Des acheteurs obsédés par les remises et des fournisseurs qui peinent à vendre leurs solutions : ce tableau simpliste des relations entre les entreprises et leurs fournisseurs est-il complètement dépassé ? Il semblerait que le déséquilibre marqué par une toute puissance des directions achats soit remis en cause.
D’après une étude du Conseil national des achats et de AgileBuyer, 56 % des acheteurs affirment vivre des relations déséquilibrées et défavorables avec certains fournisseurs. Pour Olivier Wajnsztok, directeur associé, fondateur d’AgileBuyer et auteur de l’ouvrage intitulé « Stratégie Achats, l’essentiel des bonnes pratiques » paru aux Editions Eyrolles, « certes, le phénomène est connu depuis longtemps, mais c’est la première fois que nous le mesurons.
Même si nous avions quelques pressentiments, nous ne nous attendions pas à un tel résultat. Hausses des prix unilatérales de la part des fournisseurs, menaces de ruptures de la chaîne d’approvisionnement, voire intimidations : on est loin de l’image d’Epinal du gentil fournisseur face au méchant acheteur. Cela est d’autant plus pénible que nous parlions l’an dernier de « câlinothérapie » et d’une réelle volonté des professionnels de la fonction achats de construire des relations équilibrées avec les fournisseurs. »
Des coûts de maintenance prohibitifs
La moitié des acheteurs se sont ainsi retrouvés devant le fait accompli et s’avouent incapables d’instaurer une relation équilibrée. « Un pourcentage qui met fin, s’il en était besoin, au mythe de l’acheteur tout puissant », confirment les auteurs de l’étude. Pour Sylvie Robin-Romet, directrice des achats groupe chez Crédit Agricole SA, « le sujet a toujours existé, mais demeurait limité à quelques fournisseurs américains monopolistiques. Désormais, cette pratique s’est généralisée au secteur des logiciels et des données de marchés. » Cela se traduit, entre autres, par des coûts de maintenance prohibitifs, sans lien avec des indicateurs mesurables, des remises sur les solutions conditionnées à l’achat d’autres solutions ou encore des menaces de coupures d’accès de la part de ces fournisseurs de données et de logiciels, dans un contexte de cloud. « Certains s’offrent même le luxe de maintenir un montant de contrat en cas de baisse de nos consommations », ajoute-t-elle.
Tous les secteurs sont concernés (voir graphique), avec des situations plus ou moins déséquilibrées, les secteurs de la finance et des services étant les plus confrontés à ces relations conflictuelles avec les fournisseurs. Pour Jean-Luc Baras, directeur des achats chez Eiffage, « la montée en puissance de certains fournisseurs, de type GAFAM, ou la consolidation des acteurs sur certains marchés de matières premières (mines, pétrochimie, ciment…) sont de nature à engendrer des relations déséquilibrées et défavorables aux acheteurs. »
Concentration des éditeurs : un facteur de risque
Les éditeurs de logiciels arrivent en deuxième position dans la liste des fournisseurs les plus difficiles à gérer, derrière les fournisseurs de matières premières. Selon l’étude, la pression exercée par les éditeurs de logiciels est un cas de figure rencontré par près de 35 % des acheteurs informatiques interrogés. « Dans les faits, on constate, d’abord, un appauvrissement de l’écosystème au sein de ce secteur, les plus gros éditeurs rachetant nombre de start-up. Les acheteurs ne peuvent faire jouer la concurrence comme il se devrait et la relation s’en trouve déséquilibrée. Parallèlement, profitant de cette position dominante, ces éditeurs imposent des prix croissants avec de nouvelles versions de logiciels et autres packs indissociables, à l’obsolescence programmée. Il est ainsi fréquent d’observer des hausses de prix de l’ordre de 10 à 20 %. A cela s’ajoutent des conditions commerciales abusives, ou encore des audits et des services de maintenance imposés par ces mêmes fournisseurs », expliquent les auteurs de l’étude.
Pour Pascal Garnero, directeur des achats groupe chez Atalian, « les directions des achats sont régulièrement mises devant le fait accompli par des fournisseurs informatiques qui font subir, sans préavis, des allongements importants des délais de livraison souvent associés à des augmentations de prix. Ceci étant généralement lié à des obsolescences programmées pour lesquelles ces fournisseurs communiquent très peu. »
Les technologies, levier de modernisation pour les directions achats
Cela ne va toutefois pas se traduire par une réduction du nombre de fournisseurs, même si l’objectif de diminution des coûts reste en tête des préoccupations pour les trois-quarts des directions achats en 2019 et que cela demeure un critère majeur d’évaluation de leur performance. « Seulement » 43 % des acheteurs déclarent que leur organisation aura un objectif de réduction du nombre de fournisseurs cette année, soit quatre points de moins par rapport à 2018. Bien que le contexte soit un peu plus tendu que début 2018, la tendance se confirme toutefois : la réduction du nombre de fournisseurs est de moins en moins un objectif en soi pour une large majorité des entreprises.
Notamment parce qu’il s’agit de privilégier les fournisseurs, par exemple les start-up, susceptibles de répondre aux besoins. « La réduction du nombre de fournisseurs n’est plus un enjeu stratégique en particulier, car les acheteurs doivent désormais regarder de nouveaux types de partenaires comme les start-up ou les acteurs du digital et répondre davantage aux enjeux stratégiques d’accélération dans le digital que de réduction du panel », confirme Karine Alquier-Caro, directrice des achats chez Legrand.
Les directions achats vont poursuivre leur transformation digitale, mais elles partent de loin : seuls 46 % des acheteurs déclarent que leur organisation possède une feuille de route de transformation digitale incluant les nouvelles technologies, les plus en retard étant les entreprises industrielles. « Notre feuille de route digitale est claire : dématérialiser l’ensemble de nos processus, ce qui est fait aujourd’hui ; nous sommes en « zéro papier » ! Nous entamons maintenant des recherches de solutions, à base de robotique et d’intelligence artificielle, pour améliorer toujours plus l’efficacité de la fonction », précise Pascal Pelon, directeur des achats chez Axa France. Les directions achats vont ainsi investir en outils collaboratifs, solutions de SRM (Supplier Relationship Management), analytiques, d’automatisation des tâches avec des solutions de type RPA (Robotic Process Automation), en places de marchés ou en intelligence artificielle.
Source : AgileBuyer, Conseil national des achats
Treize leviers de réduction des coûts
- La négociation.
- L’ajustement des spécifications techniques.
- La mutualisation/globalisation.
- Le changement de fournisseur.
- L’analyse du TCO.
- L’analyse de la valeur.
- L’innovation.
- Les engagements sur les volumes d’achats.
- Le plan d’amélioration continue.
- L’infogérance.
- L’intégration des fournisseurs (par exemple les start-up).
- La délocalisation.
- Le Demand Management.