Plusieurs études anticipent des tensions salariales en 2021, alors que pour certaines expertises, les difficultés de recrutement persistent. Et risquent de s’aggraver alors que la crise sanitaire incite à accélérer la transformation des entreprises.
«La crise aurait permis à la France de faire un bond de six ou sept années dans la transformation digitale ! Par ailleurs, une entreprise sur trois annonce avoir augmenté son budget consacré à la transformation numérique. Les métiers du numérique devraient donc continuer de recruter avec une augmentation plus modérée des salaires » explique Hymane Ben Aoun, fondatrice du cabinet Aravati-Teaminside Group, pour qui « cette accélération de la transformation numérique a entraîné une forte pression sur les équipes informatiques, notamment due aux changements de priorité. Initialement donnée à la technologie, elle est désormais fixée sur l’expérience client et les changements des méthodes de travail. »
L’étude Aravati 2020 met en lumière une augmentation moyenne de + 8,5 % des salaires dans les fonctions digitales (vs 2019). En comparaison, l’APEC annonce une consolidation (+ 2,4 %) des rémunérations en 2019, qui pourrait être remise en question par la crise de 2020. Par fonction, les métiers IT sont de plus en plus fortement sollicités. « Le e-commerce va également maintenir un niveau de recrutement élevé, de même que pour les profils spécialisés en expérience client », soulignent les consultants d’Aravati.
Pour les expertises liées aux données, c’est toujours la pénurie et cela crée des tensions sur le marché malgré le fait que, souligne Hymane Ben Aoun, « les métiers de la data ont été les premiers touchés par la crise, avec une chute de 45 % des offres d’emploi pour les Data Scientists et de 29 % pour les offres demandant des compétences en IA et Machine Learning. Mais ce reflux sera temporaire… ».
Le cabinet Morgan Philips, qui a mené une étude dans dix-huit pays (1), dégage trois tendances majeures : d’abord, la plus forte évolution en terme de demande de profils (+30 %) revient au poste de Growth Hacker. Cette demande est notamment due au fait que les start-up, toujours plus nombreuses, redoublent d’ingéniosité pour développer leur chiffre d’affaires et leur notoriété en optimisant au maximum leur budget (souvent réduit, voire inexistant au démarrage de leur activité).
Un engouement pour les métiers de la data
Ensuite, les métiers de la data se caractérisent par une forte croissance, « avec peu de profils, des niveaux d’expertises forts et beaucoup de sollicitations. Les postes de Data Analysts sont souvent la porte d’entrée pour les profils juniors. On note donc une forte mobilité de ces profils, qui en revanche diminue lorsque ceux-ci accèdent à des postes de Data Officers par exemple. »
Enfin, émerge une nouvelle génération de collaborateurs freelance, indépendants, managers de transition. Autant de termes pour qualifier ce mouvement de fond particulièrement présent dans ces métiers, qui sont, la plupart du temps, des profils d’experts, très qualifiés, qui souhaitent apporter leurs compétences à un projet de transformation, de restructuration ou de croissance.
Ces profils sont motivés par des conditions de travail plus flexibles, le challenge ou l’intérêt des projets proposés. La rémunération de ces « digital nomads » est souvent plus élevée. « De nombreuses sociétés privilégient ce modèle économique qui est parfaitement adapté à la période actuelle, car elles recherchent toujours plus de flexibilité et des performances directement mesurables et quantifiables », précise Charles-Henri Dumon.
Par ailleurs, les consultants de Morgan Philips mettent en évidence un rééquilibrage entre savoir-faire et savoir-être : les entreprises recherchent des talents faisant preuve de curiosité, qui savent penser « out of the box », sont agiles et adaptables, à l’écoute et très orientés expérience client. Peu importe d’où ils travaillent : ils savent interagir à distance et en équipe et ont une expertise importante à apporter aux entreprises.
Les entreprises sont confrontées à des écarts de compétences qu’il va falloir combler. Comme tout déficit budgétaire crée une dette financière, un déficit de compétences génère une dette RH, à l’image de la dette technique associée à des systèmes technologiques vieillissants qui coûtent de plus en plus cher à maintenir. Et plus le temps d’adaptation des compétences est important, plus les « intérêts » à payer sont élevés…
Dans ce domaine, les entreprises, et les DSI, qui sont en première ligne, ont à faire face à trois challenges. D’abord, le rythme du renouvellement des compétences, beaucoup plus rapide dans des contextes de transformation digitale que par le passé. Ensuite, on observe une prolifération des nouveaux métiers, tels que les Product Owners, les Scrum Masters, les coachs agiles, les Data Analysts ou les UX Designers. Ces fonctions deviennent incontournables dans la plupart des entreprises et s’intègrent dans des équipes pluridisciplinaires.
