Territoires numériques : beaucoup reste à faire

Claudy Lebreton vient de remettre son rapport sur les territoires numériques de la France de demain à la ministre du logement Cécile Duflot. Au même moment, Syntec Numérique publie un guide des bonnes pratiques de la ville numérique.

Le rapport de Claudy Lebreton, président du Conseil Général des Côtes d’Armor et président de l’Assemblée des Départements de France, s’ouvre sur un constat : en matière d’économie numérique, les enjeux sont si vastes que les politiques actuelles peinent à les adresser. « Notre approche du numérique, telle qu’elle est traduite dans les politiques publiques mises en œuvre, est polarisée sur les infrastructures et les équipements. Une dimension nécessaire mais certainement pas suffisante », pointe ainsi le président du Conseil Général des Côtes d’Armor. « En effet, ce que promet la société du numérique qui se dessine sous nos yeux, c’est une toute autre façon de nous représenter et de concevoir l’espace, le temps, la planète, le vivant, les relations humaines… » En préambule, il note également « les risques qu’il y aurait à réduire le numérique à sa dimension technologique et même économique », estimant que « si le numérique bouscule nos pratiques quotidiennes, il n’en mérite pas moins une mobilisation de notre intelligence collective et une adaptation en profondeur de nos politiques publiques. »

De son côté, Syntec Numérique conforte ces observations. Avec son Baromètre des Villes Numériques, publié en juin 2013, le syndicat a constaté que « le développement des outils numériques s’est fait parfois de manière désordonnée, du fait d’un besoin urgent de formation et de la diffusion rapide des innovations, dans un contexte de décentralisation et d’autonomisation croissante des villes. »

Le rapport Lebreton est bâti en trois parties. La première dresse un diagnostic de la situation française et des enjeux auxquels l’état se retrouve aujourd’hui confronté dans ce domaine. Ensuite, il passe en revue les opportunités du numérique, pour enfin proposer une série de 22 recommandations.

À la lecture de la première partie, force est de constater que le monde du numérique et les transformations qui l’accompagnent ne sont pas encore véritablement pris en compte dans les politiques territoriales. Dans cet état des lieux, le rapport pointe tout d’abord les inégalités en matière d’accès et d’usage, pour ensuite s’intéresser aux conséquences du progrès technologique sur la société : modification des modes de travail et de production, accélération du temps, recomposition de la chaîne de valeur ou encore nouveau rapport au savoir. Il examine enfin les politiques actuelles autour de ces enjeux. Il en ressort que par rapport aux autres pays, la France apparaît comme un acteur « moyen et suiviste » en matière de politique autour de l’économie numérique, sans retard grave mais « sans avance dans un secteur particulier » non plus.

Selon le rapport Lebreton, « la grande majorité des élus territoriaux considèrent désormais que les technologies numériques et l’internet jouent un rôle puissant de transformation des capacités de leur territoire à survivre et à se développer. » Néanmoins, les possibilités du numérique sont multiples et pas toujours aisées à appréhender. Pour cette raison, la seconde partie recense les principaux domaines pouvant faire l’objet de choix politiques dans ce domaine : la manière même de concevoir la ville tout d’abord, mais aussi le développement des territoires, tant sur le plan de l’emploi que du tourisme ou de la consommation énergétique ; l’éducation ; la santé et la prise en charge de la dépendance ; l’administration et l’accès aux services publiques ou encore l’accompagnement des usages numériques.

Le rapport s’achève sur une série de 22 recommandations, certaines plutôt généralistes et visant à se doter d’outils d’observation, de concertation ou de mutualisation, d’autres axées sur des domaines précis comme le développement du télétravail ou la prise en compte du numérique comme une discipline fondamentale dans le système éducatif.


Guide Syntec Numérique : une typologie des projets par publics cible

Plus pragmatique, le guide du Syntec se limite à un type de territoire, la ville. Il est conçu comme une boîte à idées de projets classés par domaine d’activité, en s’inspirant des 200 projets examinés pour son Baromètre. Il vise à répondre aux grandes questions que peuvent se poser les décideurs locaux : qu’est-ce qui est possible, par où commencer, à quel public s’adresser, de quelles compétences ai-je besoin, comment procéder ?

