Stratégie : le rôle clé de l’information

Comment définir la stratégie ? Hélas, il n’existe pas d’approche simple. Pour Bruno Jarrosson, « la stratégie est une discipline obscure. Il est difficile de savoir ce qu’elle est ; aucune définition complète, consistante et finie ne s’impose. »

Elle est en tous cas multiforme puisque ses principes s’appliquent à des domaines aussi divers que la guerre, la diplomatie, les relations interpersonnelles et, bien sûr, l’entreprise et l’organisation. On peut toutefois cerner les principes stratégiques, « partiellement, à travers des situations, des auteurs, des théorisations et la connaître par complémentarité », assure l’auteur.

Il passe ainsi en revue des grands penseurs de la stratégie, qu’il s’agisse de Sun Tzu, Napoléon, Machiavel ou Von Clausewitz, et des stratégies militaires plus ou moins heureuses ou des théories managériales plus ou moins pertinentes. Globalement, « la stratégie a pour objet de réconcilier le présent et l’avenir, même s’il n’existe pas d’avenir, il n’existe qu’une idée de l’avenir dans le présent. »

De Sun Tzu à Steve Jobs, une histoire de la stratégie, par Bruno Jarrosson, Dunod, 2016, 242 pages.

Pour reprendre la conception de Sun Tzu, la stratégie serait l’art d’atteindre des objectifs en minimisant les ressources et les inconvénients. Cette conception s’applique tout à fait à la stratégie système d’information, notamment, remarqueront les DSI, à la minimisation des ressources ! Dans L’art de la Guerre, Sun Tzu, pour qui « il n’y a pas de forteresses imprenables, il n’y a que de mauvais attaquants », explique que cinq éléments doivent être en harmonie : la cause morale, les conditions climatiques, géographiques, le dirigeant et l’organisation.

Bruno Jarrosson rappelle que « l’aliment de la stratégie est l’information, il faut savoir l’acquérir, la produire, la manipuler. » Le rôle de l’information comme soutien et facteur clé de réussite des stratégies a été mis en évidence en matière militaire. En 1942, rappelle l’auteur, « Nimitz a pris les meilleures décisions et gagné la bataille parce qu’il avait une information réaliste sur les positions des bateaux japonais ennemis. Ce ne sont ni les moyens ni même le talent stratégique qui ont fait la différence, mais bel et bien l’information, la ruse des japonais n’a pas inversé le poids de l’information. »

Toutefois, l’accès à suffisamment d’informations peut créer des effets collatéraux, à force de trop imiter ce que font les concurrents. « N’oublions pas que les stratèges agissent et décident dans une situation d’enjeu et d’incertitude. Or il est malvenu d’engager des enjeux forts sans certitude de réussite. Dans ce cas, il est rassurant d’imiter les concurrents. Cette façon de procéder conduit à une faible innovation », assure Bruno Jarrosson. Cette logique peut entraîner la disparition d’entreprises ou de secteurs.

Outre l’information, une stratégie, pour réussir, doit conjuguer deux autres éléments : d’une part, la liberté de manœuvre. « À partir des années 1980, sous l’influence d’un mouvement appelé corporate governance, la mode est revenue aux entreprises focalisées (par opposition aux conglomérats jusque dans les années 1970), c’est une question de liberté de manœuvre », explique l’auteur. D’autre part, la concentration des efforts sur un point décisif, notion introduite par Von Clausewitz.

Pour Bruno Jarrosson, l’analyse historique des stratégies permet de dégager les principales caractéristiques de la posture du stratège : la modestie (il n’est pas propriétaire de l’avenir), le réalisme (le réel est plus fort que l’idéologie), la cohérence, l’articulation de la réflexion et de l’action, l’articulation entre l’intuition et l’analyse.


Quelques idées à retenir

  • La stratégie est issue d’une certaine idée de la réalité, il n’y a de stratégie partagée que s’il y a accord sur ce qu’est la réalité.
  • Le danger, pour le stratège, est de surestimer le pouvoir de sa volonté sur l’avenir.
  • Un échec stratégique est toujours un défaut de connaissance.
  • La stratégie se matérialise par des décisions et la décision est fondée sur l’information.
  • Un bon moyen d’emporter une négociation consiste à se mettre en situation de ne pas pouvoir céder.
  • Ne pas tout savoir ne signifie pas ne rien savoir. La stratégie est une tentative de mettre le réel en contrepoids des croyances.
  • Ce n’est pas parce que la stratégie est incapable de tout connaître et de tout prévoir qu’elle n’améliore pas la fiabilité des stratégies mises en œuvre.
  • Si les entreprises innovent, ce n’est pas tellement par goût de la nouveauté, c’est plutôt pour échapper à la violence de la guerre des prix.
  • Toutes les entreprises n’ont pas besoin d’améliorer leur qualité, on en voit parfois réussir en dégradant leur qualité.
  • Quand l’enjeu devient l’ego, il y a fort à parier que l’enjeu stratégique est négligé.
  • Quand un stratège connaît l’avenir et déduit sa stratégie de cette connaissance, les capitaux propres de l’entreprise risquent de ne pas le rester longtemps.