Une étude menée auprès des membres de l’association Adirc (Agir Numérique en Région Centre Val-de-Loire) montre que les entreprises sont encore loin de maîtriser les concepts et les bonnes pratiques du numérique.
Une étude menée, par le cabinet de conseil Acadys, au sein de 42 entreprises membres de l’Adirc fin novembre 2020, avait pour objectif de savoir si les leviers numériques étaient connus, utilisés et maîtrisés par les entreprises présentes. Seulement une entreprise sur cinq maîtrise les trois concepts fondamentaux : le système d’information, le numérique et l’informatique. Par définition le système d’information représente l’ensemble des ressources internes ou externes (utilisateurs, outils, données), qui contribuent au traitement (numérique ou non) de l’information.
Le numérique représente à la fois les informations et l’ensemble des usages et traitements de ces informations s’appuyant sur un outil informatique en vue d’une finalité métier. Et l’informatique représente la fonction ou le métier qui a pour but de concevoir, développer, intégrer, exploiter et maintenir les solutions matérielles et logicielles, ainsi que de fournir l’ensemble des services connexes.
Une méconnaissance des leviers de transformation
Pour réussir la transformation numérique, trois leviers sont essentiels : les technologies, les données, sous toutes leurs formes, et les concepts du digital. L’étude révèle que seulement 21 % des entreprises connaissent les leviers technologiques, 25 % les leviers informationnels et 16 % les leviers digitaux (dématérialisation, désintermédiation, plateformes, innovation ouverte, marketing digital…).
Et à supposer que ces notions soient maîtrisées, encore faut-il éviter de tomber dans trois pièges. Si, aujourd’hui, les investissements numériques de beaucoup d’entreprises ne génèrent pas de bénéfices, trois raisons principales expliquent ce phénomène et ont été mises en évidence par de nombreuses études et recherches académiques : un fantasme technologique, une gouvernance déficiente et le fait de privilégier l’ingénierie IT plutôt que l’ingénierie du système d’information.
« De nombreuses entreprises mettent en avant la technologie plutôt que le besoin à créer ou à satisfaire. Or, une technologie ne créée pas de la valeur en tant que telle aussi prometteuses que soient les possibilités qu’elle offre (IA, IoT, cloud…) », souligne l’étude. En effet, ce n’est que son usage dans un contexte particulier qui pourra apporter un bénéfice à l’entreprise. Ce dernier sera en général issu d’un changement du modèle d’affaire, de l’organisation du travail, de l’exploitation des données.
Le deuxième piège consiste à se lancer dans une transformation sans véritable gouvernance numérique. « Des études récentes ont pu établir pour la première fois une corrélation entre la performance d’une entreprise et son niveau de gouvernance. C’est pourquoi, tous les programmes de transformation qui ne s’appuient pas sur des dispositifs éprouvés de gouvernance en intégrant la direction générale, sont voués à l’échec », rappelle l’étude.
Quant à favoriser l’ingénierie IT sans repenser le système d’information, c’est également un piège dans lequel il est facile de tomber. Parce que l’on confond souvent les deux approches. L’ingénierie IT se concentre sur l’élaboration et le développement d’outils informatiques, alors que l’ingénierie du système d’information (notion bien plus large) intègre, en plus, l’organisation des processus, les ressources humaines, les données, etc.
« Ce troisième piège est particulièrement fréquent et est caractérisé par l’omniprésence de la notion « projet informatique ». De toute l’histoire de l’ingénierie, on n’a jamais appelé le nom de l’ensemble par le nom d’une de ses composantes ! », déplorent les auteurs de l’étude, qui rappellent qu’il n’y a qu’un tiers des projets à composante informatique qui terminent dans le budget, dans le délai et conformément au cahier des charges (vision ingénierie informatique). Seuls 5 à 10 % des projets à composantes informatiques sont en mesure de réaliser les bénéfices attendus (vision ingénierie du système d’information).
