Le conseil, pierre angulaire du modèle des ESN

Le cabinet Xerfi-Précepta vient de publier deux études, l’une sur les entreprises de services numériques à l’horizon 2022, et l’autre sur les services de cloud d’infrastructures. Les explications de l’auteur de ses analyses, David Lolo, chargé d’études chez Xerfi-Precepta.

L’avenir s’annonce-t-il prometteur pour l’activité des entreprises de services numériques (ESN) ?

En France, les ESN ont évolué dans un environnement très favorable, marqué par la digitalisation croissante des entreprises et des administrations. Par ailleurs, le soutien des pouvoirs publics dans le numérique s’est matérialisé par l’introduction d’un dispositif de suramortissement dédié à soutenir la transformation digitale des PME industrielles.

Dans ces conditions, le chiffre d’affaires de la profession augmentera de 4 % par an entre 2020 et 2022, après une hausse de 6 % en 2019, selon notre scénario. Les besoins technologiques des entreprises seront en effet de plus en plus prégnants, en particulier ceux des débouchés industriels et financiers.

A l’horizon 2022, la polarisation des activités des ESN sera terminée. Le conseil devient en effet la pierre angulaire du modèle d’affaires des entreprises de services numériques. Face à la banalisation croissante des prestations d’infogérance et à la dématérialisation de l’informatique avec le cloud, les ESN ont en effet placé les services de conseil et d’accompagnement au cœur de leur stratégie de création de valeur.

Ce sont d’ailleurs bien les prestations de consulting qui tireront, à elles seules, les revenus du secteur à moyen terme. Leur changement de posture (se poser en partenaires de bout en bout des entreprises pour se détacher de leur rôle d’intégrateurs) a manifestement eu des effets favorables.

La profession doit pourtant composer avec une concurrence de plus en plus féroce ?

Si l’activité des ESN restera bien orientée, les pressions concurrentielles resteront fortes. Les ESN se retrouvent désormais en concurrence frontale avec les fournisseurs technologiques, éditeurs de logiciels et fournisseurs de services cloud qui n’hésitent plus à prospecter les directions métiers des entreprises.

Dans le même ordre d’idées, l’essor des plateformes de freelances de l’informatique permet aux clients finaux de contourner les ESN, en particulier celles de petite taille, en s’adressant directement aux consultants qualifiés pour la réalisation de solutions numériques. La profession se heurte également à la menace de nouveaux entrants comme les groupes de communication. Grâce à ses multiples acquisitions, Publicis s’impose ainsi comme un acteur à part entière des services numériques. On le voit, les conditions du marché se durcissent pour les acteurs du secteur.

Les ESN ont-elles néanmoins des atouts à faire valoir ?

Les ESN restent des partenaires tout à fait légitimes dans l’accom­pagnement de projets de plus en plus complexes et incluant toujours plus de couches technologiques : intelligence artificielle, Big Data, objets connectés et j’en passe. Dans l’optique de sécuriser leur clientèle, elles peuvent effectivement miser sur leur stratégie de guichet unique pour accompagner les entreprises tout au long de leur transformation digitale, de l’identification des besoins des équipes à l’installation de la solution technologique.

En parallèle, elles peuvent développer une expertise thématique, à l’instar d’Accenture dans le marketing, ou jouer la carte de l’expertise sectorielle, comme Capgemini sur les débouchés industriels. Mais au fond, la véritable promesse de valeur des ESN réside dans leur main d’œuvre, très qualifiée et difficile à trouver sur le marché de l’emploi. Confrontées à une forte pénurie de compétences, les ESN doivent impérativement mettre en place une politique RH afin d’acquérir et fidéliser les meilleurs talents.

Cela passe par la présence dans les écoles, la qualité de vie au travail ou encore les formations dispensées en interne. Sans oublier bien sûr une rémunération attractive. A défaut, leurs ambitions risquent bien de s’éroder comme peau de chagrin.

Une autre de vos études s’intéresse aux services d’infrastructures dans le cloud : quelles sont les perspectives pour le marché français de l’Iaas ?

Rappelons que l’IaaS (Infrastructure as a Service), ou cloud d’infrastructure, est la couche servicielle primaire du cloud qui consiste à rendre disponibles des infrastructures informatiques (serveurs, capacités de stockage et de calcul) et à les consommer à distance grâce à Internet. L’offre IaaS se décline en cloud public, où plusieurs clients utilisent simultanément les mêmes serveurs à distance, en cloud privé, dans lequel un serveur est spécifiquement dédié à un client, et en cloud hybride, où le client utilise à la fois des cloud public et privé.

Depuis 2016, les ventes de services IaaS enregistrent une croissance à deux chiffres en France et dans le monde. Et cette dynamique ne devrait pas faiblir. Ainsi, le marché français du cloud d’infrastructure public verra ses ventes s’envoler, d’environ 20 % par an en moyenne d’ici 2022, pour dépasser la barre du milliard d’euros. Dans le même ordre d’idées, le chiffre d’affaires des fournisseurs augmentera de 16 % par an en moyenne entre 2020 et 2022.

