Les processus achats et logistiques ont une tendance naturelle à se complexifier. Et la crise actuelle ne va rien arranger. Il est toutefois possible de les maîtriser. Les missions des directions achats reposent sur trois piliers :
la création de valeur (réduction du time to market, agilité, performance extra-financière…), la gestion des risques et la performance économique (optimisation de la trésorerie, du besoin en fonds de roulement…).
« Pourquoi la contribution des achats à la création de valeur n’est-elle pas reconnue de façon systématique par les DG ? » s’interroge Natacha Tréhan, maître de conférences en management des achats à l’université de Grenoble Alpes. Réponse : « Pour un DG, tant que la fonction achats n’a pas fait complètement ses preuves sur les deux dimensions de performance économique et de gestion des risques, elle sera peu légitime pour revendiquer des missions de création de valeur. »
Lors de la conférence du CNA (Conseil National des Achats) et de Deloitte, qui s’est tenue en janvier 2020, Philippe Rémy, managing partner chez Deloitte, a rappelé que les préoccupations des directions achats ont changé : « Il y a dix ou quinze ans, c’était plutôt l’organisation, les leviers de performance et la réduction des coûts, aujourd’hui, à l’heure où les achats pèsent pour 30 à 40 % dans la valeur ajoutée des entreprises, c’est plutôt des considérations liées à l’accompagnement stratégique et les compétences. Les achats sont au cœur du réacteur des entreprises. » Gérard Dahan, vice-président de l’éditeur Determine, résume en quatre mots le positionnement des directions achats : « La transparence, l’efficacité, le gain de temps et l’innovation. »
De fait, le métier est devenu plus complexe. Cette complexité s’exprime, selon les directions des achats, dans quatre domaines :
- La complexité externe, pour définir la stratégie, optimiser la chaîne de valeur, utiliser les technologies digitales et gérer les risques. Selon l’enquête Future of procurement, 61 % des directions achats perçoivent une augmentation des risques.
- La complexité interne, pour évaluer le positionnement et le degré d’influence des achats dans l’organisation, et s’aligner avec la stratégie de l’entreprise.
- La complexité des talents, pour mieux recruter avec un élargissement des compétences.
- La complexité digitale, que l’on retrouve dans tous les métiers.
Cette complexité rend fragile l’ensemble de la chaîne des achats et de la logistique. Paul Cunningham, associé chez Deloitte, met en exergue les risques liés aux méga-fournisseurs : « Si l’un tousse, tout le monde tousse », assure-t-il. Et on l’a vu pendant la crise sanitaire avec la dépendance à l’égard des fournisseurs chinois.
L’un des volets de la complexité concerne la maîtrise des données. « Il faut remplacer le mot complexité par le mot richesse. Les disruptions digitales et économiques sont devant nous et nous avons un rôle clé pour changer de fournisseurs s’ils ne sont pas prêts ou qu’ils n’ont pas la capacité à investir. Nous avons un trésor : toutes les données sur nos dépenses », assure Régine Lucas, directrice des achats de L’Oréal. Béatrice Mendez, directrice des achats du groupe chimique Arkema, souhaite que les directions achats passent plus de temps avec tous les acteurs de leur écosystème : « La technologie va nous y aider, d’autant que l’on nous attend de plus en plus sur la top line, pour créer de la valeur extra-financière. »
Roque Carmona, directeur des achats de Thalès, plaide pour faire évoluer le vocabulaire : « Le terme achat est relativement péjoratif, cela se résume à acquérir un bien contre de l’argent, alors que le terme procurement me semble beaucoup plus représentatif, dans une problématique d’accompagnement des métiers. Notre problématique n’est pas de créer des catalogues, mais de créer des écosystèmes. » Cela passe par une automatisation et un outillage. Exemple : Sanofi qui s’est équipé d’une solution (Coupa). « Pour améliorer l’expérience achats, nous nous sommes focalisés sur les 90 % de commandes pesant 20 % des dépenses, avec une vision de bout en bout du processus achats indirect », précise Vincent Malvy, head of global procurement excellence chez Sanofi, qui est intervenu lors de l’Executive Forum Paris, organisé par Coupa en avril 2020. Le groupe a déployé la solution en trois ans, pour harmoniser les processus sur 224 entités légales dans plus de 100 pays, représentant 50 000 utilisateurs (demandeurs et approbateurs), 800 000 commandes par an et onze milliards d’euros de dépenses sur plateforme. « En moyenne, nous avons 43 % de nos commandes qui sont automatisées », assure Vincent Malvy.
Ce qui caractérise les directions achats s’applique aussi aux DSI. La gestion des fournisseurs peut s’articuler autour de cinq principes : cadrer, mesurer, collaborer, formaliser et veiller.