Une persistance des fantasmes technologiques
D’après l’étude, 62 % des entreprises sont fortement touchées par le fantasme technologique contre seulement 19 % qui l’ont évité. De même, 39 % des entreprises ont une gouvernance déficiente, seules 20 % pensent avoir une gouvernance satisfaisante pour l’informatique et le numérique. En outre, 8 % des entreprises estiment que la direction générale est impliquée dans la création de valeur.
La notion de « projet informatique » reste très présente pour 89 % des entreprises, alors que seules 11 % l’ont dépassé, en privilégiant le projet d’entreprise. Enfin, dans ces projets, 22 % intègrent la partie fonctionnement cible (processus, organisation, compétence, etc.) ce qui devrait être la norme. « Les pièges identifiés par les dernières études de recherche sont encore omniprésents dans les organisations indiquant un manque de maturité évident et une impréparation pour faire face aux challenges de la transformation numérique », précise l’étude.
Quels sont les facteurs clés de succès ? Le premier est de repenser le business model de l’entreprise à l’aide d’une stratégie numérique qui s’appuie largement sur le projet d’entreprise et sur les trois leviers numériques (technologies, données, concepts digitaux). En particulier, cette stratégie doit intégrer la notion de business model asymétrique et/ou de modèle biface, en n’oubliant pas d’intégrer d’autres métiers auxquels l’entreprise pourrait apporter une valeur ajoutée. Le vecteur principal de ce changement de territoire est la donnée.
Penser autrement lorsque le complexe remplace le compliqué
Le deuxième facteur clé de succès concerne la création de valeur, qui peut être à la fois économique et sociale. Cela suppose que la culture de la valeur soit privilégiée, par rapport à la culture du coût. Le troisième consiste à privilégier la pensée systémique sur la pensée analytique classique. Pour les auteurs de l’étude, « la pensée de l’ingénieur, qui permet de gérer les choses compliquées, est adaptée dans un monde déterministe où les grandes inventions ont été réalisées. Dès lors, il s’agit de perfectionner les produits et services tout en diminuant leurs coûts. Dans un monde où la complexité prend le dessus sur le compliqué, la pensée systémique est indispensable. Elle privilégie l’ensemble du système incluant ses acteurs, plutôt que l’une de ses parties. Elle met en avant l’efficacité plutôt que l’efficience. C’est en ça que les organisations doivent revoir leur manière de penser. »
L’enquête montre que 73 % des entreprises ne possèdent pas de stratégie numérique. Seules 11 % disposent d’une stratégie numérique intégrant les notions de business model asymétrique et orientée données. De même, 59 % n’ont pas de culture valeur, seulement 11 % en ont une et 19 % ont une véritable culture d’innovation numérique. « La pensée systémique, pour réinventer les modèles et saisir les nouvelles opportunités, n’est pas présente pour 59 % des entreprises, l’analyse nous montre bien que les facteurs clés de succès sont encore peu présents dans les entreprises », conclut l’étude.
Les entreprises face au numérique : un état des lieux | |||
Pas du tout ou faiblement | Moyennement | Fortement ou totalement | |
Connaissance des principaux leviers technologiques | 52 % | 27 % | 21 % |
Connaissance des principaux leviers informationnels | 46 % | 29 % | 25 % |
Connaissance des principaux leviers digitaux | 45 % | 39 % | 16 % |
Les métiers demandent des solutions IT plutôt que d’exprimer leurs besoins | 19 % | 19 % | 62 % |
Existence d’une gouvernance informatique/numérique | 39 % | 41 % | 20 % |
Parle-t-on de projets informatiques dans l’organisation ? | 20 % | 16 % | 64 % |
Existence d’une stratégie numérique à jour et validée par la DG | 73 % | 16 % | 11 % |
Focus sur la culture valeur (vs culture coûts) | 59 % | 30 % | 11 % |
Partage d’une vision systémique dans l’entreprise | 65 % | 35 % | 0 % |
Source : Adirc, Acadys. |