Projet Unicorn : une fiction bien réelle

Il n’est pas indiqué que le récit s’inspire de faits réels. Pourtant l’histoire, une fiction, bien sûr, selon les critères littéraires, rencontre si bien la réalité.

L’auteur, Gene Kim, fondateur du DevOps Enterprise Summit, nous raconte les péripéties de Maxine, développeuse expérimentée et architecte logicielle, qui travaille dans un grand groupe spécialisé dans la production et la vente de pièces détachées automobiles, Parts Unlimited. A la suite d’une défaillance technique dans le système de paie dont elle est rendue responsable, elle est mise au placard par son patron et affectée au « Projet Phoenix », un ambitieux programme destiné à booster les ventes, en particulier via le e-commerce et le multicanal, point faible du groupe industriel, qui dispose d’un réseau de mille points de vente physiques qui ont du mal à tenir face à l’offensive de concurrents plus agiles.

Un exemple classique de catastrophe : « Le projet Phoenix avait été présenté comme le flambeau qui guiderait l’entreprise vers un avenir radieux. Il aurait dû être achevé trois ans auparavant, et vingt millions de dollars étaient partis en fumée, sans autre résultat que des développeurs frustrés. »

Alors qu’elle se débat dans une organisation bureaucratique et déshumanisée, Maxine est approchée par la Rébellion, un petit groupe de développeurs qui œuvrent pour renverser l’ordre établi. Leur objectif : redonner le goût du travail aux collaborateurs et sa capacité d’innover à l’entreprise, afin que celle-ci puisse survivre et prospérer dans un environnement économique aussi incertain que concurrentiel.

Presque malgré elle, Maxine va se retrouver toujours plus impliquée dans ce mouvement jusqu’à en devenir l’une des leaders et la cible d’ennemis internes déterminés. Au-delà du récit de fiction, cet ouvrager dénonce les travers d’une gestion d’entreprise trop verticalisée et les freins qui en résultent. « Pour être aussi aigri, se dit Maxine, c’est sans doute un développeur senior. Rester bloqué sur un projet comme Phoenix, ça doit plomber le moral. »

On retrouve en effet tous les maux que connaissent tous les développeurs, chefs de projet et DSI. Une gestion de projet qui se veut innovante avec des méthodes dignes des années 1970, la difficulté d’obtenir des espaces de stockage pour les tests, une dette technique hors de contrôle, l’absence d’une équipe de production, des montée en charge sous-estimées, sans oublier des systèmes de gestion de tickets cauchemardesques. Maxine se demande pourquoi le système est si déplorable : « On est tous employés dans la même boîte, comment ca se fait que j’ai l’impression d’avoir affaire à des fonctionnaires ou à un prestataire qui ne me connaît pas ? C’est peut-être parce que quand on se rend service entre amis, on ne se demande pas d’ouvrir des tickets. »

Pour Maxine, un système logiciel sain, c’est un système que l’on peut modifier aussi rapidement que nécessaire et auquel les gens peuvent contribuer facilement sans devoir franchir toute une série d’obstacles. Autre question que se pose Maxine : Comment peut-on créer une application qui ait la moindre valeur si on a aucun retour sur la manière dont elle est utilisée ? Évidemment, cette situation de blocage entraîne des velléités de résistance. Dave le Grincheux, l’un des développeurs, rappelle que « le seul moyen de faire quoi que ce soit, dans cette boîte, c’est d’enfreindre les règles. Il faut organiser vingt réunions pour le moindre truc. »

C’est l’une des causes de l’échec du projet Phoenix, selon Shannon, elle aussi développeuse : « Ils ont sous-traité l’informatique, puis ils l’ont rapatriée en interne, puis ils en ont sous-traité certaines parties, puis d’autres, puis ils les ont réagencées. On a gardé la même organisation en interne qu’avec les sous-traitants et on ne peut rien faire sans l’aval de managers sur trois ou quatre niveaux hiérarchiques différents. »

L’auteur met en exergue les principes organisationnels susceptibles d’améliorer la productivité de toute entreprise et les cinq « Idéaux » d’un environnement épanouissant, propice à la créativité et à la performance : la localité et la simplicité (pour réduire la dette technique, ou dette de complexité), la concentration, l’amélioration du travail au quotidien (le contraire du classique « On a toujours fait comme ça »), la sécurité psychologique (le contraire de la culture de la peur qui cherche des coupables à chaque problème, au lieu d’en identifier la cause technique ou organisationnelle) et l’approche centrée sur le client.

On s’en doute, les aventures de Maxine et de ses collègues, au sein du collectif « Rebellion », se terminent bien, à tel point que le groupe industriel a fini par être reconnu comme une entreprise très innovante, avec une application mobile devenue très populaire grâce à un prix de Design. Effet collatéral : la DSI a doublé de taille ! L’auteur ne nous emmène pas plus loin, mais il pourrait trouver matière à une suite : car les mauvaises habitudes reviennent vite !

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Le projet Unicorn, une histoire de développeurs, de disruption et de survie à l’ère des datas, par Gene Kim, Editions Quanto, Presses polytechniques et universitaires romandes, 377 pages.