Management des contrats : l’ignorance n’est plus une option

Les projets sont, par définition, soumis à des aléas et à des risques. Une bonne gestion des contrats permet de réduire ces risques. Cette nouvelle édition intègre les apports des technologies, de l’innovation et de la recherche opérationnelle.

On sous-estime souvent les risques et les opportunités de la gestion contractuelle. Les risques que les projets n’aboutissent pas, les opportunités de réduction de coûts et de gains en efficience. La gestion des contrats est évidemment stratégique pour une entreprise et, plus encore, pour les systèmes d’information, dans la mesure où quasiment toutes les décisions d’importance, dans une organisation, se traduisent, dès lors qu’elles sont exécutées, par des contrats avec des fournisseurs. Pour les auteurs de l’ouvrage « Le contract management (Editions Eyrolles), Alain Brunet, expert en matière de grands projets internationaux, et Franck César, directeur général du cabinet de conseil WillBe Group, « les contrats régissent, structurent et influencent le fonctionnement de l’entreprise et doivent concourir à la création d’avantages concurrentiels durables. »

De fait, le management des contrats constitue un puissant levier business, c’est ce que veulent démontrer les auteurs, surtout à l’heure où les contrats sont plus que jamais le support des relations partenariales. « Un contrat est un référentiel d’engagement réciproque pour tirer les deux parties vers le haut », résume Franck César. Pour ce dernier, « le management des contrats est devenu stratégique pour plusieurs raisons : l’intensité concurrentielle, le fait que les ESN sont devenues plus matures dans ce domaine, les aspects réglementaires, qui obligent à mieux contrôler les prestations externalisées et le fait que le management des contrats est un véritable levier de performance opérationnelle et économique pour les entreprises. »

Hélas, les risques contractuels restent insuffisamment maîtrisés, d’autant que les contrats se complexifient. Le risque contractuel est lié à « l’imprécision, lacunes ou autres insuffisances de la documentation contractuelle, amenant le contrat à ne pas traduire, de façon complète et claire, la volonté des parties ou à ne pas assurer, suffisamment, la protection des intérêts du contractant en lui évitant les risques de mise en cause de sa responsabilité. »

Le management de contrat est donc incontournable pour limiter les pouvoirs des fournisseurs et la dépendance à leur égard. Pour Franck César, « un prestataire expliquera toujours que, certes, il y a un contrat, mais qu’il est partenaire de son client alors qu’il veut optimiser ses marges, avec une dérive graduelle qui amène le client à s’accommoder de situations non prévues, tant que le projet n’est pas en production, le prestataire est en position de force parce que cela coûte cher d’arrêter en cours de route, surtout si le client est très dépendant. »

Combattre l’illusion du contrôle et le déni des risques

La maîtrise des risques contractuels passe par une sécurisation du projet qui lui est lié. « Traiter ce que peut apporter le contrat suppose que l’on définisse précisément ce qu’est l’activité projet », avertissent les auteurs, qui distinguent trois catégories de projets : les mégaprojets, dans les grandes entreprises, les projets multi-entreprises et les micro-projets. Mais tous s’articulent autour de contrats qui regroupent utilisateurs, fournisseurs et partenaires. Les difficultés de la gestion de projet résident dans l’illusion du contrôle et dans le choix rationnel de ne pas évaluer le risque.

C’est particulièrement vrai pour les projets de développements logiciels : « Une étude britannique a montré que, face à un arbitrage entre coût d’évaluation et risque encouru, un tiers des managers de projet choisissent tout simplement de ne pas effectuer d’analyse de risque. Ce qui est inquiétant, c’est que le déni d’incertitude est patent », soulignent les auteurs. Pour eux, les outils de planification de projet habituellement utilisés ne sont guère efficaces : « Ils n’offrent aucune garantie de succès en environnement incertain. Les méthodes de gestion les plus sophistiquées prennent rarement en compte la complexité structurelle des projets, mais surtout les facteurs humains, qui sont à l’origine de dérapages parfois gigantesques. »

Les risques associés à des contrats forfaitaires peuvent se regrouper en trois catégories : le risque projet (mauvais partage des responsabilités, manque de communication, processus d’approbation défaillant…), le risque juridique et financier (conformité avec le droit, exclusions…) et le risque de sous-traitance (engagements prématurés, responsabilités des sous-traitants).

