En parallèle des opérations de fusions-acquisitions, dans lesquelles il faut intégrer un ou plusieurs systèmes d’information, les scissions (détourage, ou carve out) se multiplient : lorsqu’une entité non juridiquement indépendante est cédée, se pose inévitablement la question du système d’information qui, lui aussi, doit être « détouré ». Comment réussir cette opération souvent délicate ?
Les années 1980 et leur flot d’acquisitions et de fusions sont maintenant loin derrière nous. La crise est passée par là et nous assistons, depuis une décennie, à la fois à un renversement et à une accélération de la tendance au profit d’opérations de désinvestissement ou de restructuration par de grands groupes nationaux et multinationaux qui se recentrent sur leur cœur de métier.
Ces situations de scission bouleversent les opérations de l’entreprise à tous les niveaux. Elles impactent généralement la fonction support qu’est l’informatique et plus particulièrement le système d’information. Il est donc nécessaire, pour réussir pleinement un carve out de ne surtout pas négliger ce volet souvent très complexe, dont il faut comprendre les étapes, le pilotage, mais aussi éviter les pièges afin d’atteindre les objectifs fixés initialement.
Les opérations de carve out respectent un processus bien connu des investisseurs et de la plupart des directions générales ou financières des grandes entreprises. Mais le volet IT l’est moins alors qu’il est pourtant déterminant, à la fois pour les vendeurs, leur permettant d’être plus sereins dans leurs opérations de détourage et de cession, pour les fonds d’investissement, afin de mieux appréhender les enjeux, les risques et les coûts de leur nouvelle acquisition, et pour le futur repreneur, qui peut ainsi mieux calibrer et piloter « l’atterrissage » de l’IT dans son périmètre. Quatre bonnes pratiques sont adaptées pour une opération de détourage.
1. Réaliser un audit flash de l’existant et préfigurer la cible, en amont de la phase de transition
Pour définir la cible idéale de l’informatique et du SI de la nouvelle entité, il faut, pour cela auditer l’existant. Cela doit se réaliser le plus en amont possible de la phase de transition, afin que cette préfiguration puisse être un argument rationnel opposable lors de négociations pendant cette période de transition, les effets de surprise n’étant jamais bienvenus dans ce contexte. L’anticipation, l’évaluation et le traitement rapide des risques permettront aussi d’oublier le moins d’éléments possibles lors de la négociation financière.
L’audit du système d’information s’effectue en mode optimisé à partir d’un périmètre précis et dans un laps de temps volontairement restreint. Les entretiens sont limités aux seules personnes clés du dispositif et le manager en charge de la transition doit très rapidement planifier les rendez-vous et s’assurer de la disponibilité immédiate de ses interlocuteurs.
Les recommandations ne sont pas orientées sur des améliorations, mais ont trois objectifs principaux :
- Établir un diagnostic de l’existant le plus objectif possible.
- Proposer et évaluer une préfiguration de la cible IT.
- Identifier et évaluer tous les risques inhérents au détourage.
2. Porter une attention particulière aux applications clés et aux ERP
Parmi les composants clés des systèmes d’information figure l‘infrastructure informatique dont le repreneur peut, moyennant un coût de services maîtrisable, s’affranchir relativement facilement grâce à des solutions de type cloud (IaaS, et PaaS) ou l’infogérance. En revanche, pour les applications critiques, cela semble moins évident. Il faut être particulièrement attentif à l’impact financier et en réasliser une évaluation fine, notamment pour les ERP.
Souvent négligée, la transition de l’ERP est en effet un sujet clé qui doit être anticipé dès que possible dans le carve outdu système d’information. Les composants applicatifs qui y sont reliés sont tout aussi importants à traiter et à détourer, le cas échéant. La question de savoir si l’on garde le même ERP ou s’il on en change doit être traitée très en amont, car le timing pour sélectionner un nouveau fournisseur avec sa solution est serré et les conditions d’achat, d’intégration et de déploiement dans un nouvel environnement logiciel sont souvent complexes.
L’intégrateur de la solution doit également être soigneusement sélectionné et totalement dédié à la tâche, avec une mission prioritaire à lui rappeler impérativement afin d’éviter toute ambiguïté : livrer dans les temps impartis la solution paramétrée sur le périmètre fonctionnel convenu. Aucun écart fonctionnel ni délai ne doivent être tolérés.
Une approche souvent gagnante, en terme d’efficacité, est de rémunérer davantage cette mobilisation d’équipe, afin de garantir le succès de l’opération qui, en temps normal, consomme moins de ressources sur un temps plus long.
Cette impérieuse autonomie appelée « stand alone », recouvrée après le « day one » est cruciale, afin que les équipes de la nouvelle entité puissent, a minima, opérer dans un environnement non dégradé par rapport à l’ancien système. Attention, cependant : dans l’hypothèse d’un nouveau progiciel, la mise en place des formations et de conduite du changement auprès des utilisateurs est à prévoir et à évaluer financièrement.
On l’aura compris, le mode d’engagement des prestataires pour ce sujet n’est en aucun cas un engagement de moyens, mais un engagement de résultats, avec des livrables prédéfinis et stipulés contractuellement.
