Un monde sans connards est-il possible ? Cette question, hélas, appelle une réponse négative, tranche Jean-François Marmion, qui a dirigé l’ouvrage collectif dédié à ce vaste sujet. Il a réuni, pour étudier la question, une diversité d’experts,…
Il a réuni, pour étudier la question, une diversité d’experts, spécialiste du comportement (Dan Ariely), économistes, neuropsychiatre (Boris Cyrulnik), psychologues (Daniel Kahneman, Tobie Nathan), philosophes, sociologue (Edgar Morin) et spécialistes du cerveau.
Bref un bon cocktail pour décrypter ce qui est considéré comme un fardeau dans toute la Société et, bien sûr, dans toutes les entreprises. Jean-François Marmion prévient d’emblée, dans son avant-propos : « Vous qui entrez ici, laissez toute espérance. »
A l’image de Descartes, pour qui « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée », Jean-François Marmion estime que « nous sommes tous des cons occasionnels, qui déconnent en passant sans que cela prête trop à conséquence. Le tout est d’en prendre conscience et de le regretter puisque l’erreur est humaine. »
Le problème sont ceux qui récidivent et sont « des cons de compétition » au comportement particulièrement nocif : « Ils vous consternent et vous martyrisent par leur obstination dans la bêtise crasse et l’arrogance injustifiée. Ils persistent, signent et rayeraient volontiers votre opinion, vos émotions, votre dignité d’un trait de plume », écrit Jean-François Marmion. Et passer d’un état à l’autre peut être rapide et sournois. Un indice ? « Si vous vous croyez plus intelligent et plus exemplaire que la moyenne, le diagnostic fatidique n’est pas loin : vous êtes peut-être un porteur sain de la connerie qui s’ignore… »
Une vision scientifique
La connerie a bien sûr fait l’objet d’études scientifiques, en particulier de la part de psychologues qui ont cherché à comprendre pourquoi « les gens se comportent comme des cons ». En réalité, les individus, avant d’agir, ne procèdent pas à une analyse approfondie de leur environnement : « Ils utilisent des routines d’actions bien rodées et habituelles, exécutées automatiquement à partir d’indices externes. »
C’est pour cette raison, par exemple, que l’on regarde deux fois sa montre à quelques secondes d’intervalle, parce que la première fois, l’information n’a pas été captée. Par ailleurs, les psychologues ont montré que nous sommes souvent atteints de « cécité aux changements et qu’une modification même importante n’est pas toujours perçue par l’individu », explique Serge Ciccotti, psychologue à l’université de Bretagne Sud.
On est victime également de l’illusion de contrôle, lorsque l’on appuie plusieurs fois sur un bouton d’ascenseur ou que l’on suit un véhicule qui emprunte un sens interdit. Pour Serge Ciccotti, le con a une vision du monde très simpliste : « Il a du mal avec les grands nombres, les racines carrées, la complexité, voire avec la courbe de Gauss de laquelle il ne perçoit que les extrêmes », poursuit le psychologue… Mais il a besoin de maîtriser son environnement, ce qui débouche sur « des comportements absurdes, comme celui d’aller consulter un voyant », qui concerne 20 % des femmes et 10 % des hommes au cours de leur vie, rappelle-t-il.
Ce besoin de maîtrise entraîne une illusion de contrôle, « le con s’illusionne probablement plus que les autres », note l’auteur. Et les personnes incompétentes tendent à surestimer leur propre niveau de compétence. Les psychologues expliquent ce fait par la difficulté des personnes non qualifiées à évaluer, dans certaines situations, leurs réelles capacités et à reconnaître la compétence chez les autres. « Le connard vit dans un monde d’incompétence et de fourberie », résume Serge Ciccotti.
Aaron James, professeur de psychologie à l’université de Californie, définit le connard comme « quelqu’un qui s’accorde des avantages particuliers dans la vie sociale en se sentant immunisé contre les reproches (…). A partir du moment où on ne comprend pas en quoi il est extraordinaire, on ne mérite pas son intérêt. »
Niveau intellectuel et connerie : pas de lien
L’une des questions fondamentales est la suivante : pourquoi des individus disposant d’un niveau intellectuel et scolaire élevé croient-ils à des idées idiotes, se transformant ainsi en cons ? « L’intelligence n’empêche pas d’être un connard sévère, elle peut même y contribuer en lui mettant dans le crâne qu’il est au-dessus de la mêlée », estime Aaron James. Pour le neurologue Pierre Lemarquis, le niveau intellectuel n’est pas discriminatoire : « La connerie sévit autant chez les Nobel que dans les propos de votre compagnon de comptoir. »
Une opinion confirmée par le psychologue Yves-Alexandre Thalmann, pour qui « les personnes intelligentes ne sont pas immunisées contre des actes particulièrement stupides aux conséquences catastrophiques. » Cet alignement entre intelligence et connerie est, en partie, le résultat de nombreux biais cognitifs, abondamment décrits par les psychologues. « L’intelligence ne prémunit ni contre les biais ni contre les décisions stupides », assure-t-il.
