Les DSI et les contenus des fournisseurs : une affaire de confiance

Les fournisseurs multiplient les contenus, les formats de distribution et le rythme de sollicitation des DSI. Face à cette surproduction de contenus, comment les DSI considèrent-ils la qualité et les approches des fournisseurs ? Une table ronde, organisée par le CMIT (club des directeurs marketing et communication de l’IT) a réuni plusieurs DSI.

La plupart des fournisseurs semblent avoir compris que le contenu associé à leurs solutions est plus utile pour vendre qu’une plaquette commerciale. Ainsi, la plupart proposent des livres blancs, des newsletters, des blogs, des événements, des infographies, des webinars, sans parler de la diffusion sur les réseaux sociaux. En moyenne, selon une étude d’IDG, un fournisseur IT produit une dizaine de formats différents.

Globalement, 95 % des fournisseurs IT ont recours au marketing de contenu pour vendre plus, les trois-quarts d’entre eux admettent que les effets sont mitigés ou très faibles, et quatre sur dix vont augmenter leurs investissements dans ce domaine. « Identifiés comme des cibles à fort pouvoir de décision, toutes les méthodes sont bonnes pour nous atteindre. Au fil des années, elles sont devenues de plus en plus intrusives pour, au final, instaurer une sorte de méfiance. C’est presque devenu du « marketing nocif » ! », déplore Thomas Chejfec, DSI de Gerflor

Cela dit, il faut quand même interagir avec les fournisseurs : « Prendre le temps de s’informer est essentiel, on ne peut en effet pas piloter une DSI sans informations internes et externes », assure Anthony Hié, directeur des systèmes d’information et du numérique de l’Institut Catholique de Paris.

De fait, les DSI ont intégré les contenus produits directement ou indirectement par les fournisseurs dans leurs critères d’achat et de sélection des fournisseurs. Mais que pensent les DSI des contenus réalisés par les fournisseurs et comment les consomment-ils ? Le CMIT a conduit une étude, auprès d’une centaine de DSI, RSSI et responsables projets, pour mesurer leur degré de confiance vis-à-vis des sources d’information proposées par les fournisseurs.

Globalement, on observe que plus le contenu est, directement ou indirectement, indépendant des fournisseurs, plus il est considéré comme crédible. Ainsi, les DSI accordent une confiance très élevée dans les échanges avec leurs pairs et les clubs métiers : sur une échelle de confiance de 1 à 10, respectivement 95 % et 80 % des DSI notent 7 et plus. A l’autre bout de l’échelle, les contenus produits exclusivement par les fournisseurs recueillent des sentiments plus mitigés quant à leur crédibilité : c’est le cas, par exemple, des webinars, des infographies ou des avis d’experts. Les opinions sont plus partagées pour ce qui concerne les points de vue d’analystes, les études de marché et les événements.

Evidemment, cette confiance dans les fournisseurs dépend de facteurs subjectifs. « J’arrive à avoir confiance car nous sommes, nous aussi, des experts et nous parvenons à décrypter le discours des fournisseurs et à identifier ce qui relève du « pipeau marketing » », estime Helder Matias, DSI de HEC Paris. Pour sa part, Sébastien Drouin, DSI de l’Imprimerie nationale, estime que, « trop souvent, il subsiste un décalage entre le discours commercial et la réalité, par exemple pour les engagements de services ou des fonctionnalités manquantes, et l’on rame pour intégrer, donc les projets dérapent…

Les intégrateurs, qui doivent être agnostiques par rapport aux technologies, ont un rôle à jouer. » Bertrand Lochet, directeur des services technologiques du groupe Arcade, attend de ses fournisseurs « la transparence la plus totale sur les capacités de leurs produits, car de toute façon, cela se sait rapidement. »

La valeur du pair à pair

Le fait que les autres DSI apparaissent comme les plus crédibles est logique. « On sait ce que nos collègues DSI vivent au quotidien, on leur fait donc confiance pour nous dire la vérité, surtout lorsqu’il y a des problèmes, car ce n’est pas le fournisseur qui va nous informer », souligne Helder Matias, pour qui « les clubs utilisateurs offrent de formidables occasions d’échanger. » Pour Anthony Hié, « tous les retours d’expérience sont intéressants. »

