunités se multiplieront au fur et à mesure des avances en matière de conception d’intelligence artificielle, qui reste encore à un stade précoce ou faible. Car, aujourd’hui, ces systèmes ne prennent en charge que des tâches spécifiques, répétitives et logico-déductives. « Une forme d’intelligence, certes très efficace, parfois plus rapide et performante que l’homme, mais peu créative », jugent les experts de Xerfi.