A cette interrogation légitime, la philosophe et psychologue Brigitte Axelrad avance l’explication selon laquelle « aussi intelligent, cultivé et critique soit-il, aucun être humain n’est à l’abri de croire à quelque ineptie, essentiellement parce qu’il est difficile d’accepter le hasard. Ce qui fait la plus grande force des croyances irrationnelles, c’est qu’elles ont tendance à s’accorder avec nos attentes intuitives. » Antonio Damasio, neurologue et psychologue à l’université de Californie, assure, lui aussi, qu’on peut « tout à fait croire des choses idiotes dont on connaît la fausseté sur le plan scientifique et statistique. »
Dans les entreprises, on rencontre beaucoup de narcissisme, trouble de la personnalité bien connu, dont ceux qui en sont atteints « aiment être renforcés dans leur estime de soi par les autres, mais sont peu enclins à leur rendre la pareille », précise le psychiatre Jean Cottraux. Il distingue deux types de cons dans les organisations.
D’une part, les « cons glorieux, qui présentent un égo en inflation perpétuelle. Ils sont en général inoffensifs, à condition de savoir les flatter pour obtenir ce qu’on veut. Ils vivent un trouble narcissique de personnalité banal, léger, et dont les failles sous-jacentes peuvent être aisément comblées par des subordonnés habiles. »
D’autre part, les « sales cons », catégorie beaucoup plus toxique. « Ils se délectent de la soumission et de la souffrance des autres et font carrière pour assouvir leur passion pour l’humiliation. », décrit le psychiatre, avec les cas les plus graves qui associent narcissisme, machiavélisme et psychopathie. Comme disait Albert Einstein, cité dans l’ouvrage : « Le génie pourrait se confronter à des limites, mais la stupidité ne connaît pas un tel handicap… »
L’un des principes à retenir est qu’adopter une position de légitime défense est une tactique qui est vouée à l’échec : « C’est un piège : essayez de raisonner le con, de le changer, vous êtes perdu ! En plus d’être naïf, car vous vous croyez de taille à relever le défi, plus vous essaierez de réformer un con, plus vous le renforcerez : il sera trop content de se considérer comme une victime qui dérange et qui a donc raison. »
Psychologie de la connerie, sous la direction de Jean-François Marmion, Editions Sciences Humaines, 377 pages (il faut bien ça pour faire le tour de la question), 18 euros (un investissement au ROI très positif).
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Les autres idées à retenir
- La connerie est une promesse non tenue, promesse d’intelligence et de confiance trahie par le con, traître à l’humanité.
- Le con chasse en meute et pense en troupeau.
- La nouveauté de l’époque contemporaine est qu’il suffit d’un con et d’un bouton rouge pour éradiquer la connerie et le monde tout entier avec. Ou d’un con élu par des veaux trop fiers de choisir leur boucher.
- Si les grands esprits se rencontrent, les cons se télescopent.
- Le con excelle dans la capacité à croire tout et n’importe quoi, du folklore des complots à l’influence de la lune sur le comportement, en passant par l’homéopathie qui fonctionne même sur son chien, c’est quand même la preuve !
- Plus on vieillit, plus on a tendance à voir le passé comme positif, ce qui fait dire aux vieux cons : « C’était mieux avant… »
- Le con jette les dés plus fort pour faire des 6.
- Le con est-il un devin ? Non, il utilise le « Je le savais… » à des fins stratégiques, notamment pour montrer qu’il est bien plus informé qu’il ne l’est en réalité.
- C’est toujours par rapport à une position relative que se définit la connerie.
- L’intelligence collective a son pendant : la connerie collective.
- Les connards considèrent que c’est à nous de nous adapter à eux, comme n’importe quelle réalité.
- Un connard peut très bien avoir conscience de ce qu’il est et en tirer de la fierté.
- Le sot intelligent peut être très savant et très cultivé, il peut même briller en société.
- On peut être intelligent et très con : il suffit pour s’en convaincre de mettre n’importe quel intellectuel à un poste politique ou d’encourager tel expert à s’exprimer sur un sujet qu’il ne connaît pas.
- Il est tout à fait envisageable que les gens deviennent collectivement de plus en plus cons, sans pour autant que le niveau d’intelligence globale baisse d’un iota.
- L’esprit de la connerie œuvre infatigablement à sa propre défense et à rien d’autre.
- Le temps disponible pour corriger toutes les conneries va cruellement manquer à ceux qui disposent de méthodes fiables pour accéder à la vérité.
- Les mamelles de la sottise humaine sont triples : incohérence, ignorance et rationalisation.
- La connerie ne peut survire et prospérer que si elle prend l’apparence de ses plus grandes ennemies : la raison, la connaissance et la vérité.