La gouvernance du SI, d’abord une affaire de communication

La gouvernance du système d’information, au-delà des méthodologies, des processus et des bonnes pratiques est aussi, et surtout, une affaire de communication. La gouvernance des systèmes d’information peut être définie comme l’ensemble des règles, des process et des comportements qui concourent à faire que les technologies de l’information soient utilisées d’abord en cohérence avec les métiers de l’entreprise, ensuite avec les dispositions réglementaires et, enfin, avec les principes de déontologie couramment admis par le plus grand nombre.

Bien sûr, il existe de nombreuses définitions et approches de ce qui est aujourd’hui devenu plus qu’un concept. Toutes s’articulent, plus ou moins, autour d’une idée qui n’est pas nouvelle. Dans son ouvrage sur la gouvernance, paru en 2003 dans la collection « Que-Sais Je ? », Philippe Moreau Defarges rappelle ainsi qu’au Moyen Age, « les historiens anglais se réfèrent à la gouvernance pour caractériser le mode d’organisation du pouvoir féodal. »

Aujourd’hui, rien n’a changé, la gouvernance est clairement un mode d’organisation des entreprises. Nous ne nous inscrivons pas davantage exclusivement dans une approche de type processus, même si leur refonte s’impose souvent dans une démarche de gouvernance des systèmes d’information, et si les bonnes pratiques (de type Cobit, Cmmi ou Itil) présentent un intérêt évident. Ni dans une approche de type « politique », au sens où il suffirait qu’une direction générale témoigne de son attachement à la gouvernance pour que celle-ci, par on ne sait quel automatisme, irrigue toute l’entreprise.

Une approche nécessairement pluridisciplinaire

Dans la mesure où les systèmes d’information constituent le système nerveux de l’entreprise, et il faut que les DSI en soient intimement convaincus, on ne peut s’engager dans une démarche de gouvernance (d’entreprise ou du système d’information) sans s’appuyer sur une approche pluridisciplinaire. Celle-ci mêle un engagement « politique » (nécessaire, mais pas suffisant), une clarification des process (souvent très complexes, même dans les PME) et des outils (il nous faut quand même des tableaux de bord dignes de ce nom et des instruments de collecte de l’information). Autrement dit, la gouvernance est un écosystème, dont il faut éviter qu’il ne dépérisse et meure, faute de principes clairs.

Si le mot organisation est essentiel dès lors que l’on parle de gouvernance, il en est un autre qui prend tout son sens : la communication. Tous les DSI savent que c’est la partie la plus difficile, à la fois face aux utilisateurs de nos systèmes d’information (qu’ils soient utilisateurs directs ou managers d’entités métiers) et face aux directions générales.

Il est déjà difficile de faire passer les messages pour accompagner des refontes d’applicatifs lourds qui changent l’univers quotidien des utilisateurs, il est encore plus délicat de le faire dès lors que, dans l’esprit de beaucoup, la gouvernance reste un concept fumeux, inventé par des consultants pour vendre davantage d’heures facturables à des directions générales ou des DSI désemparées face aux bouleversements de leurs univers réglementaires.

Une alchimie entre organisation et communication

Peut-on suggérer un nouveau mot ? Organication, mélange d’organisation et de communication, pour traduire le fait que la démarche de gouvernance n’est jamais figée et que des « boucles de rétroaction » sont en permanence à l’origine de changements, dans le cadre d’une démarche agile. Mais comment faire ? C’est la question que tous les DSI se posent, surtout s’ils sont confrontés à une injonction de leur comité de direction, leur suggérant fortement « d’organiser » la gouvernance des systèmes d’information pour être conforme aux obligations réglementaires et/ou aux souhaits des actionnaires. Ce n’est pas le plus difficile car, dans ce cas, l’engagement de la direction générale est fort.

Le problème se pose lorsque la DSI a besoin de s’engager dans une démarche de gouvernance sans avoir d’appui. C’est là que la communication prend tout son sens. C’est sur ce terrain que se joue sa crédibilité. Les hommes politiques et la plupart des dirigeants des grandes entreprises ne l’ont-ils pas compris depuis bien longtemps ? Si beaucoup de DSI ont dépassé le stade du « je n’ai rien à dire », une majorité adopte l’attitude du « je ne sais pas comment le dire ».

Les raisons ne manquent pas pour que les DSI prennent ou reprennent l’initiative de mieux communiquer. D’abord parce que, si rien n’est fait, la « part de marché » de la DSI ou pour reprendre une expression chère aux hommes du marketing, « la part de voix » des métiers sera réduite.

Il est pourtant fondamental que, dans l’esprit d’une direction générale, se forge une attitude positive vis-à-vis des systèmes d’information : il n’y a pas que le marketing, la finance, les achats ou les ressources humaines qui ont leur place au plus haut niveau… Ensuite, les risques à communiquer davantage sont faibles. Que risque donc un DSI à mieux expliquer ce qu’il fait, montrer comment ses collaborateurs travaillent et quelles sont ses difficultés ? Rien, au contraire.