Outre les nouveaux métiers, d’autres, plus anciens, souffrent de tensions sur le marché du travail, par exemple les ingénieurs logiciels, les experts en agilité ou en gestion de données. La capacité de formation des écoles d’ingénieurs reste inférieure aux besoins des entreprises, de l’ordre de 20 000 personnes chaque année.
Enfin, au-delà des aspects purement quantitatifs, les compétences relationnelles (soft skills) deviennent aussi importantes que les compétences techniques, ce qui complexifie le processus d’ajustement entre les talents et les besoins.
Combler les déficits de compétences : un impératif
Selon une étude de Global Knowledge (2), plusieurs raisons contribuent à augmenter les déficits de compétences, dont la rapidité des changements technologiques, la difficulté de trouver et de recruter les bons profils, le manque d’investissement dans la formation et une insuffisance dans l’anticipation de l’évolution des compétences. Des déficits qui ont des impacts sur les salariés, en particulier une augmentation du stress, la difficulté à atteindre les objectifs, l’allongement de la durée des projets et la croissance des coûts.
L’un des moyens d’augmenter sa rémunération est de disposer de certifications, si possible les plus recherchées. Selon Global Knowledge, les certifications les plus rémunératrices concernent Google et AWS(pour l’architecture cloud), la sécurité (CISM Information Security Manager, Certified in Risk and Information Systems Control, Certified Information Systems Security Professional), la gestion de projet (Project Management Professional) et l’audit (Certified Information Systems Auditor).
Ainsi, la rémunération d’un professionnel certifié sur Google peut atteindre les 170 000 dollars annuels aux Etats-Unis, à comparer à 120 000 dollars pour une certifications sur Microsoft Azure. En Europe, les rémunérations liées à ces certifications sont moins importantes (l’équivalent de 92 000 dollars pour un architecte cloud Google), les experts DevOps sont mieux payés (l’équivalent de 125 000 dollars annuels).
Selon Global Knowledge, les rémunérations moyennes, en Europe, selon les métiers et les compétences, sont les suivantes :
- Développement, programmation : 62 170 $.
- Audit : 67 983 $.
- Business analysts : 74 095 $.
- Cloud : 85 140 $.
- Cybersécurité : 74 004 $.
- BI, analytique : 64 663 $.
- DevOps : 62 854 $.
- DSI : 105 105 $.
- Architecture IT : 73 215 $.
- Infrastructures et télécoms : 53 803 $.
- Support et Help Desk : 40 579 $.
(1) Etude des salaires des métiers de l’IT et du digital, 2020, 2021, Morgan Philips Group.
(2) 2020 IT skills and salary report, Global Knowledge.
Quelques exemples de rémunérations dans l’IT | ||||
Rémunérations | Ancienneté moyenne dans le poste | Croissance annuelle du nombre de postes | ||
Profil confirmé | Profil senior | |||
Chief Data Officer | 120-180 k€ | 180 k€ et plus | 3,7 ans | + 12 % |
DPO | 69 k€-70 k€ | 70 k€-140 k€ | 1,4 an | + 3 % |
Data Scientist | 45 k€-60 k€ | 65 k€ et plus | 0,6 an | + 7 % |
Chief Digital Officer | 120 k€-180 k€ | 180 k€ et plus | 2,3 ans | + 5 % |
DSI | 70 k€-90 k€ | 100 k€-180 k€ | 2,8 ans | + 2 % |
Directeur e-commerce | 80 k€-90 k€ | 100 k€-180 k€ | 3,1 ans | + 6 % |
Designer UI | 46 k€-60 k€ | 60 k€ et plus | 1 ans | + 8 % |
Designer UX | 55 k€-70 k€ | 70 k€ et plus | 1 ans | + 4 % |
Directeur informatique | 80 k€-100 k€ | 100 k€ et plus | 3,3 ans | + 3 % |
Business Analyst | 50 k€-55 k€ | 55 k€ et plus | 0,9 an | + 1 % |
Source : Morgan Philips. |