La dernière étude Gafanomics de Fabernovel, qui combine à la fois la vision financière, stratégique et technologique de ses experts, analyse les moteurs des grandes entreprises technologiques et leurs stratégies de développement.
Cette année 2020 a plus que jamais illustré l’importance prise par les géants de la Tech dans les usages de la vie quotidienne. 45 minutes de panne de Google ont suffi pour montrer l’hyper-utilité de ses services et à quel point les utilisateurs en étaient dépendants. Bien que la plupart des pays européens aient incité leurs citoyens à soutenir les entreprises locales, les mesures sanitaires ont bénéficié à des acteurs tels qu’Amazon, dont 2020 fût jusqu’à présent la meilleure année en terme de performance financière.
Le groupe de Jeff Bezos a su jouer sur la diversité des produits, la livraison et sa rapidité d’adaptation. A tel point que leurs puissances sont devenues hors de contrôle des autorités. En atteste les tweets d’Elon Musk qui se permet, notamment, d’indiquer que le cours de bourse de Tesla est bien trop haut et d’autres tweets incendiaires contre la Réserve Fédérale. Mais aussi Google, Amazon et Apple, qui décident de leur propre chef de bloquer l’application Parler, ou encore Twitter et Facebook de bannir Trump.
Alors que l’industrie traditionnelle a ralenti à cause du Covid-19 (0 % de croissance des ventes en 2019-2020, pour les entreprises du NYSE et du SBF 120 français, en moyenne), les géants technologiques ont réussi à maintenir un rythme de croissance très élevé : 23 % d’augmentation des ventes (contre + 18 % en 2019) et une évolution de + 27 % des bénéfices avant impôt (contre 16 % en 2019).
L’Index de Fabernovel des GAFAnomics Quarterly montre que ces vingt entreprises ont connu une croissance médiane en terme de capitalisation boursière de 71 % par rapport à 2019. « Les capitalisations des géants ont atteint des sommets en 2020. Apple vaut à elle seule l’équivalent de toutes les entreprises du CAC 40 réunies. Les quatre GAFA pèsent, quant à eux, environ de trois fois la capitalisation du CAC 40. Ces résultats illustrent l’antifragilité face à la crise du Covid-19 et la capacité de ces géants à s’adapter face aux contraintes », explique Jérémy Taïeb, analyste financier chez Fabernovel et co-auteur de l’étude.
En l’espace de vingt ans, les Big Techs sont ainsi devenues les entreprises les plus puissantes : huit sur dix des entreprises les plus cotées au monde en 2020 sont des entreprises technologiques. Mais on constate, ces dernières années, une prise de conscience de cette puissance et de ses excès, du côté des consommateurs, mais aussi des régulateurs, qui ont sanctionné certains abus au cas par cas.
Ce momentum mène aujourd’hui à une volonté de repenser le cadre réglementaire des plateformes numériques de façon plus globale. Pour réglementer de manière efficace et recréer un écosystème compétitif sain, il est nécessaire de comprendre pleinement le modèle des Big Tech et leurs stratégies complexes, articulées autour de leurs boucles de valeurs reposant sur des interconnexions et des ponts entre leurs différentes activités. Ce sont ces stratégies qui, poussées à l’extrême, ont abouti à certains abus et positions dominantes. L’étude de Fabernovel en décrypte cinq illustrations.
Des interconnexions de plus en plus étroites entre les activités
Amazon a, par exemple, poussé de façon extrême ses interconnexions entre ses activités, avec son offre Amazon Prime incluant notamment Prime Video, qui agit comme un produit d’appel et vient s’inscrire dans une boucle de valeur pour attirer et rediriger de nouveaux clients vers la marketplace. Cette même marketplace qui va réinvestir dans le financement des productions vidéos de Prime, dont le modèle fonctionne à perte.
Cela crée un avantage concurrentiel injuste par rapport aux services de streaming qui doivent atteindre la rentabilité et peuvent difficilement concurrencer les investissements d’Amazon dans le contenu (7 milliards de dollars en 2020).
De l’accès exclusif aux données à la rétention d’informations
L’accès de Google aux données mais, surtout, sa collecte et rétention des données de ses partenaires ont permis de consolider sa position de gatekeeper : un passage obligé pour les annonceurs. En France, cette position de force de Google lui permet de dicter les règles du marché de la publicité en tirant les prix à la baisse, en profitant de sa capacité à négocier seul face à un marché fragmenté de plus de 285 titres de presse.
Une position dominante dans la distribution d’applications
Apple est quant à lui le passage obligé pour distribuer les presque deux millions d’applications développées par son écosystème sur son système d’exploitation iOS. Apple s’appuie sur cette position pour définir unilatéralement ses propres politiques de prix et ses conditions générales.
