Le coup de frein de l’activité économique et la fragilisation de la santé financière des donneurs d’ordres va peser sur le marché français de la dématérialisation de documents. Si la crise a un impact négatif, elle a également pour mérite d’encourager les entreprises à mettre les bouchées doubles pour migrer vers le numérique.
Le marché français de la dématérialisation de documents a reculé de 6 % en 2020, après une hausse de 8 % en 2019, pour ensuite s’offrir un rebond mécanique en 2021 (+ 4,5 %), selon les prévisions des experts de Xerfi Precepta (*). Le recours au télétravail pendant les périodes de confinement a nécessité de renforcer les dispositifs de dématérialisation des documents (factures fournisseurs, fiches de paie, documents internes, etc.) et d’automatisation des back office. Le marché profite toujours de puissants moteurs de croissance comme les obligations réglementaires en matière de dématérialisation, le caractère régional ou mondial des chaînes de valeur, la hausse structurelle et exponentielle des données et documents, ou encore les progrès technologiques continus. Une fois passé le trou d’air de 2020, le marché retrouvera peu à peu de la vigueur pour générer un chiffre d’affaires de 9 milliards d’euros en 2023, dont 64 % pour les flux entrants/sortants/circulants devant la sécurisation des échanges (21 %) et l’archivage électronique (15 %), d’après les calculs des experts de Xerfi Precepta.
« Dans le sillage de la crise, la rationalisation des coûts va prendre une importance particulièrement stratégique au sein des entreprises. Compte tenu de sa promesse de valeur centrée sur la réduction des coûts et du recentrage des clients sur leur cœur de métier, la dématérialisation des documents devrait entrer davantage dans les habitudes des sociétés. Il restera néanmoins deux freins à son expansion : l’utilisation toujours prégnante du papier et la réticence des entreprises à partager certaines données sensibles », estime Thomas Roux, auteur de l’étude Xerfi.
S’il faudra patienter jusqu’en 2022 pour que le marché retrouve son niveau d’avant la crise, les acteurs de la dématérialisation des documents se mettent déjà en ordre de bataille face à l’intensification de la concurrence qui se profile en raison des bonnes perspectives. A l’exception du développement sur la clientèle des PME et le déploiement à l’international, la plupart des axes de croissance des professionnels de la dématérialisation actionnés avant la crise restent pertinents.
L’élargissement de l’offre est ainsi plus que jamais une nécessité. Les stratégies de diversification doivent être plus poussées en s’orientant plus globalement dans le BPO (business process outsourcing) pour couvrir d’autres processus métiers, à l’image de la gestion de la relation client, le facility management ou encore la gestion de la supply chain. Suite au rachat du centre de contact ADM Value en décembre 2019, Tessi, acteur clé de gestion documentaire et du BPO, s’est positionné dans la relation client.
L’arme redoutable du digital
Compte tenu de son caractère hautement technologique, la dématérialisation des documents confère au développement digital une importance cruciale. D’un côté, il permet d’enrichir les offres adressées aux clients grâce notamment au cloud et à l’intelligence artificielle : lecture et reconnaissance automatiques des documents, reconnaissance optique, automatisation robotisée des processus et saisie informatique. De l’autre, le digital permet de mieux rationaliser ses coûts en interne (outils CRM…). En réalité, le digital est une arme redoutable pour les prestataires afin de dynamiser un chiffre d’affaires et une efficacité opérationnelle mis à mal par la crise.
Pour enrayer les fortes pressions tarifaires émanant des donneurs d’ordres, les professionnels n’ont pas d’autre choix que de miser sur la qualité et la différenciation. Ce défi est d’autant plus urgent à relever que le marché fait face à un afflux massif de nouveaux entrants issus du Web et proposant des solutions clés en mains souvent low cost. Dans ce contexte, la spécialisation sectorielle (santé, banque/assurance, grande distribution…) semble incontournable, alors que les donneurs d’ordres attendent toujours davantage de prestations personnalisées. Enfin, les prestataires doivent adopter un discours marketing centré sur la performance économique à long terme et plus uniquement sur la réduction des coûts à court terme grâce à une hausse de la dimension conseil.