Cadrer. Identifier les apports d’une stratégie de sourcing et les objectifs poursuivis. Par exemple, s’il s’agit d’envisager une infogérance, les objectifs peuvent être divers : se focaliser sur son métier de base, variabiliser ses coûts, trouver des compétences dont on ne dispose pas en interne, renouveler les compétences, profiter des expériences d’autres entreprises, d’un même secteur ou d’environnements différents, modifier l’affectation des ressources internes, gérer la complexité technologique et la sécurité ou faire face aux variations d’activités…
Mesurer. Réaliser un audit complet des relations fournisseurs, sans se contenter d’une approche quantitative, ni d’objectifs simplistes du type « réduisons de 50 % le nombre de nos prestataires, pour faire comme tout le monde. »
Collaborer. Consulter systématiquement la direction juridique et la direction des achats, souvent plus attentives aux pièges contractuels.
Formaliser. Non seulement des engagements de services et de délais sont définis et respectés, mais la relation entre l’entreprise et son fournisseur devient plus transparente. Du côté de l’entreprise, la gestion est simplifiée, car formalisée dans des contrats négociés qui, s’ils sont bien établis, balisent la plupart des problèmes potentiels. Du côté du prestataire, son intérêt légitime et commercial est de conserver ses clients le plus longtemps possible. En cas de non-respect, des pénalités sont applicables au prestataire. Il y a donc un partage des risques entre l’entreprise et son prestataire. Ce dernier devient alors une force de proposition, qui ne peut être que profitable à l’entreprise cliente.
Veiller. Pratiquer la veille technologique et commerciale, notamment pour prévenir une dérive des tarifs. Dialoguer avec d’autres DSI pour valider la réputation et les pratiques des fournisseurs, éventuellement dans une approche de benchmarking avec des cabinets de conseil.
Plusieurs points d’attention sont à prendre en compte :
- Veiller à la cohérence de la stratégie de sourcing. D’après Gartner, les programmes de « vendor management » orientés uniquement sur l’optimisation des coûts et les garanties de niveaux de service sont voués à l’échec. Les relations avec les fournisseurs reposent sur quatre piliers, qui ne doivent pas être déséquilibrés.
- La gouvernance, pour établir les lignes directrices, avec les fonctions et les processus, la définition des rôles et des responsabilités des parties prenantes. L’objectif est d’accroître la performance et de minimiser les risques.
- Les compétences et l’organisation : à l’ère de la transformation numérique, de nouvelles compétences (analyse de données, gestion des risques, compétences financières et capacités de collaboration) sont indispensables pour gérer les relations avec les fournisseurs.
- Les processus et les outils, facilitant l’automatisation et la rationalisation des processus et l’accès à des reporting détaillés.
- Le décisionnel et l’analyse des tendances : même si l’analyse de données internes permet d’évaluer et d’orienter les actions, il est pertinent de mixer les données internes et externes, de manière à mieux anticiper les tendances, par exemple en matière d’obsolescence des solutions.
- Sécuriser les aspects juridiques et contractuels. Les relations DSI-fournisseurs, comme pour n’importe quelle entité d’une entreprise, sont régies par la notion de relation commerciale, c’est-à-dire toute relation d’affaire continue qui s’étale dans le temps, de manière formelle ou informelle. Le code du commerce interdit de rompre brutalement une relation commerciale, sans un préavis suffisant, une facture est une preuve suffisante de la relation commerciale. Par ailleurs, il convient de prévoir systématiquement des clauses concernant les conditions tarifaires et leur évolution.
- Mesurer régulièrement la qualité de service. Cela s’impose tout particulièrement pour des prestations de service du type tierce maintenance applicative, infogérance, consulting… En parallèle, il convient de conserver un contact permanent avec les fournisseurs, de façon à détecter le plus tôt possible les éventuels dysfonctionnements.
- Analyser les relations de dépendance entre les fournisseurs et leurs clients. Selon le degré d’importance accordé par un fournisseur à un client, et inversement, on peut déduire plusieurs situations qui illustrent les relations clients-fournisseurs : lorsque, de part et d’autre, la dépendance est faible, la situation ressemble à un rapport de forces. À l’inverse, lorsque les degrés de dépendance sont élevés, clients et fournisseurs sont dans une relation de type partenariat. Entre les deux, on trouve des relations « captives », dans lesquelles l’une des parties peut exploiter l’autre, par exemple lorsqu’un client est considéré comme peu important par un fournisseur alors que celui-ci est stratégique. C’est une situation à risque, dont il faut sortir dès que possible.
- Prévoir une marge d’autonomie. Il ne faut pas s’enfermer dans une liste rigide de fournisseurs : la nécessité de trouver des compétences rares (en conseil, en intégration) impose de pouvoir déroger à une règle trop stricte sur le référencement des fournisseurs.
