À l’heure de « l’ubérisation », il apparaît qu’aucune entreprise n’est à l’abri de se voir déstabilisée par de nouveaux venus ou des start-up imaginatives. Il y a eu des exemples dans le passé, le plus emblématique étant Kodak, qui a raté le virage de la photographie numérique alors que le procédé avait été inventé par l’un de ses ingénieurs.
Deux ingrédients accélèrent ce mouvement : d’une part, le manque d’audace des dirigeants et des managers, qui préfèrent se contenter de l’existant et des acquis du passé, au lieu de saisir les opportunités pour ré-imaginer le futur. D’autre part, une proportion significative de clients insatisfaits facilite la disruption par les usages et la qualité de service. Dès lors se pose la question suivante : à partir de quel moment les dirigeants se rendent-ils compte qu’ils ne peuvent plus agir pour inverser le mouvement ? Car ce moment existe, forcément. À l’image d’un avion qui, lorsqu’il atteint le niveau V1, vitesse au-delà de laquelle il doit obligatoirement décoller et n’a plus d’autre choix que d’aller de l’avant.
Outre les risques de remise en cause des business modèles, avec « l’ubérisation », on retrouve aussi cette question pour la gestion de projet ou pour la transformation numérique des organisations. Identifier ce moment crucial n’est pas facile, notamment parce que des biais cognitifs se manifestent (sentiment de pouvoir encore contrôler la situation, confiance excessive dans les capacités de décision, rejet des signaux négatifs…). Il serait intéressant que les managers, y compris les DSI, se plient à l’exercice de déterminer quels indicateurs sont les plus pertinents et, surtout, à partir de quel niveau on ne peut plus agir et que chaque jour qui passe voit s’effriter les positions concurrentielles. L’idéal serait que les comités de direction soient informés du dépassement du niveau V1, signe qu’il est trop tard. Mais ce niveau V1 reste encore à inventer, tout comme la manière de le communiquer. Après tout, les pilotes d’une organisation ont autant de responsabilités que les pilotes d’avions.