Grands vainqueurs du confinement, les GAFA ont profité du cœur de la crise pour engranger des résultats records. Avec le redémarrage de l’économie, sur fond d’incertitude sanitaire et de régulation, ces géants poursuivent leur croissance. Et dont les business models inspirent de plus en plus les entreprises traditionnelles
Au cours du deuxième trimestre 2021, le secteur des technologies a accentué son avance tant d’un point de vue opérationnel qu’en terme de valorisation, selon les conclusions de l’étude Gafanomics Quarterly pubiée par Fabernovel. « C’est grâce notamment aux géants américains qui ont accru leur domination sur les acteurs asiatiques, pénalisés par les nouvelles régulations gouvernementales. Ils ont continué à prouver leur capacité d’innovation, soutenue par un fort pouvoir de maintien, voire de revalorisation des prix des produits et services », explique Axelle Ricour-Dumas, directrice stratégie corporate chez Fabernovel.
Ainsi, l’indice S&P 1200 montre que la Tech surclasse tous les autres secteurs, avec 12 % de croissance moyenne au second trimestre 2021, confirmant sa résilience. Le secteur affichait déjà 25 % de croissance au plein cœur de la crise covid, au deuxième trimestre 2020. Pour Jean-Christophe Liaubet, Managing Partner chez Fabernovel, « au premier trimestre 2021, on pouvait considérer que la Tech était en danger, car le secteur avait le moins performé. Mais le domaine des technologies est redevenu l’enfant chéri des investisseurs, même si les valorisations sont très diverses, autour d’une moyenne de 7,4 du chiffre d’affaires. Hormis pour les entreprises asiatiques de l’Index Fabernovel, les investisseurs affichent un regain de confiance envers les modèles tech, montrant des multiples de valorisation à la hausse par rapport au trimestre précédent. »
« Nous constatons en parallèle une tendance structurante qui s’accélère encore, l’innovation n’étant pas seulement portée par les grands acteurs technologiques, mais aussi par des groupes historiques qui ont progressivement adopté des briques stratégiques des modèles Gafa. Nous sommes convaincus d’être à une période charnière pour ces entreprises traditionnelles qui doivent continuer à faire naître l’innovation pour réduire l’écart », assure Axelle Ricour-Dumas.
Ainsi, si les Gafa battent de nouveaux records, une tendance structurante prend de l’ampleur avec des acteurs “traditionnels” réussissant à se différencier grâce aux effets de la transformation numérique menée ces dernières années. Des groupes comme LVMH, Nike, Walmart ou The Walt Disney Company, mis en avant dans l’étude, ont pu profiter de la reprise au premier semestre et combler le fossé en pivotant vers de nouveaux modèles souvent inspirés des GAFA. Les résultats nets de ces entreprises ont ainsi, d’une année à l’autre sur le premier semestre, tous fait des performances remarquables avec + 913 % pour LVMH, + 96 % pour Walt Disney Company, + 79 % pour Walmart, +12 % pour Nike.
« L’innovation est un facteur de révolution pour les entreprises technologiques mais aussi pour toutes les autres, qui étaient jusqu’à présent en retrait », confirme Jean-Christophe Liaubet. Exemple : LVMH, qui a su profiter d’une reprise de certains métiers clés comme le cuir et la mode, mais aussi d’une accélération des ventes directes et du déploiement de nouvelles expériences et services. Plus largement c’est le fruit d’une remarquable stratégie d’innovation sur les leviers technologie, marketing et culturel. Avec le projet DARE, LVMH a initié un programme pour favoriser l’innovation interne et s’assurer qu’elle fasse émerger de nouvelles sources de revenus. Ce programme implique 60 participants internationaux issus des 40 marques du groupe, dont un prototype de sac utilisant un écran numérique appelé « Canvas of the future » et une plateforme de revente en ligne des chutes de tissus et de cuir, « Nona Source ». Le groupe LVMH sait aussi s’allier avec des géants, notamment Google Cloud, pour développer des modèles de prévision des ventes, d’optimisation des stocks et des expériences personnalisées. Enfin, LVMH ne s’impose pas de limite pour réussir à toucher la génération Z en développant le jeu « Louis The Game », qui permet à l’utilisateur de découvrir l’histoire du groupe et de collecter pendant le parcours des œuvres numériques (NFT). « Ce jeu, téléchargé plus de 500 000 fois, illustre également la capacité d’innovation du groupe en marketing digital et expérience client », précise l’étude.
The Walt Disney Company a réussi à innover et lancer Disney+ dans une période très favorable (plein covid) en menant une stratégie D2C (Direct to Consumers) pour acquérir, en deux ans, la moitié du nombre d’abonnés Netflix. En effet, si le contenu de Disney a toujours été distribué par des tiers, avec Disney+, la société propose son contenu en direct, en capitalisant sur sa forte image historique et se positionnant comme complémentaire au leader du marché Netflix. « Avec cette stratégie innovante, l’entreprise reprend la main sur la connaissance de ses clients et adopte un modèle de revenus récurrents plus résilient. Le succès de Disney sur un an ne repose ainsi plus sur la performance unique de quelques blockbusters, mais sur l’évolution et la cohérence de son bouquet global de contenus », expliquent les auteurs de l’étude Gafanomics.
