Banques : une transformation numérique sur plusieurs fronts

Où en sont actuellement les banques dans leur processus de transformation digitale ? David Fayon, consultant en transformation digitale, co-auteur de l’ouvrage « Transformation digitale, cinq leviers pour l’entreprise  » (Ed. Pearson), mène une enquête sur la banque du futur. Il nous révèle les premiers résultats de son analyse.

BPSI Vous menez actuellement une enquête sur la banque du futur. Quels en sont les premiers enseignements ?

David Fayon. Parmi les enseignements principaux, on note une prise de conscience, de la part des banques, des changements induits par la transformation digitale et des risques de disruption, qui peuvent aussi être une opportunité, à condition d’être bien appréhendés, par exemple si les banques et les Fintech collaborent. La mobilité, la coopétition et l’innovation ouverte sont plus que jamais d’actualité mais, dans l’immédiat, c’est le fait d’être omnicanal qui semble être une évidence pour une meilleure appréhension du client. Ensuite, on observe, à travers les résultats de l’enquête, que certains modèles économiques vont radicalement changer, de nouveaux métiers vont apparaître, liés notamment à l’exploitation du Big Data. La conduite du changement et les formations aux nouvelles technologies seront clés. De nouveaux domaines d’activité stratégiques pourraient émerger. Enfin, on anticipe un risque que les GAFA, Alibaba ou autres acteurs, viennent « braconner » sur le terrain des banques et pas seulement les Fintech.

Dans la suite de cet article, David Fayon répond aux questions suivantes :

  • Les grandes banques communiquent de plus en plus sur leur transformation numérique : est-ce une réelle prise de conscience ?
  • Peut-on distinguer plusieurs approches (selon la taille, le niveau de maturité, les systèmes legacy…) ?
  • Dans votre enquête, vous évoquez trois scénarios possibles pour les banques à l’horizon 2025 : lequel est le plus probable ?
  • Quels sont les freins majeurs à la transformation digitale des banques (organisation, réseaux, culture, sécurité, pyramide des âges…) ?
  • Pour une grande banque de réseau, quelle serait l’approche la plus pertinente pour réussir la transformation numérique ? Et quel rôle doit jouer la DSI ?

 

BPSI Les grandes banques communiquent de plus en plus sur leur transformation numérique : est-ce une réelle prise de conscience ?

David Fayon. Je crois qu’il convient de distinguer la communication numérique de la transformation numérique proprement dite. Il ne suffit pas de communiquer sur les réseaux sociaux, ou d’être sur Snapchat pour donner un signal moderne, car ce sont souvent des arbres qui cachent la forêt. La transformation numérique des banques doit être bien plus profonde et est délicate à mener, car il s’agit de transformer, dans un laps de temps réduit, tout un système complexe. Celui-ci est marqué par un historique, des cultures et des mentalités, des jeux d’acteurs, alors que de nouveaux entrants très agiles arrivent sur le marché. La prise de conscience est inégale au sein du Top management des banques et selon les directions. Celles qui sont le plus en avance sont les directions marketing, de l’innovation, du système d’information, car elles sont aux premières loges de la transformation digitale. Mais on constate que les approches demeurent encore trop en silos, ce qui est de nature à faire obstacle à l’émergence de l’intelligence collective.

BPSI Peut-on distinguer plusieurs approches (selon la taille, le niveau de maturité, les systèmes legacy…) ?

David Fayon. C’est tout le travail en cours de pouvoir mesurer le niveau de maturité des banques et ainsi les comparer entre elles à plusieurs niveaux. Ceci prolonge le modèle de maturité digitale générique pour tout type d’organisation décrit dans le livre « Transformation digitale : 5 leviers pour l’entreprise ». Pour l’heure, il est encore trop tôt pour faire émerger des tendances. Et il sera pertinent de comparer les banques selon les approches existantes à l’international. C’est l’objet d’une enquête miroir, menée en parallèle en anglais, pour pouvoir se situer par rapport aux banques anglaises, américaines, scandinaves ou singapouriennes par exemple.

BPSI Dans votre enquête, vous évoquez trois scénarios possibles pour les banques à l’horizon 2025 : lequel est le plus probable ?

David Fayon. Nous devrions assister à un mix entre les trois scénarios proposés : la banque agile, la banque collaborative et la banque orientée données (Cf. encadré). Le rapport aux données sera, là aussi, intéressant à examiner entre les approches en France, aux États-Unis et en Asie, du fait de liens différents, selon, par exemple, les problématiques d’opt’in/opt’out ou de contrôle des populations, en Chine ou à Singapour.