Un tel dynamisme s’explique par le processus de transformation digitale des entreprises, une prise de conscience des avantages de l’IaaS par les DSI et la multiplication des données internes à stocker et à traiter. Notons que les services de cloud d’infrastructure ne sont encore utilisés que par 12 % des entreprises de dix salariés et plus dans l’Hexagone.

Les acteurs français ont-ils les moyens de riposter aux GAFAM ?

Le marché mondial du cloud d’infrastructure est largement dominé par les géants du numérique. Les Américains Amazon, Microsoft et Google trustaient à eux seuls 67 % du marché du cloud public mi-2019, contre 44 % fin 2015. Outre les géants mondiaux, le marché français se compose d’une multitude de fournisseurs pour lesquels le cloud n’est d’ailleurs pas le cœur de métier (opérateurs télécoms, hébergeurs et entreprises de services numériques). Quelques poids lourds tricolores peuvent néanmoins rivaliser avec les GAFAM : l’opérateur télécom Orange (via Orange Business Services), l’hébergeur OVH et l’ESN Atos, dotés des capacités financières pour investir dans leurs propres infrastructures cloud.

Et déjà OVH, rebaptisé OVHcloud en octobre dernier, s’affirme comme un potentiel adversaire à l’échelle mondiale. Le groupe, qui a financé sa stratégie de développement par des emprunts successifs et une ouverture partielle de son capital, compte aujourd’hui trente datacenters (dont seize en Europe). Et il ambitionne d’atteindre cinquante sites d’ici 2024.

Pour rattraper les GAFAM, OVHcloud mise sur l’amélioration de sa compétitivité-prix et sur l’élargissement de son réseau de partenaires. Faute de moyens, les acteurs de taille plus modeste nouent, eux, des partenariats avec les géants pour répondre aux besoins de cloud public et hybride. Nombre d’entre eux agissent ainsi comme intégrateurs des solutions IaaS d’Amazon et de Microsoft.

La mutation de la demande peut-elle être une opportunité à saisir ?

Les DSI ont en effet davantage recours aux offres de cloud hybride et multi-cloud, qui impliquent des besoins en termes de management du cloud et de conseil sur les offres du marché. Cette évolution est une aubaine pour les intégrateurs de proximité, en particulier les ESN, qui cherchent à limiter leur dépendance envers leurs fournisseurs.

Le revirement stratégique d’Orange Business Services dans le cloud d’infrastructure est symptomatique d’une telle mutation de la demande. La sécurité est également une véritable carte à jouer pour les fournisseurs français, de plus en plus actifs dans la mise en conformité de leurs infrastructures, à l’image d’Outscale, filiale IaaS de Dassault Systèmes.


AWS, n° 3 mondial des ESN

Selon le classement établi par PAC-Teknowlogy Group, AWS est aujourd’hui le numéro trois mondial des services informatiques. « A ce rythme, il sera sans doute numéro 1 dans trois ans », pronostiquent les analystes de PAC. AWS a gagné deux places dans le classement annuel (2018), doublant DXC et Fujitsu. Autres progressions à mentionner : NTT Data a lui aussi gagné deux places en dépassant Cognizant et Capgemini, tandis que Microsoft est passé de la 23ème à la 18ème place en 2018, grâce au développement d’Azure. Derrière AWS (qui n’était même pas dans le Top en 2008, avec à peine 0,1% de part de marché), les Indiens sont parmi les grands gagnants : la part de marché cumulée du Top 5 a plus que doublé (de 2,7 % à 6,4 %), ils sont désormais 5 dans le Top 25 (un seul en 2008) et 2 dans le Top 10 (aucun en 2008).

Selon PAC Teknowlogy Group, les autres belles performances sur dix ans ont été enregistrées par Accenture, NTT Data et Deloitte, lequel a plus que doublé sa part de marché, tirant parti des besoins en conseil autour de la transformation digitale. Du côté des Français, Capgemini s’est juste maintenu, avec une belle accélération ces dernières années, tandis qu’Atos a gagné deux places, mais a perdu des parts de marché.

L’autre Européen présent dans le Top 25 de 2008, l’Allemand T-Systems (14ème), échoue à la 31 ème place en 2018, « résultat combiné de cessions d’activités et d’un positionnement trop dépendant de l’infogérance d’infrastructures », souligne PAC. Le cabinet révèle que la part du Top 25 a diminué de trois points sur les dix dernières années (malgré de nombreuses acquisitions), illustrant « les difficultés des acteurs positionnés sur les grands projets d’intégration de systèmes et les grands contrats d’infogérance. Dans le même temps, les « hyperscaler », mais aussi tout un nouvel écosystème de sociétés spécialisées autour des nouvelles technologies et de la transformation digitale, se sont rapidement développés. »