Litiges informatiques : comment les éviter et les gérer lorsqu’ils se produisent

Les relations entre les DSI et les fournisseurs sont quelquefois conflictuelles. Il est toutefois possible d’éviter la plupart des litiges coûteux et chronophages. Pour développer et faire fonctionner au quotidien son système d’information, une entreprise a recours à de nombreux prestataires, pour les projets, l’hébergement des systèmes, le développement de plateformes ou de sites de e-commerce, la fourniture de solutions en cloud, l’exploitation, la maintenance, la sécurité, etc. La place prépondérante qu’occupent les technologies dans le fonctionnement d’une organisation explique les crispations relationnelles qu’elle engendre.

En cas de difficulté ou d’incompréhension, les relations entre un client et un prestataire peuvent en effet rapidement devenir conflictuelles et donner lieu à un litige, qui nécessitera une conciliation, une médiation, un arbitrage, voire un procès.

Ces litiges coûteux et chronophages sont pourtant assez simples à éviter. Leurs causes sont toujours les mêmes : des bonnes pratiques non respectées, une incompréhension ou une absence de dialogue entre les acteurs.

L’écrit reste indispensable

La nécessité d’aller vite, les méthodes agiles et autres méthodes par expérimentation, incitent à ne plus formaliser par écrit les accords ou les besoins. Faute d’avoir prévu un délai suffisant pour les négociations contractuelles dans le planning, la plupart des projets démarrent alors que le contrat n’est pas encore signé.

Pourtant, un grand nombre de litiges sont dus à des expressions de besoins, des spécifications fonctionnelles ou des contrats, imprécis ou incomplets. En cas de procès, la vérité, telle que l’entendent les justiciables, ne se confond pas forcément avec la vérité judiciaire, c’est-à-dire celle qui émanera de la décision rendue par le magistrat. En effet, celui-ci ne pourra fonder sa propre opinion qu’en fonction des pièces qui lui seront soumises lors des débats.

Dans ce cadre, le cahier des charges, l’offre commerciale, le contrat, les spécifications fonctionnelles, les comptes-rendus des comités de pilotage, ou encore les e-mails échangés, revêtent une grande importance et sont donc analysés en détail. Or, dans de nombreux cas, ces documents, qui ont été rédigés rapidement, sans validation par le service juridique ou un avocat spécialisé, sont lacunaires, imprécis, voire ambigus, et contiennent même des informations qui peuvent porter préjudice à l’une des parties.

Ainsi, les comptes-rendus des comités de pilotage sont souvent rédigés par le chef de projet du prestataire et, faute de temps, ne sont ni relus, ni validés par le client. Les difficultés rencontrées lors du projet y sont évoquées, mais, dans ce cas, avec une formalisation favorable au prestataire, homme de l’art.

De même, les e-mails échangés par les techniciens du prestataire et du client évoquent les difficultés rencontrées d’une manière très directe, sans aucune précaution juridique, alors que ces e-mails engagent les entreprises et ont également une valeur juridique.

Lors d’une expertise ou d’un procès, tous ces documents, auxquels les entreprises n’ont pas accordé toute l’importance requise, deviennent des preuves par défaut.

Des griefs toujours identiques

L’analyse des conflits entre des clients et des prestataires montrent que les mêmes griefs reviennent très souvent.

  • Le client reproche généralement au prestataire :
  • Une démarche méthodologique peu satisfaisante.
  • Une mauvaise compréhension de ses besoins.
  • Une équipe insuffisante en quantité et en expertise.
  • Des retards sur le planning prévu.
  • Des prestations de mauvaise qualité : bogues, performances insuffisantes des systèmes, etc.
  • Un défaut d’alerte et de mise en garde.
  • Des dossiers de formation et des dossiers techniques trop minces et non maintenus à jour.
  • Etc.

De son côté, le prestataire reproche souvent au client :

  • Une définition imprécise de ses besoins, surtout lorsque le client se contente de demander au prestataire les mêmes fonctionnalités que son ancien système, sans les formaliser.
  • Des besoins fluctuants et souvent remis en cause, d’où une facturation en régie.
  • Une implication insuffisante des utilisateurs, qui ont trop peu de temps à consacrer au projet, alors que l’assistance à maîtrise d’ouvrage avait été demandée.
  • Une incapacité à valider dans les délais requis les documents ou les systèmes.
  • Une incompréhension de la démarche progiciel : le client ayant acheté un progiciel et souhaitant un développement spécifique.
  • Un refus de commander et de payer les prestations complémentaires non comprises dans le forfait.

Lorsque les difficultés persistent et que le projet dérape dans le temps, après quelques échanges de courriers recommandés, le client finit souvent par rompre unilatéralement le contrat. Dans ce cas, il estime que le contrat a été rompu pour faute du prestataire et invoque généralement l’exception d’inexécution. Le prestataire, quant à lui, estime qu’il est victime d’une rupture abusive du contrat et considère le projet comme « presque » terminé, que le retard est dû au manque de disponibilité des équipes dédiées du client et à une mauvaise détermination du périmètre des besoins qui ne cesse d’évoluer. Le dialogue entre les parties devient alors très difficile.

