Dans son dernier ouvrage, Gilles Babinet explique comment les transformations technologiques, sociales, anthropologiques et culturelles conduisent à repositionner les entreprises vers des modèles de plateformes.
Pour la première fois, la quatrième révolution industrielle ne repose pas, ou peu, sur des machines mais sur de l’information. C’est pour cette raison qu’elle peut paraître invisible à beaucoup de dirigeants d’entreprises. « C’est une révolution silencieuse, mais d’une puissance inégalée », résume Gilles Babinet. Avec des règles qui bouleversent en profondeur le positionnement, le fonctionnement et l’avenir des entreprises. Hélas, l’auteur, s’appuyant sur différentes études qui montrent le retard des entreprises en matière de transformation digitale, déplore « l’absence patente de diffusion des techniques et des modèles de management à grande échelle. »
La menace est pourtant réelle, notamment face aux GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple), NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber) et autres BATX chinois (Baudo, Alibaba, Tencent, Xiaomi). Tous ces groupes ont appliqué une règle simple, rappelle l’auteur : « Satisfaire leurs usagers, coûte que coûte, fût-ce au prix d’un bras de fer avec la régulation et les acteurs en place. »
Transformation digitale : l’avènement des plateformes, histoires de licornes, de data et de nouveaux barbares…, par Gilles Babinet, Éditions Le Passeur, 2016, 221 pages.
Cette « évolution irrémédiable de l’acte marchand, marquée par la gratuité et l’économie connectée, crée des gains d’opportunités importants, supprime les stocks et réduit les coûts de transaction », explique Gilles Babinet. La révolution digitale actuelle résulte de la conjonction de trois tendances fortes : d’abord, la multitude, liée au fait que des centaines de millions d’individus utilisent Internet et interagissent. Ensuite, la loi de Moore, selon laquelle la densité de transistors sur une puce doublerait tous les deux ans, a permis de décupler la puissance des terminaux.
Enfin, la production d’informations : « Chaque jour, l’humanité produit plus d’information que toute celle qui a été créée depuis les premières tables cunéiformes sumériennes jusqu’à l’an 2000. Un changement s’est produit au milieu des années 2000, avec l’apparition d’une nouvelle génération d’algorithmes qui a permis de gérer les données incomparablement plus vite qu’auparavant », rappelle Gilles Babinet.
D’abord une affaire de culture
Mais ces trois tendances ne peuvent vraiment porter leurs fruits dans les entreprises que si les aspects culturels sont assimilés et les modes de management adaptés à cette nouvelle donne. « Certaines entreprises prennent un retard préoccupant sur des marchés où les risques de désintermédiation sont importants », affirme Gilles Babinet. Et pour celles qui ne tombent pas dans cette catégorie, « toutes trébuchent à peu près sur le même enjeu : celui qui consiste à infléchir la culture même de l’entreprise, son mode de management et son système hiérarchique, hérité des organisations militaires et tayloristes », ajoute-t-il. Avec le sentiment que l’initiative n’est guère encouragée, surtout dans les grands groupes : « Elle est en permanence corsetée par une forme d’étau invisible, mais bien réel. » L’auteur semble, sur ce terrain, faire preuve de pessimisme : « La culture du silo et de la hiérarchie est terriblement présente et semble bien difficile à remettre en cause », déplore Gilles Babinet, qui plaide pour « casser les silos culturels » et pour un management ambidextre, mélange de management directif et d’autonomie. Résultat : « En France, aucune entreprise « traditionnelle » n’a effectué une transition totale vers le modèle de l’entreprise digitale. »
Lever cette contrainte culturelle est d’autant plus important que les entreprises doivent devenir des plateformes, qui sont « les traits d’union entre les données et la multitude. » Car tout devient service. Et ce n’est pas une question de technologie : « Il est probable que les freins proviennent davantage du conservatisme et de l’absence de compétence que de limitations technologiques », avance l’auteur, pour qui cette « migration des entreprises en plateformes restera, sans doute pour un certain temps, une notion largement incomprise », même s’il est difficile d’imaginer « un autre mode d’évolution du monde productif, car la puissance actuelle, et surtout future, des plateformes est telle qu’elles ne resteront pas longtemps des options », observe Gille Babinet.
L’auteur identifie quatre « facteurs cardinaux » de la transformation digitale, qui sont logiques : le volontarisme des directions générales, la formation des collaborateurs, les touchpoints avec les clients et la gestion du temps. « Un touchpoint élevé sera l’aboutissement d’une stratégie de plateforme, d’interaction avec les multitudes de l’entreprise et de création de valeur avec la donnée », assure Gilles Babinet. La gestion du temps ne doit pas être sous-estimée, car coexistent, dans les entreprises, les temps longs (ceux des projets industriels et des ERP) et les temps courts caractéristiques des petits projets en mode agile.