Les objets connectés constitueront un axe de travail (et d’inquiétude) pour toutes les entreprises. Les perspectives sont prometteuses, encore faut-il maîtriser toutes les composantes d’un projet IoT.
En 2020, il pourrait y avoir plus de 21 milliards d’objets connectés dans le monde, selon les analystes de Gartner. Ces dispositifs connectés sont partout et ils sont loin de se limiter aux objets de grande consommation. Quel que soit leur domaine, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à réfléchir aux opportunités de l’Internet des objets dans l’ensemble de leurs offres et de leurs processus. Les progrès accomplis en termes de connectivité et d’architecture réseau, conjugués à la baisse des coûts des capteurs, ouvrent en effet de nouvelles perspectives, tant sur les marchés BtoC (Business To Consumer) que BtoB (Business To Business).
1. Les enjeux
Avec l’IoT, les entreprises ont de nombreuses façons d’accroître leur valeur, grâce à une grande diversité de cas d’usages :
- Une première catégorie de cas d’usage de l’IoT cible l’optimisation de processus existants et la réduction des coûts, grâce à une meilleure visibilité facilitant le pilotage : il s’agit, par exemple, de la maintenance prédictive, qui permet de planifier des interventions d’entretien avant la survenue d’une panne, de l’usine connectée, dotée de chaînes de production capables de s’auto-ajuster en fonction de certains paramètres (cadence, consommation d’énergie, qualité mesurée…), ou encore du suivi en temps réel de la chaîne d’approvisionnement. Ces services font fréquemment appel à l’automatisation et aux échanges de machine à machine (M2M).
- Une deuxième catégorie concerne le développement de nouveaux services, qui vont procurer des sources de revenus supplémentaires. L’Internet des objets offre en effet des possibilités de création de valeur inédites, qui transforment le modèle économique des entreprises : pay-as-you-drive dans l’assurance automobile, consultations à distance, téléprésence et suivi médical à domicile dans la santé, compteurs intelligents informant les usagers sur leur consommation d’énergie…
- L’IoT peut également apporter des solutions pour renforcer le lien avec ses clients (écrans ou cartes de fidélité connectées…), pour lutter contre la contrefaçon, notamment dans les industries sensibles comme la pharmacie ou le luxe, ou encore pour assurer la sécurité des biens ou des personnes.
Ce qui compte, dans les applications de l’IoT, ce n’est pas l’objet, mais le service. En effet, au final, c’est bien celui-ci qui va apporter de la valeur à l’entreprise et à ses clients. Un objet aura beau répondre à un besoin identifié comme essentiel, si l’objet n’est pas intégré dans un service global, opéré en fonction des métiers de l’entreprise, le projet ne rencontrera pas le succès escompté. À cette évidence s’ajoutent quelques paramètres qui doivent être pris en considération quand on étudie un projet IoT : le ROI, la vision à long terme, l’écosystème et l’industrialisation.
Un ROI visible sur la durée
Tout d’abord, le ROI de ce type de projet dépend de plusieurs paramètres, parmi lesquels la taille et le type de périmètre ciblés pour le déploiement, mais aussi d’un facteur temps, parfois sous-estimé. Dans certaines applications, comme la maintenance prédictive, les gains espérés sont à la fois liés au nombre d’appareils équipés de capteurs et au type d’équipements choisis : s’il s’agit d’équipements peu stratégiques, mais nombreux et tombant souvent en panne, comme des lampadaires ou des portillons automatiques, il faut atteindre un certain volume déployé pour démontrer la valeur de l’IoT.
En revanche, s’il s’agit de machines très coûteuses à réparer, dont la défaillance bloque toute une chaîne de production ou fait courir un risque élevé, les bénéfices en terme de prévention des pannes ne seront pas immédiatement visibles, mais seront néanmoins importants et croissants avec le temps. Le ROI peut donc être différé durant une certaine période, le temps d’atteindre le seuil nécessaire pour la rentabilité. Par ailleurs, un projet d’IoT étant, par nature, un projet d’innovation, qui plus est fortement lié au métier de l’entreprise, il y a nécessairement des investissements à réaliser pour développer une solution qui n’existe pas ailleurs, même si certains facteurs peuvent permettre de réduire ces coûts (nous y reviendrons).
Explorer l’IoT, c’est préparer l’avenir
Ensuite, même si ces projets représentent un certain coût au départ, il faut prendre en compte le risque qu’il y a à ne pas les réaliser, également appelé retour sur non-investissement (RONI). En effet, dans un contexte économique et social marqué par des changements rapides, le coût de l’immobilisme n’est pas neutre. Pendant qu’une entreprise hésite, gageons que parmi ses concurrents, plusieurs sont en train d’explorer les opportunités de l’IoT et de mettre au point des services qui demain feront la différence.
