L’expression des besoins se situe très en amont des développements : on s’en doute, si celle-ci souffre de dysfonctionnements, d’imprécision, d’erreurs, ou manque pertinence ou d’alignement avec ce que souhaitent les utilisateurs, le projet est mal parti.
D’où l’importance de cette phase au cours de laquelle l’improvisation n’est guère de mise. « Une mauvaise détermination des besoins est une cause majeure d’insuccès des projets systèmes d’information : on lui attribue la moitié des échecs », assurent les auteurs, Chantal Morley (professeure à l’Institut Telecom), Jean Hughes et Bernard Leblanc (consultants chez DELF), qui abordent aussi bien la prise en compte des contextes classiques, avec leurs habituels cahiers des charges, que celle des méthodes agiles, qui reposent sur un backlog initial. Les auteurs proposent, pour chaque approche, une étude de cas.
Expression des besoins dans un projet SI : démarche classique et approche agile, par Chantal Morley, Jean Hughes et Bernard Leblanc, Dunod, 2017, 204 pages.
Dans un contexte de transformation numérique, il convient, suggèrent les auteurs, de « revisiter la notion d’alignement stratégique », élaboré au MIT dans les années 1990, époque où systèmes d’information et compétitivité étaient encore deux univers relativement disjoints. « La référence à un objectif d’alignement stratégique a permis de s’interroger sur la cohérence entre stratégie, organisation et système d’information, et de diriger l’attention vers une amélioration des pratiques », expliquent les auteurs. Le point clé de cette évolution de la notion d’alignement concerne la manière dont s’élaborent les stratégies : « Il s’agit de choisir des orientations en intégrant les possibilités et les évolutions technologiques », résument les auteurs.
Cela modifie évidemment le positionnement des DSI face aux directions générales. « Cette relation a parfois été conflictuelle, la DG reprochant à la DSI le faible apport stratégique du système d’information, alors que la DSI déplorait le manque de culture informatique des dirigeants. » Désormais, les relations doivent être davantage basées sur « une réflexion collaborative entre dirigeants et DSI », assurent les auteurs.
Construire une vue partagée entre les DSI et les métiers suppose de considérer trois points : la valeur des technologies pour l’entreprise (considérées comme un coût ou comme un atout), le rôle des technologies dans les orientations stratégiques (soutien aux activités de l’entreprise, moyen de production, porteuses de valeur, innovation) et le rôle d’un DSI, qui varie selon sa capacité personnelle en matière de leadership.
Les auteurs rappellent que, sur ce dernier point, les DSI se regroupent en quatre catégories : les DSI « mécaniciens », peu associés aux prises de décisions, les DSI « suiveurs », peu impliqués dans la stratégie, les DSI « conseillers » sur les points technologiques clés et les DSI « orchestratreurs », dotés d’une grande latitude dans la prise de décision stratégique.
La difficulté de l’expression des besoins réside dans la diversité des parties prenantes, « avec des compétences et des objectifs différents. Souvent, les commanditaires et clients expriment mal leurs besoins parce qu’ils n’ont pas une idée claire de ce qui serait utile », rappellent les auteurs. Plusieurs techniques sont pertinentes pour l’expression des besoins : les interviews, les sessions collaboratives, les questionnaires, l’examen des systèmes existants, la modélisation, le prototypage, l’observation… Les auteurs mettent en exergue deux autres approches, plus récentes.
D’une part, l’approche par expérimentation continue. « Pour éviter le développement inutile et souvent coûteux de fonctionnalités qui ne sont pas porteuses de valeur, l’approche consiste à imaginer de nouvelles fonctionnalités qui sont immédiatement développées et implémentées : elles sont alors testées par les utilisateurs/clients, les retours sont ensuite analysés et conduisent ainsi à définir les modifications à apporter ou les fonctionnalités à ajouter », expliquent les auteurs.
