Les start-up qui ont réussi à déstabiliser un secteur économique ancré depuis longtemps dans la vie quotidienne ne sont pas légion. On pourrait citer Uber, Netflix ou Tesla. Et, bien sûr, Airbnb, qui a bousculé le secteur de l’hôtellerie. Leigh Gallagher, directrice adjointe de la rédaction du magazine américain Fortune, s’est attachée à retracer les multiples péripéties qui ont conduit à faire de Airbnb un acteur incontournable en moins de dix ans.
Airbnb est créée par deux colocataires diplômés d’une école d’art au chômage, qui avaient besoin d’argent, à un moment où existaient déjà plusieurs services qui proposaient la possibilité de louer son logement, selon un mode collaboratif. Dès le départ, souligne l’auteur, « le modèle Airbnb n’offrait pas seulement des prix compétitifs et un vaste choix de locations, mais aussi une expérience particulière et différente », rappelle Leigh Gallagher.
Une expérience qualifiée de « transformative », résumée par la devise « Chez soi dans le monde entier ». Avec, toutefois, des débuts difficiles, car peu croyaient au projet. Brian Chesky, le PDG, aime à raconter que la seule personne qui ne se soit pas moquée de son projet était son grand-père, parce qu’il se souvenait que demander l’hospitalité chez des inconnus était une manière courante de voyager… Et le fondateur d’Airbnb « ignorait le monde de l’entreprise et son savoir-faire technique se limitait à la construction d’un site Web classique, ne sachant pas au début ce qu’était un business angel ou une présentation Powerpoint », rappelle l’auteur. Mais il a vite appris à diriger une entreprise.
La galère de la recherche de financement
De même, du côté des sociétés de capital-risque, l’accueil a été plutôt frais. « La recherche d’investisseurs allait leur apprendre à affronter l’échec. La plupart des sept investisseurs avec qui ils avaient été mis en relation ne prirent pas la peine de les recontacter. Les autres trouvèrent une raison pour motiver leur refus », raconte l’auteur. Et estimèrent que l’idée était « bizarre et hautement risquée. »
En outre, le profil artistique des co-fondateurs était en décalage avec le « gène de la technologie » qu’aiment les investisseurs : « Ces derniers étaient encore en quête d’un nouveau Google, autrement dit de deux diplômés en sciences de Stanford. » Un manque de clairvoyance des investisseurs : les co-fondateurs de Airbnb cherchaient un partenaire pour acquérir seulement 10 % du capital, soit 1,5 million… qui se serait transformé en milliards aujourd’hui ! « Leur idée était considérée comme radioactive, personne ne voulait y toucher. » Ils réussirent tout de même à convaincre un investisseur, grâce à une boîte de céréales ! Brian Chesky et Joe Gebbia, fauchés, se nourrissaient de céréales et ils eurent l’idée de les personnaliser et de les revendre dix fois leur prix, avec des éditions limitées.
Le buzz dans les médias a fait le reste et le premier investisseur estima que, si les fondateurs d’Airbnb avaient été capables de « convaincre les consommateurs de débourser 40 dollars pour une boîte de céréales qui en vaut quatre, cela veut dire que vous pouvez persuader quelqu’un de dormir sur un matelas pneumatique chez une autre personne. » Et proposa 20 000 dollars pour 6 % du capital. « Vous réussirez peut-être », leur dit-il.
C’est effectivement ce que les deux fondateurs d’Airbnb, qui ont embarqué très vite dans l’aventure un troisième, Nathan Blecharczyk, ont fait. Et procédé à de nouvelles levées de fonds, en prenant soin de conserver, dans une de leurs salles de réunion, l’une des boîtes de céréales qui leur avaient porté chance. Brian Chesky en tire un principe : « Le pire ennemi d’une start-up est le manque de confiance et de détermination de son créateur. Notre projet a longtemps été dénigré et, un jour, on nous a dit qu’il était formidable. »
Trouver l’adéquation d’un produit et de son marché
Quant aux investisseurs, ils ont par la suite reconnu leur manque de clairvoyance et se sont avoués coupables d’avoir commis une erreur commune à beaucoup d’investisseurs : se focaliser sur les activités existantes et pas sur ce qu’il serait possible de réaliser. Les fondateurs d’Airbnb ont en fait trouvé « l’adéquation produit/marché, graal de toute start-up, sans quoi l’entreprise n’existe pas. »
Ils avaient également appliqué la règle des trois clics de Steve Jobs et su « exploiter l’insatisfaction provoquée par la standardisation extrême des chambres dans les grandes chaînes hôtelières, les professionnels eux-mêmes le reconnaissent », explique l’auteur.
Mais la montée en puissance d’Airbnb a mis en action de nombreux opposants, qui voyaient la remise en cause de leur situation bien établie. « La guerre contre Airbnb a mobilisé une étrange coalition de politiciens libéraux, de représentants du lobby de l’immobilier, de syndicats et de professionnels de l’hôtellerie, où toute allusion relève désormais du tabou. » Sans grand succès puisque la valorisation d’Airbnb dépasse les trente milliards de dollars, malgré de multiples démêlés juridiques et commerciaux, notamment lorsque les services d’Airbnb étaient assimilés à des offres d’hôtels illégaux. « Notre produit, c’est la vie réelle », aime répéter Brian Chesky.
Et lorsqu’on lui demande le secret de sa réussite, Brian Chesky assure qu’elle ne tient pas à « une potion magique ou à une poudre de perlimpinpin dont on aurait saupoudré quelque algorithme, mais parce que nous avons bâti une plateforme qui permet aux personnes d’interagir avec d’autres personnes et de vivre une expérience qui les transforme. »
Airbnb story, par Leigh Gallagher, Editions Dunod, 270 pages, 2018.