Comment rénover un SI : l’exemple de la MAIF

Il y a cinq ans, l’assureur a entrepris une rénovation complète de son système d’information IARD, afin de lui redonner de l’évolutivité et de l’adapter aux exigences du multicanal. Son déploiement se poursuit en 2017. Assureur mutualiste, la MAIF propose ses services à trois millions de sociétaires.

Elle est le quatrième assureur automobile et le premier du secteur associatif. Son métier d’assureur repose en grande partie sur le système d’information IARD (Incendies, Accidents et Risques Divers), qui lui permet de bâtir et de vendre les offres, de gérer les contrats et de mettre en œuvre les prestations en cas de sinistre.

Début 2010, le système d’information existant, après quinze à vingt ans de loyaux services, commençait à montrer des limites. Comme tous les systèmes Legacy, il s’était complexifié avec le temps et était devenu trop monolithique face aux demandes des métiers, confrontés à de nombreux changements. Avec la digitalisation grandissante, les évolutions réglementaires ou encore le développement des comparateurs en ligne, ces derniers avaient besoin de pouvoir déployer rapidement de nouvelles offres, davantage personnalisées, tout en développant une stratégie multicanal en phase avec les attentes des assurés.

La MAIF décide alors de repenser entièrement son système d’information IARD pour le rendre plus modulable et évolutif, dans une logique de « progicielisation ». « L’objectif était de rénover en parallèle la gestion des contrats et des offres, ainsi que la partie traitant les sinistres », explique Sébastien Renaud, directeur du programme de rénovation du SI IARD. Cette rénovation devait permettre de réduire le coût et d’accélérer le Time to Market des futurs projets, tout en améliorant la réactivité des différents processus métiers.

Une phase de pré-cadrage a, tout d’abord, permis à l’assureur d’évaluer différents scénarios de modernisation : parmi les différentes options étudiées figurait l’achat d’une nouvelle solution sur mesure, la réécriture de la totalité des applications ou leur réécriture partielle, afin de capitaliser sur certaines briques existantes. Au final, c’est ce troisième scénario qui a été retenu. Pour garder la maîtrise de son patrimoine, la MAIF a en effet choisi de réurbaniser l’architecture du système IARD, tout en conservant certains applicatifs historiques en Cobol, une technologie éprouvée en interne.

Au total, les applications concernées par cette modernisation touchent pas moins de 4 000 utilisateurs (vente, gestion de contrats et de sinistres). « Nous souhaitions mener de front la rénovation de deux pans centraux de notre activité. Il nous fallait un partenaire capable de nous aider à piloter l’ensemble », souligne le directeur du programme IARD. Le prestataire devait également être capable de soutenir la démarche dans la durée. En 2011, l’assureur décide, sur ces critères, de faire appel à CapGemini pour l’accompagner.

La rénovation nécessitait de mener trois grands types de chantiers :

  • La construction d’un nouveau système d’information, destiné à accueillir toutes les nouvelles offres, avec le maintien d’un applicatif pour conserver certaines offres historiques, tout en assurant la cohérence globale des contrats en termes de détention et de tarification.
  • La migration d’un ensemble de contrats sur le nouveau système.
  • La rénovation progressive du processus de gestion des sinistres.

Dans un premier temps, plusieurs briques paramétrables ont été mises en place, afin de constituer un socle générique pour le nouveau système d’information. Le but était de sécuriser les projets en rendant la livraison prédictible. « Auparavant, les données étaient codifiées à différents niveaux, ce qui rendait les modifications coûteuses », relate Olivier Scaloni, directeur de projet chez CapGemini.

Pour y remédier, la MAIF a notamment déployé une solution d’administration et de propagation des données de référence, tout en redéfinissant certains modèles de données afin de rentrer dans les standards relationnels. Pour gagner en agilité, l’entreprise a également mis en œuvre un moteur de règles en environnement Java, la solution JRules, et une plateforme d’échanges de flux interapplicatifs, l’ESB Tibco, qui sert notamment à orchestrer les services métiers en Cobol.

Côté métier, la priorité était de bâtir un moule permettant de travailler conjointement et d’outiller rapidement les nouvelles offres. La MAIF a donc construit un catalogue hébergeant la structure de ses produits pour l’ensemble des consommateurs applicatifs. Des APIs ont été mises en place, par exemple sur l’assurance habitation jeunes, afin de faciliter l’intégration de partenaires et l’accès multicanal (notamment Web et smartphones).
Dans le même temps, un certain nombre de prérequis ont du être adressés en prévision de l’ouverture du système d’information sur l’extérieur, comme la mise en place de traitements différés par lots ou la compatibilité des applications avec un fonctionnement en 24×7. Une nouvelle solution d’éditique a été déployée afin de bénéficier de documents plus ouverts. Dans un second temps, une architecture événementielle a été mise en œuvre pour assurer la mise à jour des systèmes aval, notamment le SI décisionnel et le progiciel de comptabilité, en propageant les changements effectués dans les systèmes opérationnels.