Juridiquement, la situation reste très délicate. Alors que le client s’estime dans son bon droit, en invoquant une exception d’inexécution lui permettant de rompre unilatéralement le contrat pour faute du prestataire afin de ne pas payer les factures, les magistrats, quant à eux, peuvent apprécier cette pratique aux risques et périls du client, considérant que ce dernier s’est fait justice lui-même.

Aussi est-il vivement conseillé de se rapprocher d’un avocat spécialisé, qui sera plus à même d’analyser les conséquences d’une telle décision et pourra, dès lors, fournir des conseils avisés. En tout état de cause, une décision de rupture unilatérale ne peut être prise qu’après s’être ménagé les preuves des manquements contractuels au regard des engagements pris par le prestataire. Et à la suite d’une notification de griefs et d’une mise en demeure de remédier à la situation, qui n’aurait pas été suivie d’effet par le prestataire dans délai raisonnable ou dans le délai contractuellement prévu par les parties.

Le contrat reste l’élément clé

Un contrat précis et équilibré, incluant l’ensemble des annexes, y compris techniques, dans lequel toutes les clauses sont réciproques comme étant le résultat des négociations entre les parties, constitue une première garantie de bonne fin du projet.

Le contrat doit notamment détailler le périmètre précis des prestations, le prix des prestations additionnelles qui seront demandées par la suite, la volumétrie et le référentiel des performances qui servira de base à l’évaluation de la qualité des livrables, les procédures de réversibilité à la fin du contrat, la propriété des livrables, etc.

Il convient de prendre en considération la portée de la force obligatoire du contrat (1). La vigilance est de mise à l’égard de toutes ses clauses. Chaque élément doit être vérifié : notamment, chaque prestation doit être clairement définie et lorsque plusieurs sociétés, filiales ou groupes, sont concernés, ils doivent tous être clairement identifiés comme parties engagées par la signature du contrat.

Par ailleurs, les clauses limitatives de responsabilité doivent particulièrement attirer l’attention du client. En effet, ces clauses, dans lesquelles les éditeurs et prestataires prévoient un plafond maximum pour tout dommage auquel ils pourraient être condamnés, toutes causes confondues, sont généralement validées par les magistrats estimant que le contrat a été librement négocié.

Le contrat librement négocié par les parties n’a, en principe, pas à être modifié par un tiers, selon le célèbre adage du droit civil français issu du philosophe français Alfred Fouillée (1838-1912) « qui dit contractuel dit juste », même si, désormais, des mécanismes existent pour, le cas échéant, compenser le déséquilibre entre les parties (Cf. les contrats d’adhésion).

Un contrat complet comprend différentes annexes, dont les documents de référence les plus importants sont :

  • Le PAQ, Plan d’Assurance Qualité, dans lequel sont précisées les responsabilités sous forme d’une matrice (RACI) et toutes les procédures de gouvernance du projet.
  • Le SOW, Statement Of Work, décrivant avec précision les livrables et les prestations attendues.
  • Le Référentiel de Performances, qui servira de base à l’évaluation de la qualité des livrables (contraintes d’ergonomie, délais de réponse attendus…).

Enfin, si le contrat doit être négocié par un juriste expérimenté, il est recommandé de faire préalablement une analyse des risques du projet et d’inclure dans le contrat les clauses permettant de maîtriser les risques mis en évidence en amont.

Respecter les bonnes pratiques

A l’évidence, si le client et le prestataire respectent les bonnes pratiques usuelles, le risque de difficultés et de conflits est minimisé. Néanmoins, on ne peut que recommander notamment de :

  • Rédiger un contrat précis et complet.
  • Ne pas sous-estimer les charges de travail, en particulier dans les équipes du client, pour évaluer le nombre adéquat de personnes dédiées au projet.
  • Formaliser des plannings réalistes anticipant les potentielles difficultés.
  • Maîtriser et valider tous les écrits et toute la communication relative au projet (comptes-rendus de comités, mails émis…), car en cas de procès, tous les écrits deviennent critiques.
  • Mettre en place une structure de PMO, Program Manager Officer, assurant la gouvernance et suivant quotidiennement le projet.
  • Prévoir des procédures et des instances de discussion, permettant des échanges honnêtes sans masquer les difficultés et sans laisser une situation délicate se dégrader.