D’autre part, l’approche par les cas de tests. En général, les tests sont utilisés pour valider la conformité d’un logiciel. Une approche récente propose aux métiers d’exprimer leurs besoins, avec les entrées possibles et les sorties attendues. « Les besoins sont validés par les acteurs métiers, d’une part parce qu’ils visualisent les interfaces utilisateurs et d’autre part lorsque le logiciel a été développé et que les cas sont testés », détaillent les auteurs.
Ces deux approches sont révélatrices d’un engouement pour les approches agiles d’analyse des besoins, qui présentent l’avantage de résoudre les difficultés récurrentes que l’on rencontre avec les approches classiques : mauvaise communication, dépassement du périmètre fonctionnel, lourdeur de la documentation sur les besoins et difficulté de validation de ceux-ci.
« L’approche agile favorise la satisfaction client plutôt que la négociation permanente d’un contrat lors des évolutions. Pour cela, elle propose une moindre formalisation de l’expression des besoins, qui va évoluer jusqu’à la fin du projet. » Attention toutefois, avertissent les auteurs, l’analyse agile des besoins crée d’autres difficultés, par exemple une traçabilité limitée par une documentation plus légère, une indisponibilité des interlocuteurs métiers, des estimations de budgets et de délais plus imprécises, des besoins non-fonctionnels négligés, voire des compétences inadaptées.
Les compétences clés d’un analyste système d’information | |
Compétences clés | Caractéristiques |
Coopération : travailler avec les autres et les consulter | Être capable de dialoguer avec les acteurs métiers et les équipes de la DSI |
Analyse et interprétation : tester des hypothèses et faire des recherches | Être capable de questionner des acteurs métiers, de faire préciser les informations vagues ou incohérentes, identifier et détecter des problèmes, sans se laisser intimider par les limites de sa propre connaissance des métiers |
Interactions et présentation d’informations : expliquer et traduire | Être capable de comprendre et de reformuler les descriptions et demandes des métiers pour les équipes IT, et d’expliquer clairement les points clés d’une solution, de certaines possibilités ou de certaines contraintes |
Organisation : travailler de façon systématique | Adopter une démarche rigoureuse, par exemple dans les réunions de travail ou de validation, et travailler de façon structurée et méthodique |
Ténacité : obtenir un résultat | Travailler en étant toujours orienté vers le but à atteindre : équilibrer créativité et atteinte de résultats concrets |
Source : Information System Journal, Expression des besoins dans un projet SI : démarche classique et approche agile, Dunod, 2017. |
Les caractéristiques et le cycle de vie des User Stories | |
Caractéristiques | Cycle de vie |
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Les cinq phases de la détermination des besoins
- La découverte : il s’agit de comprendre, rechercher, recueillir ou faire émerger les attentes des clients, utilisateurs et/ou autre partie prenante.
- L’analyse : les attentes sont analysées, pour « produire une liste de besoins qui s’inscrivent dans une vision cohérente des fonctions du futur système. »
- Le tri et la sélection : les besoins identifiés font l’objet d’une priorisation, selon leur degré d’urgence, pertinence, coûts, ressources….
- Les spécifications : les besoins sont exprimés sous une forme suffisamment précise pour que les développeurs puissent travailler.
- La vérification : les besoins spécifiés sont vérifiés selon plusieurs critères (pertinence, cohérence, complétude…).
Le rôle de l’analyste système d’information
Du fait de la multiplication des parties prenantes au cours du processus de détermination des besoins des utilisateurs, il importe de privilégier les moments d’échanges. « C’est ce qui est fait dans un projet système d’information sous le terme « analyse » », précisent les auteurs, qui le définissent de la manière suivante : « L’activité d’analyse s’entend comme une compréhension fine de l’objectif visé et s’appuie sur des interactions avec les acteurs métiers concernés. » Les analystes, pour exercer correctement leurs missions, doivent être dotés d’au moins cinq compétences clés (Cf. tableau), qui relèvent à la fois de savoir-faire intellectuels et relationnels.