En parallèle, un gros volume de code a été réécrit pour être porté sur le nouveau socle. Les applications développées en Cobol ont été rebâties avec de nouveaux patterns d’architecture, afin de s’insérer dans une architecture orientée services. Certains processus métier ont également été revus : des interfaces initialement conçues comme des grilles, avec de multiples cases à cocher, ont, par exemple, été réécrites en Java, dans une logique davantage orientée sur le discours du sociétaire, afin que les utilisateurs puissent renseigner les informations nécessaires de manière plus naturelle. La refonte, accompagnée par un ergonome, a été guidée par une logique de simplification à tous les niveaux : un seul point d’entrée pour faciliter l’accès aux données par les conseillers, des composants applicatifs identiques sur les différents outils pour accélérer la formation des collaborateurs…

Privilégier la co-construction et les méthodes agiles

Ce programme a également permis à la DSI de la MAIF d’introduire de nouvelles pratiques, comme la co-construction, qui a facilité l’implication des utilisateurs finaux très en amont dans les projets. D’autres groupes d’utilisateurs ont été constitués pour tester chacun des projets. Sur la dimension de l’accompagnement au changement, l’université d’entreprise a aussi sollicité ces utilisateurs pour évaluer les applications, en vue d’ajuster les formations.

Les didacticiels mis en place ont ainsi pu être adaptés en fonction de l’appétence des utilisateurs et de leur aisance avec les outils, en proposant différents niveaux de guidage (allant du pas-à-pas à l’autonomie complète).

En 2011, les équipes ont également expérimenté les méthodes agiles inspirées de Scrum. Les user stories, utilisées dans ces approches pour aider à identifier les besoins des utilisateurs, ont bien fonctionné. Néanmoins, les applications développées devaient également remplacer un existant avec un certain nombre de fonctionnalités. Un compromis a donc été trouvé, de manière à intégrer les évolutions demandées tout en garantissant la non-régression fonctionnelle.

Des représentants de la maîtrise d’ouvrage ont notamment participé aux projets avec un rôle de gardien. « Nous avons senti l’entreprise grandir avec ces méthodes. Aujourd’hui, cela ne nous viendrait pas à l’idée de construire des outils destinés à être autant utilisés avec un cycle en V. Nous testons au fur et à mesure de l’avancement », pointe Sébastien Renaud. Depuis 2011, tous les projets significatifs ont été livrés en s’appuyant largement sur ces nouvelles approches.

Pour sécuriser la mise en œuvre du programme, CapGemini a fait plusieurs préconisations qui ont été prises en compte. La MAIF a adopté une trajectoire progressive, afin de ne pas cumuler les risques. Les briques technologiques du nouveau cadre architectural ont été éprouvées au travers des premiers paliers de la trajectoire, à taille maîtrisée.

Par exemple, le cadre de développement Java, utilisé pour les interfaces, a tout d’abord été mis en œuvre sur quelques applications internes destinées au siège, afin d’éprouver ses capacités de montée en charge. « Ces premiers projets servaient à étalonner la technologie et à diminuer les risques », précise Olivier Scaloni.

Entre 2010 et 2016, une dizaine de projets liés au cœur de métier ont successivement été livrés sur le nouveau système. En 2013, c’est le système de tarification auto qui a été complètement refondu, puis ce fut la mise en place des outils de vente et de gestion de contrats pour la nouvelle offre de protection juridique. Pour la gestion des sinistres, la rénovation s’est faite par étapes, en commençant par la déclaration de sinistres, puis le missionnement des experts IRD, pour se poursuivre avec celui des réseaux d’experts et de réparateurs automobiles, qui sera livré début 2017.

Ce sont environ 1 800 gestionnaires de sinistres qui ont été concernés par ces évolutions successives « Les méthodes agiles nous ont permis d’avancer plus vite, d’autant plus que les utilisateurs voyaient l’application évoluer au fur et à mesure », fait observer Sébastien Renaud.

Fin 2015, un autre palier important a été franchi avec la bascule de tous les contrats d’assurance automobile (l’offre VAM à la MAIF) sur le nouveau système. « Dans notre secteur, ce type de migration s’effectue en général sur un système déjà éprouvé. Dans notre cas, nous avons bâti le nouveau système et nous avons effectué la migration dans la foulée », ajoute le directeur du programme. En raison de l’ampleur de la rénovation, la gouvernance a joué un rôle clé.

