Oracle au désespoir

On nous aurait menti ? Un cabinet d’avocats américains, RM Law, représentant des actionnaires d’Oracle, a engagé des poursuites, dans le cadre des dispositions de Class Action (action de groupe) aux Etats-Unis, contre l’éditeur.

Motif : Oracle aurait volontairement publié de fausses informations concernant l’évolution de ses revenus tirés du cloud. Historiquement, rappellent les avocats, « le chiffre d’affaires d’Oracle était généré par les ventes de licences On Premise et les services associés, mais ces revenus ont stagné au cours des dernières années, à mesure que les clients se sont de plus en plus tournés vers des solutions cloud. »

Jusque-là, rien d’extraordinaire, c’est le lot de tous les éditeurs, qui ont bien compris que leur business modèle évolue et se sont adaptés en conséquence. Certains actionnaires reprochent à Oracle d’avoir dissimulé la réalité de l’évolution des revenus tirés du cloud. En particulier en gonflant artificiellement ces revenus par des pratiques d’audits incitant les clients concernés à passer dans le cloud. Selon le cabinet d’avocats, « Oracle a finalement annoncé une stagnation de ses revenus issus du cloud et prévu une croissance nettement plus faible que celle de ses concurrents sur ce segment. »

D’où l’ire de certains actionnaires, qui ont subi une baisse du cours de bourse en mars 2018. En juin 2018, pour son année fiscale, Oracle a enregistré une hausse de seulement 8 % de ses revenus cloud et de 3 % au niveau global. Un grand éditeur accusé de dissimuler la réalité ? Les actionnaires, remontés contre Oracle, ont l’air de découvrir ce qui existe depuis longtemps en matière de règles fantaisistes de reconnaissance de revenus, d’enjolivage de perspectives, de promesses qui n’engagent personne ou de périmètres peu comparables. Ce n’est pas pour rien que les grands éditeurs emploient des armées de salariés dans leurs directions marketing et financière…

En juillet 2017, le Cigref et l’association de DSI européens EuroCIO ont communiqué sur « la dégradation de la qualité des échanges et des services d’Oracle vis-à-vis de ses entreprises clientes, en France et en Europe. »

Ainsi, sur 100 DSI de grandes entreprises européennes, ayant répondu à une enquête menée par EuroCIO, 80 % considèrent que les contrats Oracle ne présentent pas suffisamment de souplesse, 75 % que le modèle de licence n’est pas assez flexible et 60 % préfèreraient disposer d’un autre fournisseur pour leurs actuels produits et services. Pire : une entreprise sur deux assure travailler actuellement sur une stratégie de sortie. Une telle situation n’est pas spécifique à Oracle. On retrouve les mêmes difficultés relationnelles entre SAP et ses clients. Dans l’éditorial du dernier numéro du magazine de l’USF (association des utilisateurs francophones de solutions SAP), son président, Claude Molly-Mitton, déplore que « si la stratégie technologique (de SAP) semble claire, l’approche licensing reste floue… »

Les difficultés relationnelles entre les grands éditeurs et leurs clients ont généralement quatre caractéristiques. La première est que l’élément déclencheur résulte d’éléments à priori secondaires : dans le cas d’Oracle, une absence de réponse à un courrier concernant un accord entre Oracle et WMware sur le sujet de la virtualisation. Dans le cas de SAP, une absence de clarification de la tarification des accès indirects, qui laisse planer un doute quant à son bien-fondé. Deuxième caractéristique : un retard ou une absence de dialogue entre les clients et les éditeurs, à qui il faut souvent forcer la main pour les faire réagir… Troisième caractéristique, une sous-estimation, de la part des éditeurs, de l’influence des clients, les uns par rapport aux autres et sur l’écosystème. On ne saurait trop conseiller aux grands éditeurs et constructeurs d’anticiper les conséquences de leurs actions, surtout s’ils pensent qu’elles sont mineures, et de ne pas s’enfermer dans une posture de « leader sur son marché », en pensant que les clients finiront toujours par payer. Et, surtout, à leur place, on prendrait très au sérieux la légitimité et le pouvoir d’influence des associations qui fédèrent leurs plus grands clients.