Les pénuries et les contraintes d’approvisionnement n’ont rien de nouveau pour les chaînes logistiques en électronique. Quelles leçons peut-on tirer de la crise actuelle ? Pour les leaders du secteur automobile, une série d’événements survenus en 2020 (tels que les défis liés à la planification des produits, la supply chain à plusieurs niveaux ou encore les facteurs géopolitiques) se sont combinés pour créer ce que beaucoup appellent une « tempête parfaite », c’est-à-dire une tempête qui va nous plonger dans une pénurie mondiale de semi-conducteurs pendant une bonne partie du second semestre de 2021.
Quelle est l’ampleur de la situation ? Quelles leçons pouvons-nous en tirer à l’avenir ? Après tout, les véhicules deviennent de plus en plus complexes et l’arrivée des voitures autonomes est imminente. Cette complexité ne fera qu’augmenter la demande en semi-conducteurs et autres composants électroniques clés dans la conception de nouveaux véhicules. Revenons sur le parcours de l’industrie automobile et tentons de découvrir comment elle devra évoluer pour prévenir ou atténuer les pénuries.
Le passé : 1970 – 2019
Les racines de la situation actuelle remontent à 1970, avec l’introduction de la fabrication « juste-à-temps ». Il s’agissait à l’origine d’une philosophie de gestion visant à produire exactement ce que la demande exigeait et qui a évolué vers la réduction des déchets dans la fabrication.
Cette approche a été développée et perfectionnée dans les usines de Toyota au Japon et est devenue la principale méthode de production dans l’ensemble de l’industrie automobile au fil des décennies. Le problème de cette approche, évidemment, est qu’elle dépend d’une source d’approvisionnement constante et fiable.
L’influence qu’exerce l’industrie automobile sur les pièces caractéristiques de sa supply chain lui a permis de continuer ainsi pendant des décennies, avec très peu de stocks et en se concentrant sur des économies continues. Toutefois, de nouveaux défis sont apparus lorsque ce modèle d’approvisionnement s’est étendu à des produits électroniques plus dynamiques et aux circuits intégrés standards, impliquant une clientèle beaucoup plus large et comprenant des géants de l’électronique grand public et des fabricants de smartphones.
Des industries parallèles telles que les communications et la 5G ont un impact indirect sur la continuité de l’approvisionnement et les coûts de ces produits communs. Il faut également comprendre comment les récents changements dans les tensions géopolitiques et les accords commerciaux ont été une source d’incertitude et de perturbation. Concrètement, il s’agit notamment de l’évolution permanente des tarifs de rétorsion entre les États-Unis et la Chine ainsi que des restrictions spécifiques sur le commerce avec certaines entreprises telles que Huawei sous l’administration Trump. Cette situation reste instable alors que la nouvelle administration Biden a pris ses fonctions.
Alors que les sanctions se profilaient, Huawei a stocké des puces radio critiques pour s’assurer qu’elle pourrait soutenir les opérateurs chinois dans déploiement de la 5G jusqu’en 2021. L’entreprise s’est associée à Taiwan Semiconductor Manufacturing Co. pour augmenter sa production fin 2019, en ciblant spécifiquement ses puces de communication Tiangang de 7 nanomètres utilisées dans les stations de base 5G.
Associées à d’autres sanctions commerciales au quatrième trimestre 2020, d’autres clients de la Semiconductor Manufacturing International Corporation (SMIC – principal fabricant chinois de puces) ont également été contraints de passer des commandes importantes auprès de leurs fournisseurs alternatifs, épuisant ainsi l’offre disponible.
En plus de ces politiques commerciales changeantes et de leurs répercussions, des événements majeurs imprévisibles ont continué à provoquer des retards ou des interruptions de production dans le secteur automobile. Nous venons tout juste de commémorer le dixième anniversaire du « 3-11″, comme on l’appelle au Japon – c’est-à-dire du séisme majeur au large de Sendai, le tsunami et la catastrophe de la centrale nucléaire qui l’ont accompagné et ont eu des répercussions considérables sur les sources d’approvisionnement uniques de Toyota et d’autres équipementiers automobiles.
En 2016, un autre tremblement de terre majeur dans le sud du Japon a également entraîné l’arrêt de l’ensemble des chaînes de montage de Toyota, montrant une fois de plus les vulnérabilités que présente une approche « juste-à-temps » face aux catastrophes.
Cela nous amène à 2020, année où le monde a été frappé par la crise sanitaire.
Le présent : 2020 – 2021
Il y a eu beaucoup de discussions autour des changements drastiques de la demande durant la pandémie. La hausse de l’électronique grand public est due aux nouveaux smartphones, aux nouvelles consoles de jeux vidéo mais également à l’augmentation de la demande pour ceux qui avaient besoin de technologie pour travailler à domicile.
Pendant ce temps, la demande automobile a chuté car les gens ont acheté moins de voitures pendant les pires mois de la pandémie. Ce que personne n’avait prévu, cependant, c’est le changement au quatrième trimestre qui a fait remonter cette demande de manière inattendue.