Des sponsors siégeant au comité exécutif de la MAIF ont contribué au bon déroulement du programme. « En 2015, la direction générale suivait au plus près le projet sur l’assurance automobile. Elle en avait une visibilité régulière, et notamment avec un suivi en temps réel durant le week-end lorsqu’a eu lieu la migration vers le nouveau système. » Ce sponsoring dans la durée était essentiel pour maintenir le cap, d’autant qu’un tel programme prend nécessairement du temps. « Il faut vraiment avoir la volonté d’aller jusqu’au bout, l’erreur serait de s’arrêter en cours de route. Ce serait l’inverse de l’effet recherché, car cela génèrerait de la complexité », conseille le directeur du programme.

Côté DSI, la MAIF a également travaillé sur les périodes de garantie (passage du mode projet au mode récurrent). Les équipes projets ont notamment cherché à embarquer, le plus tôt possible, les collaborateurs chargés du maintien en conditions opérationnelles, afin de faciliter la transition.

En moyenne, le programme a mobilisé entre 120 et 140 personnes, voire 160 en période de pic. Environ 40 % étaient des collaborateurs de la MAIF, tandis que 60 % étaient des ressources externes. Tous les acteurs étaient regroupés dans un même site, sur un plateau commun. La proximité géographique a favorisé le recours aux outils de management visuels, fréquemment utilisés afin de faciliter le pilotage lors des phases de sprint et de test. La MAIF évalue actuellement un mode de développement à distance, grâce à des écrans TV mis en place sur le plateau. « Les premiers retours sont plutôt positifs, y compris en démarche agile », indique Sébastien Renaud.

A ce jour, près de cinq millions de risques sont désormais gérés sur le nouveau système. Toutes les nouvelles offres sont déployées sur ce socle technique, l’assureur prévoyant d’y avoir une gamme complète courant 2018. Le challenge actuel porte plutôt sur les anciennes générations d’offres non migrées, l’entreprise devant décider à quel moment il sera le plus opportun de les traiter.

Pour les sociétaires de la MAIF, cette modernisation des systèmes métiers se traduit essentiellement par l’arrivée de nouvelles offres, dont certaines sont même établies en co-construction avec eux, telle MRH Jeunes lancée en juin 2016. Le programme a également amélioré la capacité des conseillers à accéder aux informations et à réaliser des devis en temps réel, renforçant la relation avec les clients.

Le projet en bref
Pourquoi ? Comment ? Avec quoi ? Pour quels bénéfices ?
  • Adapter le SI au multicanal
  • Réduire la complexité du SI
  • Accroître l’agilité pour traiter les demandes des métiers (personnalisation Time to Market)
  • Diminuer les coûts
  • Une logique de progicielisation
  • Une phase de pré-cadrage avec des scénarios de modélisation
  • La réécriture partielle des applications
  • Une réurbanisation de l’architecture du SI
  • Trois chantiers (nouveau SI pour les nouvelles offres, migration, rénovation de processus)
  • Une redéfinition des modèles de données
  • Une optimisation des processus pour s’intégrer dans une architecture orientée services
  • Des pratiques de co-construction avec les utilisateurs finaux
  • Le regroupement des équipes sur un plateau commun
  • Un accompagnement externe (CapGemini)
  • Une solution d’administration des données de référence
  • Un moteur de règles en environnement Java
  • Une solution JRules
  • Une plateforme d’échanges de flux interapplicatifs
  • Un catalogue pour héberger la structure des produits
  • Des APIs pour faciliter l’intégration des partenaires et l’accès multicanal
  • Une nouvelle solution d’éditique
  • Des méthodes agiles
  • Des didacticiels pour les utilisateurs
  • Un seul point d’entrée pour l’accès aux données par les conseillers
  • Des composants applicatifs identiques sur les différents outils
  • Un déploiement des offres sur un socle technique unifié
  • De nouvelles offres issues de la co-construction avec les utilisateurs
  • Des devis en temps réel

 


L’avis de Best Practices

La digitalisation omniprésente dans les préoccupations des entreprises touche de plein fouet le secteur de l’assurance. Les acteurs de ce marché doivent répondre aux attentes de leurs clients, fortement demandeurs de services intégrés, rapides et accessibles à tout moment. Les assureurs doivent aussi anticiper le développement de nouveaux usages (notamment tous ceux liés à la vague IoT, qui vont de la protection du domicile jusqu’aux véhicules autonomes). Si ces changements ne vont pas tous survenir au même rythme, il est plus que temps de s’y préparer : les assureurs ne pourront le faire seuls. Pour se différencier, ils devront également renforcer les liens avec leurs partenaires, notamment les réseaux de prestataires et d’experts techniques, mais aussi les start-up développant des services innovants (basés par exemple sur des technologies comme la Blockchain). De plus en plus, le système d’information va devoir s’ouvrir, afin que les assureurs puissent bâtir des services d’assurance innovants avec leurs partenaires. La stratégie choisie par la MAIF autour des APIs va dans la bonne direction.