Point fort du guide, les projets ont été classés selon la typologie des publics ciblés et leurs parcours dans la ville. Par exemple, « il convient de distinguer le citoyen qui habite la ville et celui qui n’y vient que pour travailler, qui réside peut-être en milieu rural et qui ne vient qu’aux heures de bureaux. » Huit publics types sont ainsi recensés : habitants, actifs venant travailler dans la ville, entreprises, salariés, associations, administration qui fournit les services, administration qui communique et enfin touristes.

Défendant les intérêts des acteurs de l’économie numérique, le Syntec profite également du guide pour glisser une revendication sur la forme de la commande publique, relayant certaines craintes des industriels face aux procédures de type « dialogue compétitif ». Celles-ci « demandent aux industriels d’investir ou d’innover en amont des appels d’offres traditionnels. », avec deux risques : celui de ne pas récupérer leur investissement s’ils ne remportent pas l’appel d’offre, et celui « de se faire piller leur propriété intellectuelle. »


L’avis de Best Practices

Les constats dressés par le rapport Lebreton sont indéniables. Néanmoins, les recommandations proposées semblent parfois trop frileuses par rapport à l’urgence : en effet, comme le rapport lui-même l’a observé, l’une des caractéristiques de ce monde numérique est l’accélération du temps.

Dans ce contexte, la mise en place de conseils, conventions, observatoires ou statuts spécifiques sont-ils réellement les réponses les plus adaptées? Cette volonté de prudence et de mise en place de garde-fous est compréhensible, néanmoins, n’est-ce pas trop reculer le moment du saut, au risque cette fois d’accumuler un retard difficilement rattrapable ensuite ?

Si la politique est bien entendu le lieu où privilégier la réflexion, en matière d’économie numérique c’est peut-être davantage d’exemples concrets et d’actions précises et ciblées qu’ont besoin les acteurs, tant élus locaux qu’entreprises ou citoyens.
De son côté, le guide du Syntec adopte une vision proche du terrain, axée sur les projets en eux-mêmes. Pour les entreprises du secteur, le développement numérique des villes et des territoires représente en effet un marché potentiel conséquent et attractif. Néanmoins, face à la crainte évoquée dans le guide de se faire « piller leur propriété intellectuelle », l’on pourrait objecter que certaines pratiques commerciales actuelles ne favorisent pas la mutualisation des ressources et des projets, un enjeu important pour les collectivités en plein contexte d’optimisation budgétaire.


Retour sur le projet IssyGrid

Il y a un an, Best Practices Systèmes d’Information présentait un projet mené par la ville d’Issy-Les-Moulineaux autour des réseaux intelligents ou smart grids (voir Best Practices n°94, 8 octobre 2012) l’un des chantiers possibles pour les villes numériques de demain selon le Syntec. Depuis septembre 2013, ce smart grid est opérationnel dans le quartier Seine Ouest.

Ce projet devait répondre à deux grands objectifs :

  • permettre à la ville et aux habitants de réaliser des économies grâce à l’optimisation des consommations et à la mutualisation des ressources entre les bureaux, logements et les commerces ;
  • contribuer au lissage des pointes de consommation électrique et à l’équilibre général du réseau.

Ce réseau intelligent mis en place repose notamment sur un système d’information conçu par Embix, Steria et Microsoft, capable d’analyser la production et la consommation d’énergie dans le quartier. Il nécessite également d’équiper les bâtiments de dispositifs de mesure et de pilotage afin de suivre et d’ajuster la consommation d’énergie. Deux immeubles de bureaux et près d’une centaine de logements sont actuellement dotés de tels outils, des compteurs intelligents pour les particuliers et des systèmes de pilotage plus complexes pour les immeubles de bureau. Enfin, un réseau d’éclairage public basé sur des lampadaires communicants a été mis en place dans trois rues. L’éclairage peut ainsi s’adapter automatiquement en fonction de l’heure, du trafic et des saisons.