Ce constat est valable aussi bien pour les grandes entreprises que pour les PME, elles-aussi concernées par le RONI. Du côté des grands groupes, une bonne moitié des entreprises du CAC40 mènent ainsi des projets autour de l’IoT, notamment dans l’industrie. Les cas d’usages sont très variés, allant des smart cities (villes intelligentes) aux véhicules connectés, en passant par l’optimisation de la supply chain, les bâtiments intelligents ou les services de maintenance autour des pneus connectés. De nombreuses PME innovantes suivent la même voie, misant sur l’IoT pour se développer sur de nouveaux marchés.
Un écosystème marqué par l’hétérogénéité des acteurs
Un troisième aspect entre en jeu : la diversité des acteurs de l’écosystème, particulièrement présente avec l’IoT. En effet, dans ce domaine, se côtoient à la fois des constructeurs de composants électroniques, des acteurs du monde des télécoms, des opérateurs spécialisés dans les réseaux IoT, de très grandes entreprises habituées à gérer des dispositifs complexes, des intégrateurs eux-mêmes issus de l’électronique, des télécoms ou de l’informatique, ainsi qu’un grand nombre de start-up. Pour une majorité d’entreprises, situées en dehors de cet écosystème, il existe donc un enjeu supplémentaire : savoir ce qui leur manque et à qui s’adresser pour trouver le bon niveau de compétences.
Pour les entreprises, l’industrialisation prime
Enfin, dès lors que l’entreprise envisage un projet IoT, elle doit penser dès le départ à la phase d’industrialisation, sans laquelle un service, si innovant soit-il, restera à l’état de prototype. Pour qu’un déploiement efficient puisse être envisagé, il faut prendre en compte un certain nombre de prérequis, en particulier :
- la disponibilité des infrastructures,
- la fiabilité (du dispositif dans son ensemble et de chacun de ses maillons),
- la maintenabilité,
- la sécurité.
2. Comment faire ?
Pour veiller à ce que ces exigences soient prises en compte, l’entreprise doit se poser les bonnes questions à chaque étape du projet. Mieux vaut, en effet, anticiper chaque aspect avec soin, les environnements IoT étant plus complexes à mettre en œuvre que des environnements IT classiques en raison de leurs différentes caractéristiques (intelligence embarquée dans les objets, déploiement, collecte des données…).
a. Concevoir le service
A terme, c’est le service qui va donner toute sa valeur à un projet IoT. La première action à réaliser est donc de réfléchir à des propositions de services et aux modèles économiques associés. Au départ, il est essentiel de déterminer quelles idées offriront le plus de perspectives. Dans un premier temps, l’important est donc de collecter un maximum d’idées. Dans ce but, l’entreprise peut solliciter ses collaborateurs en interne (métiers comme marketing), mais aussi faire appel à ses partenaires ou à ses clients. Ensuite, il faut détailler les cas d’usage, afin de sélectionner les plus prometteurs. A ce stade, certaines entreprises, plus avancées dans leur réflexion, ont déjà déterminé ce dont elles avaient besoin. D’autres, plus novices dans ce domaine, peuvent faire appel à des partenaires externes, afin de les aider à choisir des pistes intéressantes.
b. Déterminer les données à collecter
Une fois différentes idées de services étudiées et sélectionnées, il faut réfléchir aux données dont on aura besoin. C’est la nature et la localisation de ces données qui vont orienter le choix de l’objet connecté à mettre en œuvre. Avant toute chose, il est donc important de vérifier si ces données sont mesurables (faisabilité technique) et si elles peuvent être collectées (faisabilité légale).
c. Concevoir l’objet
Là encore, c’est le service que l’entreprise souhaite offrir qui va déterminer la manière dont est conçu l’objet. Le degré de fiabilité, la durée de vie et le niveau de précision souhaités vont fortement influer sur le choix des capteurs. La localisation des objets va, quant à elle, nécessiter de s’interroger sur leur degré d’autonomie et leur alimentation en énergie : par exemple, s’il est facile d’alimenter des compteurs électriques intelligents, la question devient plus complexe pour des capteurs installés sur des conduites d’eau situées sous terre.