La stabilité de la demande au fil du temps a rendu l’approche « juste à temps » de l’industrie automobile facilement applicable. Compte tenu des pénuries actuelles, le système n’a pas été adapté à la volatilité des approvisionnements en semi-conducteurs et aux délais depuis plus de quarante ans.
La situation actuelle n’est pas un problème de capacité globale, mais de capacité sur de nombreux nœuds technologiques qui étaient réservés à d’autres industries comme l’électronique grand public. Les équipementiers automobiles achètent de nombreux produits électroniques à des fournisseurs de niveau 1, qui s’approvisionnent auprès de divers vendeurs. Ces derniers peuvent ou non fabriquer leurs propres plaquettes de silicium, mais au final, la fonderie n’a aucune visibilité sur la destination des puces.
En outre, les équipementiers eux-mêmes ont des objectifs multiples et s’adressent à de multiples fournisseurs de niveau 1, de sorte que même eux ne peuvent pas dire avec précision quelles puces devraient faire l’objet d’une plus grande attention. Deux choses importantes ont changé au fil du temps pour les constructeurs automobiles :
– L’élément différenciateur des automobiles modernes repose sur la technologie des semi-conducteurs. Toute l’expérience utilisateur tourne autour de ces puces.
– L’industrie dans son ensemble ne maîtrise pas la totalité de sa supply chain et ne sait pas exactement sur quelles technologies elle s’appuie. Jusqu’à récemment, les délais d’approvisionnement étaient relativement stables. La pandémie a bouleversé la demande et l’offre mais a aussi mis en évidence des lacunes en termes de visibilité et de compréhension.
On peut alors assimiler l’économie numérique à une pyramide inversée : tout le monde est dépendant de l’étape suivante, de l’électronique aux semi-conducteurs en passant par les fonderies. Lorsque l’on atteint le bas de la pyramide, il n’y a qu’une poignée d’acteurs dans la base d’approvisionnement qui peuvent fabriquer les semi-conducteurs nécessaires à l’industrie automobile et aux autres industries électroniques.
Avec une utilisation correcte jusqu’à présent, personne ne pouvait voir les problèmes de cette structure. La responsabilité est également poussée vers le bas de la pyramide, souvent vers les fournisseurs clés de niveau 1 et de semi-conducteurs, les constructeurs automobiles supposant qu’un pourcentage de la capacité leur était réservé, ce qui n’était pas le cas.
Il faut agir davantage comme les fabricants de smartphones : ces derniers savent où va leur approvisionnement, d’où il vient et ont cartographié leur supply chain en conséquence. Néanmoins, ce n’est qu’un premier pas, regardons vers l’avenir, au-delà des pénuries immédiates.
Se préparer pour l’avenir
Si cette pénurie est le résultat de plusieurs facteurs immédiats, d’autres tendances continueront à exercer une pression sur tous les niveaux de la fabrication automobile au fil du temps.
L’électronique automobile représentera 50 % du coût total du véhicule d’ici 2030, soit une augmentation de 15 % par rapport à 2010. Cette évolution correspond à l’essor des véhicules autonomes et à la complexité de l’électronique présente dans leur conception. Les équipementiers peuvent profiter de cette opportunité pour faire progresser les supply chain et peindre un avenir meilleur.
Si l’on prend l’exemple de Tesla : ils conçoivent leurs propres puces et architectures, en partant de zéro. Cela crée deux avantages distincts : un lien avec l’offre elle-même et aucun besoin de la partager avec d’autres concurrents ou industries.
Dans le cas des MCU, par exemple, les OEM achètent une technologie prête à l’emploi qui risque d’être utilisée ailleurs. Le coût est plus faible, grâce au volume global, mais il existe un postulat dangereux selon lequel l’offre peut être partagée entre toutes les demandes.
Les équipementiers automobiles et fournisseurs de niveau 1 doivent donc repenser la conception de leurs produits et leurs stratégies de plate-forme. Ils peuvent modifier l’architecture pour se donner plus de contrôle. En ce qui concerne les véhicules à conduite autonome, General Motors ne veut pas acheter la même puce radar que Ford ou Chrysler. Ces concurrents se battent pour la même technologie, alors que quelqu’un comme Tesla a créé la sienne.
Nous nous dirigeons vers une nouvelle normalité : la seule chose dont nous pouvons être certains, c’est que de vastes changements sont nécessaires et inévitables. Les fonderies constatent déjà que certains OEM et fournisseurs de niveau 1 renforcent leur intégration verticale et s’engagent spécifiquement à fabriquer leur propre silicium. Une stratégie clé pour améliorer la résilience et le contrôle lorsque des éléments de la supply chain sont vulnérables.
Compte tenu de la résistance des semi-conducteurs à l’évolutivité rapide, nous pouvons être optimistes sur l’avenir : les choses s’arrangeront mais les futurs leaders chercheront à concevoir avec de plus grandes résilience et flexibilité, de la conception de la plate-forme à la coordination de la supply chain, alors que les anciens mettront plus de temps à s’adapter, étant donné la nature rigide de leur supply chain.
Cet article a été écrit par Richard Barnett, CMO de Supplyframe.