La plupart des entreprises sont persuadées qu’elles peuvent affronter le monde numérique sans trop de dégâts, voire en profitant de belles opportunités. Et, bien sûr, de disposer des bonnes compétences, d’une stratégie pertinente et de solides ingrédients technologiques.
« Il faut non seulement être digital ready mais aussi disruption ready, une entreprise apprenante, assez agile pour anticiper et s’adapter rapidement aux changements de son environnement, être en coopétition, tirer profit de ses données et faire primer l’expérience client », assurent les auteurs, David Fayon, directeur du programme d’innovation ouverte Time To Test à La Poste, et Michaël Tartar, vice-président Digital Enterprise de ROK Solution.
Quant aux entreprises qui estiment qu’avoir un site Internet, être présente sur les médias sociaux, nommer un community manager ou même un directeur du digital suffit pour décréter que l’organisation est digitale, elles se trompent. « Toute organisation, tel un organisme vivant, doit intégrer le digital dans sa stratégie et s’y adapter », estiment les auteurs. Mais les entreprises restent actuellement inadaptées, surtout les plus petites, dont seulement une sur deux dispose d’un site Web et 5 % d’un site de e-commerce.
Le conservatisme perdure
Dans les plus grandes entreprises, le niveau de maturité est différent selon les métiers : il est plus élevé dans les DSI, au marketing et à la communication, mais les auteurs relèvent « un plus grand conservatisme dans les directions opérationnelles et celles des ressources humaines, dont peu prévoient une gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences pour répondre aux mutations présentes et à venir des métiers, dues à la généralisation du numérique. »
C’est également un problème de culture des directions générales : « L’inadaptation de bon nombre d’entreprises vient également des décisions de dirigeants qui, loin de voir le numérique comme une opportunité, le perçoivent d’abord comme une menace pour leur pouvoir ou pour la productivité même de leur entreprise. Les réticences à l’égard de l’introduction des réseaux sociaux dans l’entreprise sont, à ce titre, révélatrices.
Alors que ces derniers annoncent la troisième révolution des télécoms dans l’entreprise, les dirigeants estiment que leur usage sera source de perte de productivité et de distraction. Les arguments avancés sont les mêmes que ceux formulés à l’encontre du téléphone, puis de la messagerie électronique. Et le réflexe naturel est de brider les accès plutôt que de prendre conscience que la porosité des frontières entre la vie professionnelle et la vie personnelle devient la règle », ajoutent les auteurs.
Les cinq stratégies face à la disruption
Face à la transformation indispensable, les auteurs distinguent cinq catégories d’entreprises, en fonction de leur degré d’engagement croissant dans la digitalisation : les attentistes, les impressionnistes, les externalisatrices, les intégratrices et les transformatrices.
Les attentistes estiment que le digital reste un effet de mode ou sont dans le déni. « Leurs cadres dirigeants ont beau voir le monde changer autour d’eux, ils restent persuadés que les fondamentaux de leurs entreprises sont bons. Pourquoi changer, puisque nous continuons de vendre et d’attirer des talents ?
La question suivante étant : pour combien de temps encore ? Car le principal problème que rencontrent les attentistes est d’être confrontés à une rapidité d’action à laquelle ils ne sont pas habitués, dès l’instant qu’ils prennent conscience que l’environnement dans lequel ils opèrent a déjà changé en profondeur », décrivent les auteurs.
Pour les impressionnistes, la transformation numérique ne s’effectue que par petites touches, avec quelques initiatives telles qu’un relookage de site Web, l’intégration de fonctionnalités de e-commerce ou une application mobile pour être au goût du jour. « L’ensemble manque de cohérence, les départements de l’entreprise responsables de ces présences en ligne agissent sans coordination.
Et pour cause : aucune stratégie de digitalisation n’a été rédigée et encore moins expliquée aux collaborateurs, à commencer par les cadres dirigeants », détaillent les auteurs. Certes, une telle approche peut donner de bons résultats, mais pas à long terme : « Ces entreprises résistent difficilement à une concurrence bien décidée à conquérir et fidéliser les consommateurs et l’ensemble des parties prenantes au travers des canaux numériques. Leurs cadres dirigeants campent chacun sur leurs positions, fiers des menus espaces conquis en ligne. Pire, le comité de direction est souvent aveuglé par quelques belles réalisations qui peuvent impressionner, mais restent isolées. »
De leur côté, les externalisatrices évitent la transformation en profondeur de l’organisation et créent, par exemple, une filiale dédiée (sur le modèle de la SNCF). « Tôt ou tard, la question de la greffe se pose. Les consommateurs, clients de la marque au travers de ses canaux traditionnels et de ses canaux digitaux, réclament une continuité de service. Après tout, pour eux, il s’agit de la même entreprise. Les équipes de la filiale digitale réclament plus de réactivité de la maison mère. Des tensions apparaissent au sein des équipes de la maison mère, qui peuvent percevoir les équipes de l’activité digitale comme arrogantes », arguent les auteurs.