Vers un marché à deux vitesses
Si la concurrence va monter d’un cran à moyen terme avec l’arrivée de nouveaux entrants, le marché risque fort de se polariser entre, d’un côté, une offre premium multi-compétences pour les grands comptes et, de l’autre, une offre low cost destinée aux projets moins complexes et d’envergure modeste. Selon les experts de Xerfi, dans un marché qui ne cesse de se structurer, les leaders (Docaposte, Parangon, Tessi, Jouve, Xelians notamment) vont accentuer leur stratégie de différenciation (en particulier sectorielle) pour renforcer la stratégie de conquête et de fidélisation de leur clientèle. A ce petit jeu, les prestataires de services (Iron Moutain ou Quadient par exemple) et les éditeurs de logiciels (Docusign, Esker ou Cegedim entre autres) sont idéalement placés. Dans le même temps, les majors de la dématérialisation vont poursuivre leur stratégie de croissance externe, d’autant plus que la crise va fragiliser certains opérateurs qui deviendront ainsi des cibles potentielles.
(*) Les perspectives du marché de la dématérialisation des documents à l’horizon 2023 – Quels sont les acteurs les mieux armés pour répondre aux enjeux et défis post-crise ?, étude Xerfi.
Les (mauvaises) stratégies possibles de dématérialisation : principaux avantages et inconvénients | ||
Stratégies | Avantages | Inconvénients |
Ne rien faire | Aucun efforts ni ressources nécessaires | • Poursuite de la dérive des coûts • Persistance de mauvaises habitudes chez les utilisateurs • Décalage par rapport aux usages du cloud |
Optimiser à la marge | Réduction (faible) des coûts | • Pas de vision globale • Efficacité limitée • Prise en compte partielle uniquement de l’aspect coûts • Pas de dématérialisation de bout en bout |
Faire tout soi-même | Moindre dépendance à l’égard des fournisseurs | • Mobilisation de ressources internes • Surcoût des développements spécifiques et de maintenance • Efficacité limitée • Faibles agilité et flexibilité • Délais non maîtrisables |
Externaliser pour se débarrasser du problème | • Réduction des coûts • Libération de ressources internes |
• Dépendance à l’égard du prestataire • Peu de prise en compte de l’évolution des usages |
Source : Digitalonomics. |
Quatre stratégies qui mènent à une impasse
1. Ne rien faire : attention à l’effet boomerang
La première stratégie serait de ne rien faire. Soit parce qu’il n’y a aucune contrainte budgétaire, soit parce que l’on considère que les enjeux ne sont pas suffisants et que d’autres domaines méritent davantage d’attention.
Cette approche a deux inconvénients majeurs : d’une part, même en l’absence de contraintes budgétaires, il arrivera un moment où les inconvénients de processus obsolètes se feront sentir au quotidien, avec des coûts démesurés que n’importe quel benchmark mettra en évidence et qu’il est très dangereux de laisser dériver. La dématérialisation s’imposera. D’autre part, il ne sert à rien de conserver les mauvaises habitudes des utilisateurs, surtout ceux qui effectuent des tâches fastidieuses basées sur des processus papier ou insuffisamment dématérialisés.
2. Optimiser à la marge : peut mieux faire…
Deuxième stratégie : optimiser à la marge. C’est ce que font encore beaucoup d’entreprises qui vont agir de manière ponctuelle, sans avoir défini de vraie vision de ce qu’il est possible de faire avec la dématérialisation. Cela conduit à ne pas privilégier la dématérialisation de bout en bout et à une hétérogénéité des solutions dont il est difficile de maintenir la cohérence.
3. Tout faire soi-même : la contrainte du temps et des compétences
Troisième stratégie : vouloir tout faire soi-même. C’est louable, surtout dans les PME et ETI, mais difficilement réalisable si un maximum de tâches, dont beaucoup restent chronophages, notamment dans les fonctions finance et comptable, sont réalisées par les équipes internes (à recruter si l’entreprise ne dispose pas des compétences). Cette approche n’est plus pertinente, le cloud offre la possibilité d’optimiser la plupart des processus à moindre coût et avec une flexibilité sans égal.
