On vante beaucoup les réussites en matière de transformation digitale, mais beaucoup moins souvent les échecs. C’est probablement un sujet tabou alors que le principe de l’échec est vanté comme une approche particulièrement féconde pour progresser.
L’auteur de cet ouvrage, Vincent Giolito, professeur de stratégie à l’EMLyon, se concentre sur l’échec stratégique en entreprise, dans le contexte de la transformation des organisations pour s’adapter à la digitalisation du monde. Mais il va plus loin : il indique comment intercepter les erreurs stratégiques pour éviter l’échec.
L’erreur est quotidienne
« Faire une erreur, c’est risquer l’échec stratégique. Faire une erreur, c’est se tromper sur la règle à suivre. Mais dans un contexte aussi complexe et mouvant que celui du numérique, où les GAFA imposent des standards, deviner la bonne règle est une gageure ! Laquelle suivre ? Laquelle briser ? », se demande l’auteur. Il décrit la transformation numérique comme une vague : « La question n’est plus de savoir s’il faut la surfer, ceux qui l’ont ignorée sont déjà oubliés. Il faut apprendre de ses échecs, mais il ne faut pas attendre l’échec. Les erreurs ont cet avantage qu’il est possible de les repérer et, le plus souvent, de les corriger bien avant qu’elles aient produit leurs effets. » Les erreurs font partie du quotidien de n’importe quel manager et dirigeant. L’auteur propose, à partir d’une métaphore routière, une matrice qui combine le degré de préparation de l’entreprise (son expérience) et l’impact attendu de la transformation numérique. On trouve ainsi quatre types de trajectoires :
- la route monotone, lorsque des entreprises, peu préparées, engagent des projets à faible impact. « Elles circulent tranquillement sur une route qui peut sembler monotone, mais sur laquelle elles peuvent gagner en expérience. »
- les dérapages contrôlés, lorsque « des entreprises expérimentées dans les projets numériques s’exposent à des dérapages qui peuvent laisser des traces. »
- le « droit dans le mur », qui concerne des organisations mal préparées « qui comptent révolutionner leurs opérations mais se dirigent droit dans le mur en klaxonnant. »
- les courbes (d’erreurs) bien négociées sont caractéristiques des entreprises qui disposent d’une bonne maturité digitale, « savent en délimiter les ambitions et négocier au mieux les déviations et virages inévitables qui surgiront au fil du chemin. »
Pour Vincent Giolito, « faire une erreur, c’est dévier par rapport à une règle d’action. Le problème, c’est que dans la transformation numérique, alors que le tsunami change de hauteur, de force et de vitesse à tout instant, identifier la règle d’action tient du tour de force. Ultimement, c’est l’échec (situation où les objectifs de l’entreprise ne sont pas atteints) qui détermine l’erreur, rétrospectivement. » Une erreur stratégique a quatre caractéristiques essentielles : la déviation et l’échec sont involontaires et collectives, l’échec est évitable, l’erreur est dynamique au cours du temps, elle est également interactive et relationnelle. Pour Vincent Giolito, « engager la transformation numérique d’une entreprise suppose de changer de règles de référence. Il faut, par définition, se mettre dans l’erreur par rapport aux habitudes, à la stratégie, aux processus qui font tourner l’entreprise aujourd’hui. »
Tuer le messager
Hélas, beaucoup d’entreprises ignorent les risques d’erreurs, notamment, explique l’auteur, parce que « les dirigeants partent du principe que l’erreur doit être chassée de l’entreprise. Ils attendent de leurs équipes qu’elles leur apportent surtout de bonnes nouvelles : les projets sont à l’heure, les ventes sont au budget, les coûts sont maîtrisés… Les collaborateurs qui apportent de mauvaises surprises se font rabrouer, voire pire. Le message implicite est qu’on tuera un tel messager. »
C’est un comportement logique, dans la mesure où, dans l’inconscient collectif, « l’erreur fait peur, elle est injuste et elle stigmatise, parce que l’on dévie de la norme », résume l’auteur. Il propose une approche de management des erreurs sous la forme d’un triple A : apprécier les signes d’erreurs, admettre les erreurs et agir.
Apprécier les signes d’erreurs signifie que « ce qui va trop bien, beaucoup mieux que prévu, doit être appréhendé comme un signe d’erreur puissant, surtout lorsqu’il s’agit de promesses. Croire qu’un projet digital résoudra toutes les difficultés d’une organisation, comme l’ont fait le gouvernement français avec l’écotaxe ou Boeing avec son patch logiciel, c’est se préparer à l’erreur. Il faut se demander quelles pourraient être les pires conséquences d’un éventuel échec du projet. »
Admettre les erreurs est tout aussi important, surtout si c’est fait suffisamment tôt : « Admettre l’erreur, c’est-à-dire reconnaître à la fois la probabilité de l’échec et la déviation qui en est la cause, est un test majeur de leadership, à l’ère digitale encore plus qu’auparavant », affirme l’auteur. Quant à l’action, elle permet de développer de nouvelles opportunités, d’infléchir le projet, de le transformer, voire de le débrancher…
Les 16 plus belles erreurs de la transformation numérique, par Vincent Giolito, Eyrolles, Fabernovel, 2020, 221 pages.
Trois mythes sur les erreurs
1. L’erreur est individuelle : non, elle peut être aussi, et surtout, organisationnelle.
2. L’erreur est éliminable : non, même si on peut bien sûr en réduire le nombre et l’impact.
3. Apprendre est nécessaire pour éviter de refaire les mêmes erreurs : non, car « la même erreur » n’existe pas, dans la mesure où les circonstances évoluent, surtout en matière de transformation numérique.