Dans son étude sur les nouveaux défis dans les services numériques à l’horizon 2024, le cabinet Xerfi explore les perspectives du secteur. L’analyse de Flavien Vottero, directeur d’études stratégiques et économiques de Xerfi.
Face à l’accélération de la digitalisation, les entreprises de services numériques semblent-elles promises à un avenir radieux ?
La crise a en effet accéléré la digitalisation des usages et ce phénomène continuera de tirer les investissements IT des organisations. Les entreprises auront ainsi de plus en plus recours aux technologies digitales pour améliorer l’expérience client, exploiter les data des consommateurs finaux et améliorer leur présence digitale. Des arbitrages qui seront, à l’évidence, de nature à stimuler l’activité des ESN.
Ces dernières profiteront aussi du processus de numérisation de l’État. Dans le cadre du plan France Relance, les pouvoirs publics ont ainsi alloué près de 250 millions d’euros à la digitalisation des collectivités locales et 1,4 milliard à la modernisation des outils numériques en santé et au rattrapage du retard dans l’interopérabilité des systèmes d’information, afin de faciliter la transmission des données des patients et ainsi améliorer leur suivi tout au long du parcours de soins.
Enfin, les entreprises industrielles et de transport continueront d’investir dans l’automatisation de leurs process, y compris logistiques, et solliciteront les ESN pour des prestations d’accompagnement et d’intégration de logiciels. Dans ce contexte, nous anticipons une croissance soutenue du chiffre d’affaires des ESN (5 % par an en moyenne entre 2022 et 2024, après un bond de 7 % en 2021). Rappelons qu’il dépassait déjà 58 milliards d’euros l’an dernier.
Les pressions concurrentielles pourraient monter d’un cran ?
Si l’activité des ESN sera bien orientée à l’horizon 2024, les pressions concurrentielles resteront fortes. D’un côté, le recours croissant au cloud limite considérablement les besoins des DSI en matière d’infogérance présentielle et de maintenance informatique. De même, la rapidité de déploiement dans le cloud réduit la portée des contrats d’intégration et, de fait, la valeur facturée au client. Résultat, les marges chutent, en particulier dans l’infogérance. D’un autre côté, désireux de capter une partie de la manne de la transformation digitale des organisations, des acteurs connexes aux services numériques concurrencent désormais frontalement les ESN historiques. Par exemple, les spécialistes de l’intérim montent en gamme et se positionnent désormais sur l’externalisation d’ingénieurs. Pour mener à bien cette stratégie, Adecco a notamment absorbé Akka Technologies en juillet 2021. Mais la plus grande menace pour les ESN est la pénurie de main d’œuvre qui entraîne un risque d’inflation salariale.
La marque employeur est une priorité majeure des professionnels confrontés à des difficultés de recrutement et au besoin de fidéliser les employés. La pénurie d’ingénieurs pourrait empêcher la réalisation de missions en cette période de reprise. Dans ce contexte, le risque d’inflation salariale est réel et constitue une menace sur un marché déflationniste.
Quels sont les leviers activés par les ESN ?
Face aux pressions tarifaires de plus en plus vives sur le marché français (notamment sur le segment des grands comptes) et à l’intensification de la concurrence, les ESN activent différents leviers. Elles ont ainsi progressivement repensé leur organisation ces dernières années. Les leaders se sont notamment tournés vers le nearshoring et l’offshoring en transférant une partie de leurs activités dans des pays à faible coût de main d’œuvre. L’optimisation des coûts passe également par la cession des activités les moins rentables et le développement du flex office pour économiser les charges immobilières.
Structurées jusqu’alors autour des segments d’activité traditionnels (conseil, intégration, infogérance, etc.) avec des lignes de services, pôles ou entités dédiés, les acteurs misent aujourd’hui sur des schémas organisationnels reposant sur les directions métiers, les technologies, les débouchés ou la taille des entreprises. Les opérateurs du secteur multiplient également les initiatives pour séduire de nouveaux talents (collaborations avec des écoles d’ingénierie et des universités, organisation de journées d’échanges avec les étudiants, usage des réseaux sociaux professionnels comme LinkedIn…). Ils misent aussi sur la formation et l’amélioration des conditions de travail pour fidéliser les effectifs. Sur le plan sectoriel, la cybersécurité, l’Internet des objets ou le green IT seront les principaux moteurs de l’activité. Les dépenses en logiciels et services de sécurité IT explosent en effet à la faveur de menaces toujours plus sérieuses et accentuées avec la pandémie.