- S’assurer que les prestataires comprennent les métiers de l’entreprise et, surtout, les stratégies métier mises en œuvre. En principe, tous les prestataires affirment connaître le métier de leurs clients, c’est la base de leurs discours marketing. Il faut leur demander des preuves, par exemple les profils des consultants ou les réalisations chez d’autres clients.
Logistique : synchroniser les flux physiques et les flux de données
Le volume de marchandises transportées en France croit de plus de 5 % par an, selon l’étude publiée en 2019 par le Commissariat général du développement durable, et il a représenté 350 milliards de tonnes-kilomètres (en 2017), essentiellement par la route, à près de 90 % (1). Ce secteur pèse pour 10 % dans le PIB, génère 200 milliards d’euros de chiffre d’affaires et regroupe 1,8 million d’emplois, selon le ministère de la transition écologique et solidaire (2). D’après Pôle Emploi, la logistique va pourvoir plus de 540 000 postes d’ici à 2022, avec des recrutements de profils variés, des plus traditionnels (caristes, chauffeurs, préparateurs de commande, techniciens de maintenance…) jusqu’aux plus innovants (roboticiens, Data Scientists, développeurs Web, experts en intelligence artificielle…) (3).
Quel que soit le contexte économique, les enjeux de la chaîne logistique ne changent pas : il s’agit de livrer le bon produit, au bon endroit, au bon destinataire, dans les délais convenus et pour un coût raisonnable (pour l’expéditeur, les intermédiaires et le destinataire).
Mais, dans la réalité, les pratiques introduisent des frictions plus ou moins fortes : les flux d’informations indispensables aux différentes parties prenantes ne sont pas toujours correctement synchronisés, les processus restent encore truffés d’opérations de saisie manuelle, à partir de documents qui ne sont pas systématiquement standardisés, l’omniprésence du papier fait perdre du temps, notamment chez les transporteurs, et toute défaillance dans la chaîne de sous-traitance fragilise l’ensemble des opérations logistiques.
Ces frictions s’observent dans tous les types de logistiques, qu’il s’agisse de la logistique amont ou d’approvisionnement (pour assurer la circulation des produits entrants et sortants des sites de production), de la logistique interne (flux de fabrication à l’intérieur du lieu de production ou d’assemblage), de la logistique aval (approvisionnement des réseaux de distribution) ou de la logistique inverse, qui correspond aux flux de produits vers des sites de stockage, de retraitement ou de recyclage.
De l’efficacité à l’efficience
Certes, dans la plupart des cas, les processus logistiques fonctionnent et répondent aux enjeux. Mais pas de façon optimisée. Autrement dit, ils sont efficaces, mais pas efficients. Cette distinction permet de comprendre la nécessité de transformer les chaînes logistiques. Pour évaluer l’efficacité d’un processus, y compris logistique, on mesure l’écart entre les résultats obtenus et les résultats recherchés. Il est souvent faible, car les produits expédiés arrivent quasiment toujours à destination. La mesure de l’efficience, plus représentative de la qualité d’un processus logistique, concerne l’écart entre la quantité et la qualité des résultats obtenus et les ressources matérielles, humaines et financières mises en œuvre pour les obtenir. C’est là que le bât blesse ! On s’aperçoit en effet que des ressources peuvent être démesurées pour obtenir les résultats attendus, par exemple lorsque trop de collaborateurs passent trop de temps à saisir des informations, à classer des bons de commande ou de livraison, ou à rechercher des informations utiles susceptibles de bloquer le processus logistique. Ou parce que l’on doit attendre la production d’un document papier avant de passer à l’étape suivante.
Il faut donc agir pour améliorer l’efficience de la chaîne logistique. Le principal levier réside dans l’optimisation des flux d’informations, prérequis à celle des flux physiques. Il s’agit d’aligner les deux, dans la mesure où tout flux physique s’accompagne nécessairement d’un flux d’informations (bons de livraison, étiquettes d’expédition, d’entrepôts, de palettes, bordereaux, convention de transport de marchandises, documents douaniers, factures…).
Les six tendances qui révolutionnent la logistique
Dans son exercice prospectif à l’horizon 2025, le ministère de la transition écologique et solidaire s’est fixé, entre autres, l’objectif « d’accélérer, organiser, sécuriser et valoriser la production et la gestion des flux d’informations » pour « bâtir une logistique moderne et connectée » (2).
- C’est d’autant plus impératif que six tendances vont accélérer ces exigences :
- La concurrence très vive dans le secteur de la logistique, soumis par ailleurs à des marges plutôt faibles. Il s’est créé 70 400 entreprises de transport en 2018, selon l’Insee, soit près de 200 par jour. Plus de 140 000 entreprises interviennent dans le secteur du transport et de la logistique.