Le niveau de service attendu va également déterminer le nombre d’objets à déployer et, par conséquent, à produire. Le coût de production doit donc être pris en compte dès la phase de prototypage, car après celle-ci se posera tôt ou tard la question de l’industrialisation. Enfin, la plupart des cas d’usages nécessitent un niveau minimum d’intelligence embarquée dans l’objet, afin que celui-ci puisse interagir avec son environnement de manière adaptée. Pour ces différentes raisons, la conception d’un objet nécessite des compétences variées, dont certaines sont rares, comme l’électronique ou le traitement du signal. Peu d’entreprises, hormis quelques grands groupes, parviennent à en réunir suffisamment pour mener un projet d’IoT sans accompagnement.
d. Déployer et gérer un réseau d’objets connectés
Un autre aspect fondamental dans les projets d’IoT est la mise en place et la gestion d’un réseau d’objets. Un premier point est le choix du réseau lui-même. Il existe plusieurs familles de technologies utilisables dans le cas de projets IoT, allant des réseaux cellulaires classiques de type LTE aux réseaux LPWA (Low Power Wide Area), en passant par le Wi-Fi, le Bluetooth, le NFC (Near Field Communication) ou encore le RFID. Il existe des différences importantes entre toutes ces technologies, notamment en termes de portée, de consommation d’énergie ou encore de sensibilité aux interférences. Enfin, certaines reposent sur des standards ouverts, comme LoRa ou les réseaux IP, tandis que d’autres sont développées et opérées par des acteurs privés, comme Sigfox. Une étude précise des cas d’usages envisagés est nécessaire pour choisir la technologie la mieux adaptée.
Un autre enjeu essentiel concerne la gestion de ces réseaux. En effet, de par leur nature même, les réseaux IoT multiplient les dispositifs clients et donc le nombre de points d’entrée et de connexions à gérer. Pour avoir un ordre d’idée, selon l’équipementier Cisco, avec l’IoT, les connections M2M (Machine To Machine) vont presque tripler entre 2015 et 2020, passant de 4,9 à 12,2 milliards. Avec une telle volumétrie, il est impératif de prévoir une architecture adaptée, afin de simplifier le déploiement et la maintenance des objets et du réseau. Une plateforme d’accueil des objets, regroupant différents services nécessaires à l’administration d’un réseau IoT, facilitera leur enregistrement, leur localisation et leur identification, ainsi que la gestion et la sécurisation des connexions.
A cela s’ajoute la sécurisation du réseau, qui nécessite une adaptation des processus et des outils. Si les objets collectent des données sensibles, l’entreprise doit également se soucier de leur protection aussi bien à la source (dans l’objet) que pendant leur circulation sur le réseau et jusqu’à leur stockage. Cela peut se traduire par des contraintes supplémentaires dans le choix du réseau, tous les protocoles n’étant pas forcément adaptés à des mesures comme le chiffrement.
e. Collecter et traiter la masse de données générée
Une fois en place, les objets vont commencer à envoyer des données, pas forcément volumineuses en taille (données d’imagerie exceptées), mais rapidement importantes en nombre. L’entreprise aura besoin de pouvoir collecter ces données, afin de les traiter et d’en extraire de l’information utile. La plateforme d’accueil des objets, déjà évoquée, sert de passerelle entre les objets et les systèmes de traitement des données, en automatisant la collecte. Ensuite, interviennent des problématiques assez classiques de stockage, de traitement et d’analyse de données, similaires à celles que l’on trouve dans les projets de Big Data. La valeur des données collectées dépend souvent d’un facteur temps, comme expliqué précédemment. Le système de capture et d’analyse des données doit donc être en capacité d’effectuer des traitements en temps réel, si jamais les services envisagés le nécessitent (par exemple des services de surveillance médicale à domicile, de prévention des incendies ou de détection d’intrusion).
f. Développer les applications qui supportent les services
Les services se concrétisent toujours à travers une brique applicative, qu’il s’agisse de programmes d’automatisation des tâches, d’interfaces destinées à des acteurs métiers ou encore d’applications Web et mobiles pour les clients. Ces applications reçoivent les informations produites par le dispositif IoT et les utilisent pour déclencher des actions ou soutenir la prise de décision. Elles sont un maillon clé pour la qualité globale du service : l’entreprise doit donc spécifier leur développement.
Dans le cas d’applications d’automatisation (de type Machine To Machine notamment), la fiabilité et la performance sont des critères primordiaux. Une application mal conçue ou trop lente pourrait en effet remettre en cause l’efficacité du dispositif dans son ensemble, empêchant d’obtenir les gains espérés. S’il s’agit d’applications destinées à un public humain, qu’il s’agisse de collaborateurs ou de clients, il faut en outre accorder un soin particulier à l’expérience utilisateur, celle-ci pouvant à elle seule conditionner le rejet ou l’adoption d’un service.
g. Garantir l’intégration harmonieuse avec le système d’information
Les projets d’IoT menés au sein des entreprises démarrent rarement à partir d’une page blanche. D’une part, ils doivent s’intégrer à des processus et des systèmes existants, que ce soit simplement pour remonter des informations (le cas le plus courant) ou pour répondre à des besoins plus spécifiques. L’intégration d’informations issues de l’application d’IoT dans l’ERP de l’entreprise peut par exemple être nécessaire. D’autre part, il arrive parfois que l’entreprise ait besoin de renvoyer des données ou des instructions vers les objets, dans une logique bidirectionnelle complexe à mettre en œuvre. Il faut donc veiller à prévoir des canaux de communication adaptés entre les objets et le système d’information existant, sans pour autant perturber le bon fonctionnement de ce dernier.