Des retours d’expérience que l’on trouve également dans les clubs d’utilisateurs (clubs de DSI, clubs orientés métiers ou orientés solutions). « Quant aux évènements fournisseurs, au vu de leur nombre, je ne participe qu’à ceux dont le programme me laisse penser qu’ils m’apprendront quelque chose sur le fond, et qu’ils ne seront pas seulement une tribune de placement produit », témoigne Axel Jacquet, DSI des Apprentis d’Auteuil. Pour sa part, Yohann Garcia, ERP Core Model Manager chez Ivy Group et vice-président du club utilisateurs Oracle JD Edwards, constate que « les échanges entre pairs et les retours d’expérience comptent au moins autant dans le processus de décision que les travaux d’analystes. »

Au-delà de la confiance globale qu’un DSI peut accorder à tel ou tel moyen de communication, qu’est-ce qui fait qu’une information attire l’attention ? « L’information doit être ciblée, mais pas dans une logique de buzz, les fournisseurs doivent donc travailler sur des contenus utiles, si le contenu cadre avec mes préoccupations du moment, je clique », suggère Anthony Hié.

« C’est le sujet traité qui prime pour s’y intéresser », ajoute Sébastien Drouin. Cela s’inscrit dans une logique de veille, avec un focus sur les problématiques métiers. Les livres blancs constituent, selon Anthony Hié, « un éclairage supplémentaire, sachant que, face à ces types de contenus, nous sommes toujours capables de discernement. » La plupart sont « plutôt bien faits, mais on les lit en diagonale », assure Helder Matias.

Quels que soient les types d’informations proposées par les fournisseurs aux DSI clients ou prospects, le problème de fond reste, du côté des fournisseurs, d’attirer l’attention et, du côté des DSI, d’arbitrer le temps pour digérer les contenus. « Notre difficulté, c’est de pouvoir effectuer un tri parmi toutes les informations », avoue Helder Matias.

Mais, du côté des fournisseurs, la tentation est grande d’inonder le marché avec des contenus toujours plus nombreux (donc de qualité moindre…) et plus morcelés. Tandis que, du côté des DSI, censés absorber toute cette surproduction de contenus, le temps est contraint et se réduit même parce que le poids du quotidien est plus élevé. « Je n’ai plus le temps de lire » demeure une opinion qui va s’ancrer de plus en plus dans l’esprit des DSI.