Une conciliation ou une médiation est toujours préférable à un conflit judiciaire

Une assignation suivie d’un procès est chronophage (plusieurs années), coûteuse, et détruit la relation entre le prestataire et son client. La décision de justice peut souvent être décevante, alors qu’un rapprochement amiable permet généralement aux deux parties de se comprendre et de concilier leurs points de vue. A ce propos, Confucius disait que : « Recourir à la justice, c’est perdre la face en admettant qu’on est incapable de s’entendre avec l’autre. »

Afin d’éviter d’être confronté à une opposition au rapprochement amiable formulé par l’une des parties, il est recommandé d’inclure dans les contrats une clause de conciliation ou de médiation, voire les deux successivement, obligeant les parties à rechercher un accord amiable, préalablement à toute action judiciaire, tout en préservant les cas d’urgence. Depuis le 1er avril 2015, toute assignation doit être précédée « des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige, sauf justification d’un motif légitime tenant à l’urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’ordre public. »

La phase de conciliation peut être menée par les parties elles-mêmes, assistées ou non de leurs avocats, ou d’un conciliateur alors que la médiation est une procédure dirigée par un médiateur expérimenté. Ces deux procédures sont moins onéreuses qu’un procès et nettement plus rapides. Si les parties ne connaissent pas de médiateur, elles peuvent s’adresser au principal centre de médiation français, le CMAP, Centre de Médiation et d’Arbitrage de Paris.

Un suivi juridique reste indispensable

Si un juriste ou la direction juridique de l’entreprise est pratiquement toujours consulté(e) lors de la négociation contractuelle, il est rare que celui-çi suive les projets tout le long de leur réalisation. On ne peut que recommander aux clients, comme aux prestataires, d’assurer un suivi juridique des projets et contrats.

Il appartiendra au juriste en charge du suivi du projet, ou à un avocat spécialisé, de participer aux comités de pilotage, de conserver et de sécuriser tous les écrits et éléments de preuve (versions logicielles, etc.), de notifier, par courrier recommandé avec accusé de réception à l’autre partie, tous les manquements contractuels graves, et de veiller aux bonnes pratiques juridiques de base (diffusion de documents en format PDF non modifiable, maîtrise de la communication du projet vis-à-vis de l’extérieur…).

Enfin, au-delà du couple formé par le client et le prestataire informatique, il convient également de prendre en considération les potentielles prétentions des tiers au contrat (par exemple les consommateurs, les clients professionnels…). En effet, il arrive fréquemment qu’ils se plaignent d’une mauvaise exécution du contrat engendrant un préjudice pour eux.

Dans la mesure où ce sont des tiers au contrat, ils ne peuvent pas, en principe, se prévaloir des dispositions contractuelles qui lient le prestataire et son client. Le projet de réforme de la responsabilité civile du 13 mars 2017, actuellement en discussion, revient d’ailleurs sur le principe de l’assimilation des fautes contractuelle et délictuelle, et réaffirme la règle de la relativité de la faute contractuelle.


Les huit points clés de la prévention des contentieux judiciaires IT

  1. Établir un planning prévisionnel réaliste suivi par un PMO : il faut savoir que 41 % des PMO soulignent un manque de maturité de leur organisation au niveau de la gestion de projets/programmes et un manque de soutien de la part de l’exécutif (The global State of the PMO an analysis for 2015, ESI international study with the support of PMO conference London 2015).
  2. Identifier et prévenir les potentielles sources de conflits, tant du côté client que du côté prestataire : il conviendra d’être particulièrement vigilant sur ces points et de mettre en place, en amont, des processus pour les identifier.
  3. Se préconstituer la charge de la preuve : il est nécessaire de formaliser tous les écrits et besoins des parties et d’accorder une attention toute particulière à leur rédaction, afin d’éviter qu’ils ne deviennent préjudiciables en cas de communication lors d’un procès, du fait notamment de leur caractère ambigu ou lacunaire, voire inexact au regard des faits.
  4. Définir une base contractuelle solide : le contrat, accompagné de l’ensemble de ses annexes, doit être précis et revu par un spécialiste ou, à tout le moins, par le département juridique.
  5. Effectuer un suivi juridique régulier par le service juridique de l’entreprise ou par un avocat spécialisé : le succès du développement des méthodes agiles s’explique par l’impression de gain de temps qu’elles génèrent. Les parties sont animées par ce sentiment de progrès, d’avancement rapide sur la réalisation du projet. Le service juridique, souvent associé à la lenteur, n’est alors pas consulté. C’est un leurre. Le temps que les parties estiment avoir gagné en faisant fi de la consultation d’un juriste, est largement perdu quand les difficultés surviennent.
  6. Communiquer dès la naissance d’un conflit : il est important pour les parties d’établir un mode de communication régulier (conférence téléphonique, e-mail, courrier, réunion) afin de résoudre le conflit dès qu’il se présente et avant que la situation ne se dégrade de manière fâcheuse, voire irréversible.
  7. Envoyer une lettre de notification de griefs et de mise en demeure si la situation se dégrade : elle a pour objet la constatation formelle de la mauvaise exécution des obligations du contractant. En pratique, une lettre de mise en demeure très ferme permet souvent de faire avancer les choses en fixant un délai pour remédier à la situation.
  8. Privilégier la conciliation et la médiation : le taux de réussite de la médiation dans les conflits est de 71 %, seulement 9 % des dossiers qui partent en médiation traitent des litiges IT (Etude statistique du centre de Médiation et d’Arbitrage de Paris 2017).

 

Cet article a été écrit par Corinne Thiérache, avocate spécialisée dans le droit des TIC (ctierache@alerionavocats.com), et Pascal de la Faye est consultant en gouvernance des SI et médiateur (pascal@delafaye.eu).