Les intégratrices, elles, parient sur les acquisitions pour accélérer leur transformation, afin de s’approprier des compétences et des savoir-faire dont elles ne disposent pas ou trop peu, sur le modèle de Casino, qui avait acquis Cdiscount. « La greffe peut prendre, ou pas. La société achetée, jusqu’alors autonome, se retrouve contrainte d’opérer dans un monde qu’elle perçoit comme rigide. Les dirigeants enchaînent les comités de direction, les séminaires, les revues trimestrielles et s’éloignent de leur cœur de métier. »
Enfin, les transformatrices sont les sociétés les plus avancées en matière de transformation numérique. Les auteurs les décrivent de la manière suivante : « Au plus haut niveau, une vision claire de l’entreprise opérant dans un monde digital est formalisée. Il ne s’agit pas simplement de discours, mais bien d’un document, d’une vidéo pourquoi pas, qui donne aux collaborateurs à percevoir ce que sera le futur de l’entreprise.
Dans tous les départements de l’entreprise, les processus opérationnels sont revisités et rendus progressivement plus efficaces et plus efficients avec le digital. La barrière technologique d’accès au digital est progressivement levée, rendant les collaborateurs acteurs de la transformation. Une nouvelle culture véritablement orientée clients, une culture de la transparence, dans laquelle transmettre l’information devient plus important que de la garder pour soi, une culture favorisant une plus grande porosité entre les départements de l’entreprise, pour toujours plus d’efficacité. Les capacités d’innovation sont démultipliées, valorisant les idées des collaborateurs, mais aussi des partenaires et des consommateurs eux-mêmes. L’entreprise devient une plateforme à la croisée des initiatives. »
Agir sur les leviers stratégique, organisationnel, humain et technologique
Les auteurs proposent un modèle de transformation basé sur six leviers, illustrés par des retours d’expérience et des indicateurs concrets pour mesurer la maturité numérique :
- La stratégie : dans un monde digital, elle est différente de ce que l’on a l’habitude de considérer. « La vision à long terme de l’entreprise est fréquemment revisitée, dans la mesure où, dans un monde digital, sur le long terme (c’est-à-dire trois ans et au-delà), trop de changements profonds et imprévisibles peuvent se produire (nouvelles technologies en rupture, nouveaux usages, nouveaux comportements, nouvelle réglementation fiscale, etc.) », expliquent les auteurs.
- L’organisation : les structures organisationnelles classiques, adaptées à un monde évoluant lentement et peu personnalisées, ne sont pas appropriées au monde digital, car « elles créent des frictions et une rigidité empêchant l’entreprise d’évoluer au rythme rapide du monde digital. » Il faut au contraire moins de niveaux hiérarchiques et des structures beaucoup plus réactives.
- Les ressources humaines : la transformation numérique est évidemment une affaire de culture, dont le renforcement ne se limite pas à proposer des formations ou des modes d’emplois de l’intranet. Elle passe plutôt par une approche collaborative. Pour les auteurs, cet état d’esprit favorise le partage des informations et des savoir-faire pour agir au plus vite.
- Les offres, avec la culture du prototypage, de la co-innovation, du multi-canal et de la tolérance à l’échec, afin de construire des offres sur mesure pour des clients de mieux en mieux informés.
- Les technologies et l’innovation : l’entreprise numérique doit faire des choix en matière de technologies de manière à « lui permettre d’évoluer sans être contrainte par des solutions techniques susceptibles de fragiliser son organisation », par exemple avec une stratégie d’API et de données ouvertes.
- L’environnement : il est par définition très évolutif, surtout pour les relations avec les écosystèmes. « Ces changements permanents supposent une attitude d’ouverture, de veille, d’appréhension des nouveautés, qu’elles soient liées au cœur du métier de l’entreprise ou à sa périphérie : technologies et services supports, écosystème économique, comportements des consommateurs (pour les entreprises B2C) et des clients (pour les entreprises B2B), réglementations juridique et fiscale », résument les auteurs.
Transformation digitale 2.0, six leviers pour parer aux disruptions, par David Fayon et Michaël Tartar, Editions Pearson, 314 pages.
Les trois facettes de la transformation digitale
- L’automatisation pour la reproduction mécanique d’une séquence d’actions à l’aide d’un programme.
- La dématérialisation pour le remplacement de supports matériels, en particulier des documents papier. Elle recouvre également la gestion numérique des flux de l’ensemble des données pour la création, la modification, la suppression, mais aussi le stockage, l’échange et l’archivage.
- La désintermédiation, rendue possible avec le numérique.