Les principales sources et supports d’information des DSI
Types de contenus Principaux avantages Principaux inconvénients Notre avis
Livres blancs Synthèse d’une problématique  Nécessite de trier les contenus, surtout pour les livres blancs volumineux  La qualité s’est globalement améliorée, surtout pour les fournisseurs français, les anglo-saxons sont encore prisonniers du « commercialement correct »
Points de vue d’expert Apport d’idées  Arguments très sélectifs (on a le pour, rarement le contre…)  Intéressants car ils traduisent la capacité (ou non) d’un fournisseur à synthétiser les bons arguments pour mieux vendre ses solutions
Retours d’expériences de DSI, réalisés par des fournisseurs Permet d’identifier « qui achète quoi à qui et pour quoi faire »  Contenu très orienté par le fournisseur, donc très positif, nécessite de prendre du recul  Ils sont systématiquement orientés, c’est logique, mais fournissent les informations de base sur les critères de choix des solutions par rapport aux besoins couverts
Retours d’expériences des pairs Neutralité à l’égard des fournisseurs  Nécessité de trouver le bon interlocuteur C’est le meilleur moyen pour identifier les points forts et les points faibles des fournisseurs
Clubs utilisateurs Diversité des expériences et des idées  Souvent contrôlés directement ou indirectement par les fournisseurs  On ne peut que conseiller d’y adhérer pour accéder facilement à des contenus et des contacts
Réseaux sociaux Identifier les tendances  Informations très succinctes, superficielles et souvent sans intérêt  On peut s’en passer, l’information n’y a guère de valeur, celle qui en a est très difficile à trouver et c’est très chronophage
Newsletters des fournisseurs Favorise la veille technologique Contenu très orienté  C’est pertinent de s’y abonner pour les fournisseurs avec qui on travaille
Webinaires Évite de se déplacer, possibilité de consommer à la demande  Manque d’interactivité avec les intervenants et les participants  La possibilité de récupérer le contenu de façon décalée est très appréciable, notamment pour ceux organisés par les analystes
Sites Web des fournisseurs Source utile sur les produits, les clients et la stratégie  Mise à jour souvent aléatoire, difficultés à trouver la bonne information et les bons contacts  Les contenus et la structure des sites Web donne une idée assez précise du degré de proximité d’un fournisseur avec ses clients
Consultants Expertise technologique, méthodologique et métier Coût élevé C’est une source d’information en principe indépendante, en particulier pour de l’expertise métier ou technologique. Mais tous les consultants ne se valent pas…
Contacts commerciaux directs Alignement par rapport aux besoins  Impose de décrypter le langage commercial  Les rendez-vous en face à face sont indispensables, mais à considérer pour ce qu’ils sont : une présentation d’argumentaires commerciaux
Analystes  Vision du marché et des stratégies des fournisseurs  Coûts très élevés par rapport aux prestations, compétences quelquefois trop superficielles, contenus orientés par les fournisseurs  Beaucoup d’informations d’analystes sont accessibles gratuitement ou à faible coût. A réserver à des projets spécifiques ou à forts enjeux
 Presse spécialisée IT  Gratuité  Pas d’indépendance à l’égard des fournisseurs qui financent les médias  Toujours utile pour la veille, on n’est pas à l’abri de tomber sur un sujet intéressant et bien traité
 Presse économique  Détection des tendances, apport d’idées  Sujets souvent trop généralistes  Utile pour suivre les tendances techno-sociétales ou l’actualité des grands groupes
 Événements  Utiles pour la veille et le réseau  Nécessite beaucoup de temps face à une offre pléthorique, contenus orientés par les fournisseurs sponsors  De plus en plus d’acteurs se positionnent sur ce créneau et les intervenants sont souvent les mêmes…
 E-mailings spécifiques non sollicités  Utile pour la veille  Contenu commercial, beaucoup de spams  Utiliser la fonction (obligatoire) de désabonnement si le contenu n’a aucun intérêt
 Études de marché  Identifier les tendances  Contenus orientés par les fournisseurs  Très utiles pour confirmer/infirmer des décisions d’investissements
 Infographies Lecture rapide Sources souvent anciennes  Beaucoup de chiffres repris dans les infographies sont trop anciens
 Blogs  Apport d’expertise technologique ou métier  Qualité souvent inégale, sauf pour les experts reconnus  Beaucoup de chiffres repris dans les infographies sont trop anciens
 Vidéos  Formats courts  Difficulté d’identifier l’information intéressante en amont  Un format très à la mode, mais les vidéos produites par les fournisseurs sont très peu regardées et restent très pauvres en informations utiles. Leur consultation est très chronophage
 Salons professionnels  Accès à une multitude de fournisseurs et de conférences thématiques  Nécessite de la préparation et de la sélectivité  Les conférences associées aux salons sont souvent de bonne qualité
 Tiers de confiance (par exemple Best Practices)  Sélectivité des contenus, indépendance à l’égard des fournisseurs  Nécessite du temps pour assimiler les contenus  Notre avis est forcément positif ( !)
Source : Digitalonomics.

 

Quel degré de confiance accordent les DSI aux différentes sources d’informations ?
% de notes égales ou supérieures à 7 (sur une échelle de 1 à 10)
 Les pairs  95 %
 Les clubs métiers  80 %
 Les salons professionnels  61 %
Les analystes  58 %
 Les rendez-vous face à face  57 %
 Les livres blancs  56 %
Les événements fournisseurs  51 %
 Les e-mailings  50 %
 Les études de marché  47 %
 Les réseaux sociaux  47 %
 Les avis d’experts  42 %
 Les vidéos  42 %
 Les webinars  33 %
 Les infographies  31 %
 Les médias  21 %
 Les sollicitations téléphoniques  1 %
  Source : CMIT, enquête auprès de 100 DSI, RSSI et managers de projets.