BPSI Quels sont les freins majeurs à la transformation digitale des banques (organisation, réseaux, culture, sécurité, pyramide des âges…) ?

David Fayon. Les freins existent sur les cinq leviers identifiés dans le livre sur la transformation digitale :

  • En matière d’organisation : le fonctionnement en silo, la rétention d’information, la culture de partage insuffisamment tournée vers le développement de l’intelligence collective, la bureaucratie freinant les prises d’initiatives et la prédominance du Bottom Up.
  • En matière de ressources humaines : la résistance au changement, la rareté des formations sur le numérique, l’auto-formation peu encouragée par le management, qui privilégie les résultats à court terme. Le vieillissement des effectifs peut lui aussi constituer un frein, même s’il s’agit avant tout de mentalité à insuffler et portée au plus haut niveau.
  • En matière de technologie et d’innovation : des sys­tèmes historiques lourds à faire évoluer et ne bénéficiant pas de l’agilité des solutions Web développées par des filiales ou de nouveaux entrants, des lignes de codes écrites en Cobol, une trop faible culture de l’Open Data, etc. On note cependant, dans l’enquête, une réelle prise de conscience de la sécurité et du fait que les nouvelles technologies sont en elles-mêmes porteuses de risques. Des investissements seront à opérer pour que l’innovation s’accompagne du niveau de sécurité requis et acceptable pour tous.
  • En matière d’offres : elles sont encore très liées à une approche client-conseiller financier et à un raisonnement tourné vers le produit net bancaire. Il y a peu d’offres disruptives et seulement quelques expérimentations timides.
  • En matière d’environnement : les lourdeurs de la régle­mentation qui fluctue et qui reste délicate à appréhender, notamment pour les changements répétés de réglementations fiscales, qui constituent des contraintes pour les conseillers financiers et les systèmes d’information.

BPSI Pour une grande banque de réseau, quelle serait l’approche la plus pertinente pour réussir la transformation numérique ? Et quel rôle doit jouer la DSI ?

David Fayon. L’approche la plus pertinente consisterait à mener les cinq leviers de front, parallèlement à la stratégie, celle-ci étant elle-même en lien fort avec la prospective et la veille. Elle suppose également une transformation digitale partagée par plusieurs directions appelées à travailler main dans la main avec, en têtes de pont, la DSI et la direction marketing.


Quel profil pour la banque du futur ?

Les premiers résultats de l’enquête sur la banque du futur, réalisée sous l’égide de Telecom ParisTech et de l’université Paris-Saclay, et présentés pour Visionary Marketing, font apparaître que sept banques sur dix ont un plan de transformation digitale, avec une approche davantage Top Down que Bottom Up. Côté métiers, ce sont les gestionnaires de back office qui seront les plus impactés (3,3 sur une échelle de 1 à 4).

Pour dessiner la banque du futur, trois scénarios ont été proposés. Le premier anticipe une banque collaborative, caractérisée par une présence massive sur les réseaux sociaux, l’usage de réseaux sociaux d’entreprise, le recours au crowdfunding et au crowdsouring pour l’évolution de l’offre, l’application de la Blockchain tant en interne qu’avec les clients et les partenaires, ainsi que l’utilisation de la gamification pour fidéliser les cients. Le second scénario voit la banque comme une entité agile, avec un usage significatif du cloud, du BYOD pour le personnel, de la dématérialisation, de nouveaux moyens de paiement, de transactions en omnicanal, d’applications mobiles, la prise en compte de l’Internet des objets et de la Blockchain pour des transactions et des services avec un niveau élevé de sécurité.

Le troisième scénario concerne la banque plutôt orientée données, avec la monétisation possible des données clients en échange de services, l’exploitation des données et de l’intelligence artificielle pour des suggestions pertinentes aux clients, des chatbots pour le dialogue de premier niveau, ainsi que des initiatives en matière d’identité numérique et d’Open Data.

Entre ces trois scénarios, l’enquête ne montre pas que l’un d’entre eux se détache. La banque du futur sera un mix entre une banque agile et orientée données avec l’omnicanal, de nouveaux domaines d’activité, des APIs ouverts et un écosystème autour, avec de nouveaux acteurs.