4. Se débarrasser du problème en externalisant sans contrôle : un choix risqué
Quatrième stratégie envisageable : se débarrasser du problème en externalisant, sans contrôle et en retenant comme unique critère le prix proposé par le prestataire. Mais ce modèle montre ses limites. D’une part, parce que la baisse des prix n’est jamais infinie et trouve elle-même ses limites (en volume et qualité des prestations) : la recherche systématique d’économies (et uniquement des économies) ne dure jamais longtemps… D’autre part, le modèle de sous-traitance classique ne correspond plus vraiment aux besoins actuels des entreprises et aux usages : la relation client-fournisseur laisse la place à de véritables partenariats, créateurs de valeur, basés sur une démarche proactive de part et d’autre.
Stratégie de dématérialisation : les cinq questions à se poser
La dématérialisation est l’un des rares domaines où le retour sur investissement est significatif, quasi immédiat et simple à comprendre et à expliquer à une direction générale. Par exemple, la dématérialisation des factures (clients et fournisseurs) encore gérées sur des supports papier représente une économie de l’ordre de 50 à 75 %, et réduit le temps de traitement d’environ 30 %. Ainsi, pour un coût moyen de 9 euros pour une facture papier, une facture dématérialisée ne coûte qu’entre 3 et 6 euros. Pour réussir la stratégie de dématérialisation, il convient de se poser cinq questions, et d’y répondre.
1. D’où partons-nous ?
Il importe d’abord d’auditer l’existant, de la manière la plus exhaustive possible et en y consacrant le temps nécessaire, qui ne sera pas perdu. C’est indispensable pour cerner les besoins de dématérialisation. On s’intéressera ainsi aux processus, aux coûts associés, aux points faibles de la solution existante, ainsi qu’à tous les « pain points », sources de pertes de temps, d’erreurs, de redondances inutiles (saisies multiples d’information, par exemple…) ou de pertes de documents (par exemple des factures…).
2. Quelle est la destination ?
Une stratégie de dématérialisation répond nécessairement à des objectifs, qui sont multiples et se combinent : il peut s’agir de réduire les coûts, de gagner en flexibilité, en transparence, en fiabilité, de réduire le temps de traitement de documents ou d’enrichir les tâches de collaborateurs… Dans l’esprit des dirigeants de PME et d’ETI certains objectifs revêtent plus d’importance que d’autres : il faut donc savoir les hiérarchiser, de manière à ce que la solution retenue soit le plus possible alignée sur ces besoins.
Plusieurs dimensions doivent être prises en compte :
- La dimension métier, pour intégrer de nouvelles fonctionnalités.
- La dimension sécuritaire des documents et processus associés.
- La dimension mobile, pour répondre aux enjeux de temps réel.
- La dimension analytique, pour la gestion de la performance des processus et la valorisation des données.
- La dimension cloud, pour l’agilité et l’autonomie des métiers.
3. Comment y aller ?
Comme pour tout trajet, une feuille de route est nécessaire. Elle inclut le planning du projet, sa préparation, la définition des workflows, l’intégration avec le système existant, le déploiement du pilote et toutes les actions de formation des utilisateurs, sans oublier l’accompagnement au changement, même si les solutions cloud se caractérisent par la simplicité.
4. Comment savoir lorsque l’on est arrivé à destination ?
La feuille de route vers la dématérialisation doit être suivie, avec des indicateurs, afin de vérifier que tout se déroule comme prévu. Ces indicateurs servent également pour la phase post-projet. Ils doivent cependant répondre à plusieurs caractéristiques : être simples, pertinents, sourcés, mesurables, fiables, faciles à mettre à jour et peu nombreux. Selon Gartner, il convient de privilégier des indicateurs qui synthétisent les bénéfices de la dématérialisation (coûts, marges, revenus, vitesse…), représentatifs du degré de dématérialisation (taux de pénétration, nombre de transactions…) et mesurant le point optimal de dématérialisation, celui au-delà duquel le ROI devient significatif (par exemple x % du nombre de factures).
5. Quelle est l’étape suivante ?
Le chemin vers la dématérialisation ne conduit évidemment pas à une situation figée et au moins cinq éléments sont susceptibles de la faire évoluer :
- les usages dans l’entreprise,
- les volumes de documents à gérer,
- l’évolution technologique,
- l’organisation,
- les réglementations.
Il est donc indispensable d’anticiper, ce qui est d’ailleurs facilité par les solutions cloud, par exemple pour s’adapter aux volumes, bénéficier régulièrement de nouvelles fonctionnalités ou intégrer de nouvelles règlementations.