- La croissance rapide des volumes, liée à la délocalisation d’activités de production, aux renforcements des flux tendus et au e-commerce, qui progresse de plus de 10 % par an (12 % en 2019). En dix ans, les ventes de produits et de services sur Internet ont été multipliées par quatre.
- Les usages des consommateurs : ils sont influencés par l’engouement pour le e-commerce, mais aussi par les exigences de rapidité de livraison, qui introduisent des tensions sur les chaînes logistiques. L’ensemble de la chaîne logistique doit ainsi devenir beaucoup plus agile.
- Le risque de décrochage technologique : il se produit lorsqu’une entreprise n’investit pas, ou pas assez, pour se moderniser et, par conséquent, se fait distancer par des concurrents mieux équipés, plus agiles et plus innovants.
- L’atomisation des chaînes logistiques, avec la multiplication des acteurs, à la fois en amont (de plus en plus d’entreprises délocalisent ou se lancent dans la vente à distance) et en aval (de plus en plus de consommateurs se convertissent à la livraison à domicile).
- La montée des risques, on l’a vu avec la pandémie de coronavirus. Il faut ainsi être préparé à évoluer dans un environnement de type VUCA, acronyme qui désigne les quatre caractéristiques auxquelles sont confrontées les entreprises : volatilité, incertitude (uncertainty), complexité et ambiguïté. Rappelons que cet acronyme exprime le fait que les situations sont instables, pour des durées inconnues (volatilité), leurs causes et leurs effets sont mal connus (incertitude), qu’il y a trop de parties prenantes (complexité) et que les relations causales sont elles aussi inconnues (ambiguïté).
(1) Chiffres-clés du transport, édition 2019, Commissariat général du développement durable, avril 2019.
www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2019-04/datalab-52-chiffres-cles-du-transport-avril2019.pdf
(2) www.ecologique-solidaire.gouv.fr/france-logistique-2025
(3) www.regionsjob.com/actualites/logistique-transport-chiffres-cles.html
Les facteurs clés de succès de l’optimisation d’un processus achat
- Partir de l’expérience utilisateur (pas de celle des acheteurs) pour guider les choix structurants.
- Déployer la solution de manière homogène pour faciliter la conduite du changement.
- Privilégier une solution facile à utiliser.
- Bâtir un core model pour réduire les spécificités locales.
- Disposer d’une visibilité globale sur un processus et s’assurer de la conformité.
Source : « Le parcours de la transformation des achats avec Sanofi » webinaire, Coupa, avril 2020.
Les quatre dimensions de valeur d’un processus achat
- L’optimisation des dépenses.
- La gestion des risques.
- La transformation digitale.
- L’efficacité des processus.
Source : « Le parcours de la transformation des achats avec Sanofi » webinaire Coupa, avril 2020.
Les principales méthodes de sourcing des prestations intellectuelles
Selon le baromètre des achats du Club des acheteurs, les principales méthodes de sourcing des entreprises françaises sont les suivantes, en 2019 :
- Recommandations des clients internes (78 % des entreprises).
- Réseau d’acheteurs (63 %).
- Plateformes en ligne (41 %).
- ESN et cabinets de conseil (33 %).
- Réseaux sociaux (28 %).
- Médias (22 %).
- Chasseurs de tête (6 %).
Source : Baromètre 2019 des achats de prestations intellectuelles, Club des acheteurs.
Logistique : les types de risques
Le baromètre des risques de la Supply Chain, publié par KYU Associés et l’Ecole des Arts et Métiers, révèle une carence forte des entreprises dans l’organisation de plans de continuité d’activités, pour réagir efficacement en cas de crise. Si les secteurs aéronautique et automobile sont les plus en avance, les entreprises industrielles sont les moins matures dans ce domaine. Et les risques sont, hélas, nombreux. Selon les consultants de KYU, on peut en identifier au moins une quinzaine :
- Le risque de capacité (les investissements sont optimisés sans flexibilité ni sécurité).
- Le risque industriel (incendie…).
- Le risque de sourcing (pénurie dans certaines zones).
- Le risque technologique (retard des fournisseurs par rapport à l’état de l’art).
- Le risque logistique (grèves, fermetures de frontières…).
- Le risque naturel (catastrophes climatiques…).
- Le risque réglementaire (guerre commerciale).
- Le risque cyber.
- Le risque de non qualité (rappels de produits).
- Le risque de planification (prévision de la demande).
- Le risque géopolitique (instabilité politique).
- Le risque financier (défaillance d’un fournisseur).
- Le risque sanitaire (confinement).
- Le risque de perte de savoir-faire.
- Le risque stratégique (abandon d’activités).
Source : Baromètre 2019 risques supply chain, KYU, Arts et Métiers.
Lien : www.kyu.fr/publication/barometre-2019-des-risques-supply-chain/