Ainsi, Apple a un pouvoir de décision total sur le pourcentage de commission fixé, captant la majeure partie de la valeur, tandis que certains marchés constatent de ce fait une érosion de leurs marges : par exemple celles de l’industrie du jeu vidéo, divisées par deux en moins de dix ans.
De la construction d’un écosystème à un phénomène de concentration
Grâce à ses différentes acquisitions (Instagram, WhatsApp), Facebook a renforcé sa position de leader du marché, devenant incontournable, avec ses 2,7 milliards d’utilisateurs actifs mensuels. Facebook a en effet construit son écosystème par acquisitions (92 rachats d’entreprises contre 24 en moyenne pour les entreprises du S&P 500).
Ces rachats de concurrents établis, qui n’étaient déjà plus de petites startup, équivalent à accaparer les capacités d’innovation d’un marché et créer des barrières importantes pour les challengers. Cette position permet d’ailleurs à Facebook de dicter ses conditions, aussi bien à ses utilisateurs qu’aux annonceurs.
Tirer parti d’un solide écosystème de services
L’outil de collaboration Slack est vendu en tant que service autonome (6,67 dollars par utilisateur), quand Microsoft propose sa solution concurrente dans le package des services de sa suite Office 365 pour moins de cinq dollars par utilisateur. Sans cette Suite Office, il est peu probable que Teams ait pu se développer deux fois plus vite que Slack.
Difficile pour ses concurrents de rivaliser avec une base de 200 millions d’utilisateurs actifs mensuels et la vélocité de ces modèles, malgré les fonctionnalités et les atouts d’une application individuelle, comme en atteste le rachat de Slack par Salesforce.
« La régulation doit viser à fixer des limites aux GAFA, tout en préservant leur pouvoir d’innovation et leur capacité de création de valeur pour les entreprises et les utilisateurs. Aujourd’hui, la concentration des GAFA et leur vélocité entraînent un effet qui met en danger les acteurs en place. Cela implique de corriger les excès actuels, mais aussi de penser un cadre de régulation capable d’anticiper les évolutions futures de ces géants de l’économie numérique » explique Gabrielle Peyrelongue, analyste chez Fabernovel et co-auteure de l’étude.
Pour Axelle Ricour-Dumas, directrice Corporate Strategy de Fabernovel, « la réglementation seule ne réussira pas à inverser la tendance actuelle et à permettre l’émergence de champions européens. Il est nécessaire d’être proactif et de mettre en œuvre des plans industriels européens pour stimuler et favoriser l’innovation, grâce à l’interopérabilité des chaînes d’approvisionnement ou à la modernisation des boucles de valeurs et des infrastructures locales. Les entreprises doivent unir leurs forces et créer des alliances afin de collaborer de manière plus égale avec les GAFA, mais aussi les remettre en question et proposer des alternatives européennes. »
Le Top 10 des capitalisations boursières en 2000 et en 2020 | ||||
Rang | Capitalisations boursières | |||
2000 | 20200 | |||
Nom | Milliards de $ | Nom | Milliards de $ | |
1 | General Electric | 466 | Apple | 2 232 |
2 | Exxon Mobil | 296 | Saudi Aramco | 1 865 |
3 | Pfizer | 288 | Microsoft | 1 678 |
4 | Microsoft | 281 | Amazon | 1 635 |
5 | Cisco Systems | 273 | Alphabet | 1 188 |
6 | Citigroup | 270 | 778 | |
7 | Intel | 227 | Tencent | 691 |
8 | Shell | 220 | Tesla | 669 |
9 | AIG | 213 | Alibaba | 649 |
10 | Vodafone | 199 | Berkshire Hathaway | 546 |
Source : Gafanomics Quarterly, Fabernovel, février 2021. |
Des capitalisations boursières au plus haut
Parmi ces acteurs, plusieurs ont propulsé à la hausse cette capitalisation, notamment Tesla qui a doublé la sienne en un trimestre avec 407 milliards de dollars (+102 %). Ces performances s’illustrent aussi sur le plan financier, puisque, malgré une année difficile, ces entreprises font en moyenne 25 % de croissance sur les ventes et 18 % sur le flux de trésorerie par rapport au même trimestre de l’année précédente.
Elles ont toutes été plus rentables, affichant une impressionnante croissance de + 44 % de leur résultat opérationnel, en moyenne. Baidu, le B des BATX, l’équivalent de Google en Chine, a presque doublé son cours de bourse en un trimestre, ce qui fait suite à de bons résultats (+165 % de bénéfices), mais aussi à une annonce stratégique de partenariat sur le marché des véhicules électriques avec l’entreprise chinoise Geely.
C’est aussi la sous-évaluation du marché de l’Internet chinois, relevée par les analystes, en anticipant notamment une croissance du secteur de la publicité en ligne début 2021, qui semble avoir été entendue par les investisseurs.