La communication autour des systèmes d’information a au moins trois avantages : elle fait connaître la DSI, elle fait comprendre le système d’information et, si l’approche est cohérente et soutenue (c’est un travail quotidien et à long terme), elle fait aimer le système d’information. On remarquera que ces trois points correspondent aux objectifs et enjeux de la gouvernance d’entreprise.

La règle des 4 C

La transformation des convictions des utilisateurs et des directions métiers suppose que quatre conditions soient remplies : il faut une exposition, plus ou moins prolongée, aux messages, un décodage des messages, une persistance des messages et une conversion des messages en actions concrètes. Une autre condition consiste à appliquer la règle des « 4 C ».

Le premier « C » représente la crédibilité, en apportant la preuve de ce que l’on avance. Dire que le système d’information participe à la compétitivité de l’entreprise (et à sa gouvernance corporate) ne suffit pas, si l’on est incapable d’illustrer le propos par des chiffres, des exemples, des faits, des anecdotes. Alors ce créera, dans l’esprit de celui qui reçoit le message, une image qui associe les deux éléments. Le second « C » représente la cohérence, appuyée par la démonstration de ce que l’on affirme. Après avoir prouvé la causalité entre le système d’information et la compétitivité de l’entreprise, il faut ensuite montrer par quels mécanismes. Le troisième « C » représente la consistance, c’est-à-dire la rigueur dans le propos (la logique floue est l’ennemie du DSI…), l’expression des convictions du DSI et la continuité du propos. Affirmer une chose et son contraire quelques jours après est le meilleur moyen de ruiner la crédibilité d’un DSI !

Enfin, le dernier « C » correspond à la congruence, terme que l’on identifie à la pertinence d’un message et à l’empathie à l’égard de celui qui l’émet. Il est vrai qu’un DSI perçu comme incompétent et caractériel éprouvera d’énormes difficultés à faire passer les bons messages. Les spécialistes de la communication s’accordent sur le fait qu’un message émis est nécessairement déformé : sur 100 % d’informations que l’on connaît, on en transmet 80 %, l’interlocuteur en perçoit seulement 60 %, en comprend 40 % et ne peut en restituer que 20 %.

Un feedback instructif

La communication ne doit jamais être à sens unique. Trop de DSI se contentent d’émettre des messages et, aussi pertinents soient-ils, l’efficacité de l’opération n’est pas complète si l’on n’analyse pas comment la communication transforme les comportements et les opinions. A l’image des entreprises du secteur de la grande consommation qui pratiquent « l’écoute-client », « l’écoute-consommateur du système d’information » est tout aussi instructive. C’est le seul moyen de juger si les actions et les stratégies de la DSI sont pertinentes.

Les résultats de ces études ont montré une satisfaction globale des utilisateurs à l’égard du système d’information que nous mettons à leur disposition. Sur certains points, par exemple les délais de réponse du Help Desk ou l’adéquation des postes de travail avec l’évolution des besoins de certaines catégories d’utilisateurs (les commerciaux notamment), nous avons été moins performants. Mais en l’absence de sondage de satisfaction, l’aurions-nous su ? Ce n’est pas certain, ou alors de façon indirecte, informelle. Le tableau de bord de satisfaction, dont les résultats sont en permanence affichés non seulement dans mon bureau, mais dans tous ceux de la DSI, constitue un puissant levier d’amélioration de notre propre performance. On ne manque pas de le communiquer aux membres du comité de direction, même le risque qu’une dégradation de la qualité de service suscite des questions et des critiques. Si gouvernance et transparence vont de pair, les DSI ont plus à gagner en s’exposant qu’en restant dissimulés derrière leur paravent technologique qui, un jour ou l’autre, comme le mur de Berlin, finira par céder.


Quelques conseils

  • Se familiariser avec les grands principes de la communication, les ouvrages généralistes sur le sujet ne manquent pas.
  • Répondre aux cinq questions de base : quoi ? Vers qui ? Comment ? Pourquoi ? Où ?
  • Identifier les cibles privilégiées sur lesquelles on souhaite communiquer : utilisateurs, directions métiers, direction générale…
  • Bien choisir les outils de communication: identifier les avantages et inconvénients de chacun.
  • Mettre en avant les impacts business plus que les considérations technologiques.
  • Mesurer régulièrement, avec des enquêtes de satisfaction, l’évolution des opinions à l’égard du système d’information.
  • Construire des indicateurs de progression.
  • Externaliser certaines fonctions à des professionnels (contenu éditorial des newsletters, enquête de satisfaction auprès des utilisateurs, organisation d’événements…).
  • Nommer un chef de projet communication, responsable des succès et… des échecs.
  • Le DSI doit devenir visible hors de l’entreprise pour communiquer vers des publics divers (les clients de l’entreprise, via les médias ou les conférences, par exemple).
  • Penser au budget : la communication n’est jamais gratuite.