Si les grands groupes accélèrent sur leur innovation interne, les nouveaux acteurs numériques représentent aussi un vivier d’innovation pour créer de la valeur et se réinventer face aux géants du numérique. La bonne nouvelle : l’écosystème de start-up en Europe continue sa dynamique positive avec un regain d’intérêt des investisseurs poussé par l’accélération de tendances structurantes liées au numérique pendant le covid et la capacité de certaines start-up européennes à tirer leur épingle du jeu sur cette période. « Il s’agit d’acheter de la diversité et non plus simplement des parts de marché. Le challenge est de bien identifier les entreprises à surveiller et de les intégrer », précise Cyril Vart, Vice-Executive Président de Fabernovel.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les levées en Europe pour les start-up les plus matures ont augmenté de 466 % par rapport à l’année précédente, avec l’e-commerce, la fintech, la e-santé et l’IA en tête. Le nombre de licornes explose aussi en Europe, qui en détient près de 20 %, soit 52 pépites valorisées à plus d’un milliard de dollars. Les start-up françaises ont levé 4,7 milliards d’euros au travers de 400 opérations, enregistrant une croissance de 74 % en valeur et 24 % en volume par rapport à 2020. C’est d’ailleurs la première fois dans l’histoire du marché français que plus d’un milliard d’euros ont été levés tous les mois du dernier trimestre : 1,4 milliard en mai, 1,7 en juin et 1,6 en juillet.
Scénarios pour 2024 : qui rachèterait qui ?
Les équipes de Fabernovel ont imaginé cinq cas d’acquisitions stratégiques à l’horizon 2024. Il existe plusieurs stratégies d’acquisitions, les géants s’adonnant souvent à des stratégies défensives avec de la consolidation en rachetant des acteurs identiques à leurs marchés. Dans cette nouvelle économie, et pour que le tissu technologique européen se développe, les entreprises traditionnelles et start-up devront trouver des modèles de collaboration et de création de valeur innovantes pour décupler leurs impacts. « En 2024, nous faisons le pari que ce type d’acquisitions innovantes sera monnaie courante et nous vous proposons d’imaginer ce que serait un mariage entre entreprises du CAC40 et Next 40 d’horizons différents », anticipe Cyril Vart.
- Accor et Care : après s’être diversifié dans le coworking, Accor se lance dans le secteur de la santé. En combinant le meilleur de Qare en ligne et des pratiques Accor hors ligne, les possibilités autour des cliniques hôtelières et l’hospitalité médicale qui y sont associées offrent de nouveaux horizons d’innovation pour le groupe Accor.
- Schneider Electric et Cityscoot allient leurs pouvoirs qui ont fait leur succès en créant du logiciel sur du hardware. La combinaison de leurs services et de leurs expertises dans une plateforme ouverte pourrait enrichir l’expérience des clients de Schneider Electric. D’un autre côté, Cityscoot pourrait s’appuyer sur le savoir-faire de Schneider pour passer à l’échelle et tenter de fixer les standards de la mobilité urbaine.
- Renault et Lydia s’entendent dans une alliance stratégique pour réinventer la façon de vendre des voitures et les nouveaux moyens de les financer. Lydia est en effet une référence du Next 40 lorsqu’il s’agit de développer et de vendre des services financiers centrés clients, notamment autour de l’abonnement, du partage, de l’usage…
- Sanofi intègre Shadow, qui permet de mieux répartir la puissance d’un ordinateur entre ses salles de serveur et les devices des clients, pour améliorer les performances de leur produit tout en respectant la sécurité de leurs clients, à l’ère de la santé connectée et à distance.
- EDF et Ledger : le rapport au prix pour le consommateur est un sujet sensible sur le marché de l’énergie, dont les variations sont le plus souvent dues à des facteurs externes. EDF s’allie ainsi avec Ledger, pour renforcer la transparence et la confiance auprès de ses clients grâce à la technologie blockchain, permettant de tracer le coût de l’extraction au foyer.
Apple toujours sur sa lancée
Apple est un parfait exemple de société ayant su s’imposer avant, pendant et à l’orée espérée de la fin de la pandémie du Covid, et cette performance s’explique par une croissance forte des ventes de ses produits clés comme l’iPhone, qui génère près de 40 milliards de dollars de ventes et qui enregistre une croissance de près de 50 % comparé à l’année précédente. La pénurie de semi-conducteurs dans le monde est un enjeu que l’entreprise devra surveiller aux prochains trimestres. « Apple confirme sa position dominante dans le secteur des produits électroniques en concrétisant les trois meilleurs trimestres de son histoire et en dépassant les attentes des analystes. L’entreprise fait 36 % de croissance de chiffre d’affaires au second trimestre par rapport à l’année précédente. Mais l’ombre de la régulation et de la pénurie de composants électroniques plane sur le géant à la pomme », explique Pierre Gonnet, analyste chez Fabernovel et co-auteur de l’étude Gafanomics Quarterly.
Apple réussit également sur ses activités de services qui sont liées aux commissions (allant de 15 à 30 %) appliquées aux revenus générés par les différentes applications présentes sur son store. Ce segment de revenus a en effet enregistré une croissance de près de 33 % par rapport à l’année précédente, représentant une manne de 17,5 milliards de dollars. « Apple devra relever le défi de ses méthodes jugées anticoncurrentielles de par le monde, la Corée du Sud est d’ailleurs le premier pays à demander aux plateformes d’applications d’ouvrir des alternatives à leurs offres de paiement intégrées », souligne Pierre Gonnet.