Comment les DSI jugent les contenus des fournisseurs

D’après une analyse d’IDG, les managers IT sont relativement critiques à l’égard des contenus proposés par leurs fournisseurs. Les principales critiques sont les suivantes :
• Les contenus sont trop orientés marketing (49 % des managers IT).
• Un manque d’indépendance dans les contenus (48 %).
• Les contenus sont trop centrés sur les solutions (38 %).
• Les contenus sont trop généralistes (33 %).
• Les informations techniques sont incomplètes ou inconsistantes (29 %).
• La validation de la crédibilité des sources demande trop de temps (28 %).
• Un manque de contenus pertinents (25 %).
• Une réticence à télécharger des contenus pour ne pas subir des appels des commerciaux (18 %).

Source : The customer-centric content marketing study, IDG, 2016.


Entre le discours et les actes

Lorsqu’un DSI affirme « je ne lis presque rien, je n’ai aucun abonnement et je m’informe essentiellement par les réseaux sociaux », on peut douter qu’il confortera son leadership au sein de son organisation. Au-delà de cette approche excessive, dans le mauvais sens, les relations entre les fournisseurs et les DSI, via les contenus, souffrent d’un paradoxe : le discours et les actes ne sont pas alignés. Les fournisseurs ne cessent d’affirmer qu’ils veulent privilégier la qualité des contenus, les DSI sont incités à conforter leur leadership et leur pouvoir dans leur organisation, ce qui passe, au-delà de connaissances techniques, par une culture plus générale, plus économique, plus sociétale (sur les usages). Or, dans la réalité, on a l’impression que l’on est bien loin de cette ambition. Il est toujours étonnant d’observer comment beaucoup de contenus produits par les fournisseurs sont pauvres en valeur, nombre d’événements, toujours plus nombreux et de moins en moins fréquentés, sombrent dans la propagande commerciale, et comment des investissements significatifs s’orientent vers des contenus qui ne sont pas ou peu regardés (les réseaux sociaux, les vidéos…) ou par des audiences non qualifiées. De même, du côté des entreprises, les managers IT semblent privilégier les contenus gratuits les plus courts et les plus accessibles, fût-ce au prix d’une pollution de la partialité et de l’analyse par les fournisseurs. Certes, ce n’est pas facile de s’y retrouver. Globalement, l’information a quatre caractéristiques :

  • Elle génère beaucoup de bruit, les événements importants et les informations les plus pertinentes cohabitent avec le superficiel.
  • Elle est éphémère, une information chasse l’autre, comme on le voit avec Twitter.
  • Elle est peu engageante, car gratuite. Or on ne consomme pas de la même manière un contenu gratuit et un contenu payant.
  • Elle est complexe à trouver, avec trop d’offres de qualité inégale.

Les fournisseurs auraient intérêt à étudier de plus près les mécanismes qui conduisent à renforcer l’attention. Cette « économie de l’attention » a été étudiée de façon scientifique, à partir des années 1970 aux Etats-Unis et en France par Yves Citton (Cf. encadré « Pour en savoir plus »). L’attention s’exerce à plusieurs niveaux et, pour être totale, doit intégrer trois facettes :

  • L’attention pour « écouter » un fournisseur.
  • L’attention pour comprendre ce qu’il propose.
  • L’attention pour aimer le fournisseur.

A chaque niveau correspondent des approches spécifiques. Ainsi, par exemple, on ne fera pas « aimer » un fournisseur avec un bombardement non sollicité de contenus commerciaux, même si certains en sont persuadés. De même, un fournisseur ne sera pas « écouté » s’il ne sait pas surprendre (au lieu de multidiffuser le même livre blanc obsolète) ou s’il ne comprend pas ce qu’attendent ses clients potentiels (au lieu de se contenter de proclamer qu’il est leader parce qu’un cabinet d’analystes l’affirme). Et on ne comprendra pas ce qu’il fait s’il se cantonne à une communication excessivement technique, sans être capable de vulgariser et de faire œuvre de pédagogie.