Peut-on, dès lors, s’appuyer sur une bonne gestion contractuelle pour traiter ces difficultés, sachant que le contrat est lui-même complexe, voire, dans certains cas, plus complexe que le projet auquel il se rapporte ? Oui, mais il faut être conscient que le contrat est soumis à certains effets pervers. Par exemple les stratégies opportunistes, qui conduisent l’une des parties à « poursuivre délibérément son intérêt personnel afin de maximiser ses opportunités de gain. Elle n’hésitera pas, pour atteindre ses objectifs, à tromper l’autre partie, à cacher des informations, voire à rompre délibérément ses engagement. » Il importe donc, systématiquement, de chercher à éclairer les ambiguïtés. Pour cela, plusieurs mesures sont utilisables (voir encadré).

Prendre en compte le cycle de vie du contrat

La bonne gestion des contrats, et de leur gouvernance au quotidien, passe par cinq principes. Le premier consiste à réduire le risque financier, ce qui impose la formalisation claire d’exigences techniques, un prix conforme à l’offre, payé selon un échéancier préétabli et qui dépend du planning de production. Deuxième principe : prendre en compte la dynamique du contrat, avec une approche modulaire, l’objectif étant, selon les auteurs, « d’adapter le contrat aux événements qui ne vont pas manquer de contrarier sa réalisation et de faire en sorte que les parties en aient une compréhension partagée. »

Troisième principe : partager la connaissance, ne serait-ce que pour décoder les termes du contrat et traduire en termes opérationnels les exigences prévues dans ce dernier. Le principe suivant, dans la lignée du précédent, consiste à développer une connaissance procédurale, comme on le fait généralement pour un projet, avec les « revues de fin de contrat » qui permettent de capitaliser sur les bonnes pratiques et d’éviter de refaire les mêmes erreurs. « La tendance est à réinventer la roue à chaque contrat, la gestion du contrat doit être abordée dans une optique de co-construction managériale », notent les auteurs. Ainsi, on se penche moins sur les résultats obtenus que sur la manière dont ils l’ont été.

Enfin, le management des contrats peut conduire à créer une fonction spécifique dans l’entreprise, métier relativement nouveau, mais qui figure dans les référentiels de métiers (Syntec Ingénierie et Cigref notamment). Le manager de contrats a deux missions essentielles. D’une part, appréhender les enjeux de la gouvernance des contrats, notamment en identifiant les responsables dans l’organisation. D’autre part, évaluer les coûts d’opportunité et le retour sur investissement. Les compétences nécessaires pour exercer la fonction de manager de contrats s’articulent autour du développement durable, des achats, de la gestion des contrats, des risques et des relations client-fournisseur.

Malgré sa dénomination, le management de contrats ne se limite pas au juridique : « On peut en faire sans être juriste et, inversement, ce n’est pas parce que l’on est un bon juriste que l’on devient un bon manager de contrats », assure Franck César. C’est en effet une mission difficile : « Le contrat parfait est un mythe, même si tout est prévu, c’est une vue de l’esprit, il y a toujours des difficultés d’interprétation, des besoins qui se transforment et des technologiques qui évoluent », conclut Franck César.

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Réduire l’ambiguïté dans les contrats : les bonnes pratiques

  • S’assurer que l’identité des parties est juridiquement correcte.
  • Retenir que les conditions particulières prévalent sur les conditions générales.
  • Soigner la liste des définitions pour faciliter la compréhension.
  • S’assurer que tous les acronymes sont définis.
  • Éviter les mots qui possèdent plusieurs sens et le jargon.
  • Retenir que les mentions manuscrites prévalent sur le texte imprimé.
  • Éviter la double négation, la forme passive, les redondances et les expressions latines.

Dérive de la relation client-fournisseur : les principaux signaux faibles

  • Changements de ton soudain dans les correspondances.
  • Usage extensif de notifications (pour retard, défaut…).
  • Contestation de la part du sous-traitant.
  • Résistance du sous-traitant à documenter une modification et à fournir un découpage raisonnable du devis.
  • Traitement ralenti des non-conformités.
  • Refus d’intégrer les glissements de planning.
  • Changements fréquents dans l’équipe projet.
  • Changements importants dans l’équipe dirigeante.
  • Rupture de contacts entre les parties prenantes.