Projets IoT : les principales questions à se poser | |
Étapes du projet IoT | Les principales questions à se poser |
Concevoir le service |
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Déterminer les données à collecter |
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Concevoir l’objet |
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Déployer et gérer un réseau d’objets connectés |
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Collecter et traiter la masse de données générée |
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Développer les applications qui supportent les services |
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Garantir l’intégration harmonieuse avec le système d’information |
la sécurité des informations ? |
Thomas Noel, directeur adjoint, ICube Laboratory, Université de Strasbourg : « Il n’y a pas de solution unique capable de répondre à tous les besoins. »
« Quand on parle d’IoT, il faut bien faire la distinction avec les objets connectés connus du grand public, qui ne forment pas un réseau. L’IoT proprement dit désigne, par exemple, un réseau d’objets (capteurs ou actionneurs) disséminés dans une smart city, ayant pour rôle de mesurer un environnement physique pour le traduire en données numériques. De très nombreux paramètres sont aujourd’hui mesurables : molécules, données médicales, pression, débit… L’IoT peut, de ce fait, toucher tous les secteurs d’activité, depuis le tertiaire jusqu’au médical : partout où l’on va avoir besoin d’une mesure ou de déclencher une action.
L’IoT recouvre toute une chaîne, allant de la production de la donnée à son devenir, avec des approches de type Big Data et un stockage dans un datacenter, ou dans le cloud. Cela nécessite de réfléchir à de nombreux aspects, depuis la collecte de la donnée, en passant par les réseaux ou la conception des objets eux-mêmes. La conception des objets soulève plusieurs problématiques : autonomie, capacité de calcul, place occupée, dégagement de chaleur… En terme de réseaux, l’IoT peut reposer sur des réseaux filaires ou sans fil. Avec ces derniers en particulier, il faut être attentif à la stabilité, la fiabilité et la traçabilité des informations, des facteurs essentiels pour s’assurer que les données de base recueillies sont de qualité.
La mise à l’échelle représente un enjeu important. En effet, s’il est assez simple de déployer un réseau constitué de trois ou quatre nœuds, la complexité est toute autre quand il s’agit d’un réseau avec plusieurs centaines, voire milliers, de nœuds. En terme de communication, il existe de plus en plus de technologies pour l’IoT (Sigfox, LoRa, NarrowBand IoT, 5G…) et le domaine évolue rapidement.
Enfin, la sécurité est également un aspect primordial. L’IoT ne doit pas devenir un cheval de Troie pour pénétrer dans les réseaux des entreprises. Les technologies qui existent pour sécuriser l’Internet classique doivent être adaptées à l’IoT, en prenant en compte les caractéristiques d’objets parfois très contraints en taille et en puissance de calcul. Si des aspects comme le chiffrement sont inclus de base, il faut également gérer l’aspect dynamique de tels réseaux : en effet, quand on ajoute un nouvel objet au réseau, il n’y a généralement pas d’être humain derrière. L’objet commence par découvrir son environnement, puis il communique avec d’autres objets. Il faut donc réfléchir à la manière dont les objets sont ajoutés, découverts, ainsi qu’à la manière dont ils s’authentifient. Cette étape d’authentification est impérative pour s’assurer qu’un objet est autorisé à communiquer dans un réseau donné.
Au-delà de ces aspects techniques, il faut prendre en compte la grande diversité des cas d’usages de l’IoT. Selon les environnements et les besoins, les contraintes seront plus ou moins fortes. Dans le domaine médical, il y aura, par exemple, des problématiques liées à l’éthique, à l’anonymisation des données, ou encore au fait de concevoir des dispositifs faciles à supporter pour les patients. Dans les projets prévoyant un déploiement en extérieur, il faudra songer aux contraintes climatiques, les capteurs pouvant être soumis à des changements importants de température ou d’hygrométrie, ainsi qu’à l’alimentation en énergie. Dans une usine, en revanche, l’énergie ne posera probablement pas de problème, alors que la sécurité sera essentielle. Tous ces facteurs font qu’il n’y a pas de solution unique capable de répondre à tous les besoins. Pour chaque projet, il faut donc discuter du cahier des charges en prenant en compte l’ensemble des paramètres, d’autant plus que dans l’IoT, il est délicat de décorréler les aspects matériels des enjeux purement numériques. »