3. Établir une direction de projet de type agile de bout en bout
Le pilotage du carve out IT, sous l’autorité d’un chef de projet, est indispensable, car l’opération a obligatoirement un début et une fin. C’est un manager de transition très expérimenté et polymorphe, rompu à la direction de projet, aux programmes de transformation, possédant une excellente connaissance des SI, tant dans ses problématiques stratégiques qu’opérationnelles. Il est nécessairement bon communicant. Il est donc le chef d’orchestre garant des engagements pris et de toutes les décisions et orientations IT, en collaboration avec les repreneurs.
4. Accepter une gouvernance de l’inattendu et un pilotage par les risques et les coûts
Tout au long du processus complexe du carve out IT, le manager responsable de l’opération doit s’adapter aux situations imprévues qui ne manqueront pas de survenir. Un pilotage en mode agile et orienté risques semble donc indispensable pour mener à bien la mission confiée. Pour cela, il doit anticiper la probabilité qu’un impondérable survienne et l’impact que peuvent avoir certains événements sur le projet.
Il est aussi le garant de l’enveloppe financière et de sa maîtrise. En effet, si les évaluations ne sont pas bien réalisées, certains événements non prévus risquent de gonfler significativement cette enveloppe et la rendre difficilement supportable pour la nouvelle entité. Et peut fragiliser le démarrage des activités tout en grevant une partie du budget qui lui est normalement consacré.
Il faut donc estimer suffisamment en amont les impacts financiers, afin de les négocier au plus tôt dans le prix d’achat. Après il sera, hélas, trop tard…
Afin de gérer correctement les événements inattendus, il convient d’être particulièrement vigilant sur l’atteinte de certains objectifs plus globaux du projet.
Le responsable du projet veillera en particulier à :
- Intervenir dès les phases amont du projet global de carve out.
- Constituer rapidement une équipe spécialisée, en s’appuyant sur son propre réseau d’experts et de prestataires.
- Valoriser chaque scénario en terme d’impact financier pour le repreneur.
- Faire comprendre aux équipes encore en place et futures comment travailler en mode agile.
- Capitaliser sur les imprévus survenus.
- Gérer le temps, en différenciant la gestion de l’imprévu de la gestion de l’urgence.
Ces quelques bonnes pratiques soulignées peuvent sembler être du bon sens, mais, une fois la course lancée, force est de constater que les équipes engagées oublient parfois l’essentiel en se concentrant principalement sur les opérations financières et opérationnelles du détourage. Pourtant, le nouveau système d’information sera la pierre angulaire de la nouvelle entité, dès le jour de la scission.
Le choix du responsable du projet – manager de transition est donc primordial pour la réussite d’une telle opération. Sa capacité à accompagner les transformations, son indispensable vue systémique et ses leçons apprises seront des éléments déterminants. Il saura aussi « disparaître » le jour où il pourra transmettre les clés à un nouveau DSI recruté dans une démarche de transfert de connaissances maîtrisée.
Les différentes phases d’un projet de carve out de système d’information | |
Phases | Actions |
Audit et préfiguration de la cible |
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Planification, contractualisation et validation de la cible |
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Pilotage de la transformation |
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DSI de transition et mise en œuvre opérationnelle du SI |
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Source : ICG Group |
Les trois grandes étapes du carve out
La mission du manager en charge de la transition se décompose en trois étapes :
- Avant la transition : le manager doit conduire un audit flash, savoir diagnostiquer rapidement un existant et préfigurer une cible IT dans l’atteinte des objectifs déjà prédéfinis. Il doit aussi planifier l’ensemble du projet de carve out IT, en identifiant, dès que possible, les prestataires qui viendront compléter le dispositif de migration, d’intégration et de déploiement de la future plateforme. Il doit donc aussi être un homme de réseaux capable de formaliser un cahier des charges adapté à la situation et de mobiliser les équipes expertes dans leur domaine.
- Pendant la transition : il assure, sur la base du TSA (Transition Service Agreement) validé et à travers le cahier des charges prédéfini, la migration de l’ensemble du périmètre détouré, l’intégration et le déploiement de l’ensemble de la plateforme IT de la nouvelle entité. C’est une opération délicate qui se réalise à marche forcée, car les délais sont contraints et les pénalités de retard prévues au contrat peuvent handicaper financièrement et opérationnellement la nouvelle entité. Il veille aussi à la bonne exécution du contrat dans ses moindres détails, s’adaptant aux situations imprévues.
- Après la transition : le manager fait aussi office, pendant un temps défini, de DSI par intérim, s’assurant que le SI transféré est parfaitement autonome, déployé et fonctionne en mode non dégradé. Il veille aussi à ce que les équipes s’approprient ce nouvel environnement. Il doit, dans le même temps, projeter le SI vers ses nouveaux défis, en élaborant une première version du schéma directeur informatique. Enfin, il jette les bases d’une nouvelle gouvernance IT, formalisant les premiers rôles et responsabilités, les comités et processus ad-hoc de ce cadre, afin que son successeur puisse avoir toutes les cartes en main au moment de son arrivée. À ce titre, il participe aussi à son recrutement en élaborant une fiche de poste en adéquation avec les nouveaux challenges de la nouvelle entité.
Cet article a été écrit par Pierre Calvanèse, manager de transition en direction de systèmes d’information en France et en Suisse. Il est expert certifié en gouvernance et performance SI.
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