Dans le cadre du mastère spécialisé Executive systèmes d’information et management, proposé par l’École de management des SI de Grenoble, un groupe de cinq étudiants (Anne-Sophie Romano, Jamal El Mahdali, Moussa Musavuli Mbutho, Rémy Noirot et Stéphane Laverdure) a travaillé sur la problématique des wikis.
Avec deux questions : comment stimuler une contribution diversifiée et comment définir un mode de gouvernance qui favorise l’autogestion ?
Dans un environnement en rapide évolution, la maxime «Scientia Potentia Est» apparaît plus pertinente que jamais dans le monde de l’entreprise : ce qu’une organisation sait est souvent plus important que ce qu’elle possède. Pour développer les connaissances en interne et les partager de façon plus efficace, de plus en plus d’entreprises saisissent les opportunités offertes par les technologies du Web 2.0 et les mettent au service de modes de fonctionnement plus collaboratifs.
Mais ce type de plateforme collaborative pose d’emblée deux questions : comment stimuler une contribution diversifiée des auteurs, dans tous les domaines et à tout niveau de l’organisation ? Comment définir un mode de gouvernance d’ISEE qui tende vers l’autogestion ?
Combiner gouvernance et autogestion
du partage de connaissances
Dans le domaine du Knowledge Management, la gouvernance est définie comme l’ensemble des structures, des processus et des mécanismes relationnels mis en place pour diriger, coordonner et contrôler les initiatives de gestion de connaissances explicites et intentionnelles dans une organisation. L’autogestion est le fait, pour un groupe d’individus ou une structure considérée, de prendre les décisions concernant ce groupe ou cette structure par l’ensemble des personnes membres du groupe ou de la structure considérée.
La tendance à l’autogestion induit un fonctionnement collectif et collaboratif. Les caractéristiques d’un wiki d’entreprise sont en fait très proches de celles des projets Open Source (volontariat, modularité, communautés). En effet, dans le domaine de la production d’applications logicielles où la concurrence est très forte, il est remarquable de constater que les communautés Open Source réussissent à développer de façon pérenne, et sur la base du bénévolat, de nouvelles applications (Linux, Apache, Mozilla…) dont le succès et la popularité ne cessent de croître.
Dans le cadre d’organisation en communautés, comme les projets Open Source qui fonctionnent sur la base du volontariat et de la confiance, le choix d’une gouvernance sociale (vérification de la conformité à des règles morales ou culturelles) est le plus adapté pour la gestion de la coordination et de la motivation. Ce type de gouvernance est rendue possible par un certain nombre de caractéristiques des projets de développement logiciel, en général, et des applications Open Source, en particulier :
- Le produit final se décompose en sous-ensembles qui sont produits de façon décentralisée.
- Les évolutions technologiques sont progressives, sans changements radicaux.
- Les sous-ensembles constituant le produit final peuvent être développés de façon séquentielle et sans ordre chronologique particulier.
Cela permet une large décentralisation des décisions et des contrôles vers les communautés par sous-ensembles. La gouvernance en autogestion doit s’appuyer sur l’organisation existante tout en augmentant l’efficacité de l’amélioration des processus. Cette vision de l’amélioration de processus se caractérise de plusieurs manières :
- Une gestion de la vision stratégique, incluant les ressources, la gestion de la prise de décision et la gestion des acteurs/partenaires du processus.
- Une gestion des processus fonctionnels, incluant l’évaluation des objectifs, un retour sur la performance et une grille de reconnaissance.
- Un programme de mise en place de processus fonctionnel sur mesure.
- Un support d’amélioration de processus incluant training et autorité de gestion du changement.
Ainsi, la gouvernance d’un wiki d’entreprise visant l’autogestion doit rechercher à :
- S’appuyer sur les communautés existantes.
- Décentraliser les activités par sous-ensembles.
- Intégrer une approche d’amélioration de processus.
Dans le but de déterminer quels leviers d’amélioration doivent être utilisés pour stimuler la contribution, il est recommandé d’évaluer la performance d’un wiki selon un référentiel qui contient quatre axes (l’individu, l’outil, le contenu, le collectif), chacun étant associé à plusieurs critères (Cf. graphique page 6). Cette évaluation permet de définir quels leviers sont à actionner pour augmenter la performance.
Dans un second temps, il est recommandé de mettre en place un processus d’amélioration continue qui s’appuie sur des indicateurs de performance (KPI). Au minimum, il est nécessaire de fixer un indicateur pour chacun des onze critères du référentiel. Afin de piloter ce processus, nous préconisons de mettre en place un tableau de bord permettant de suivre l’évolution de ces indicateurs.
Cette gouvernance reste sous la responsabilité et le contrôle de l’équipe de direction en charge de la fonction ou du processus, mais elle doit tendre à impliquer au maximum les différentes parties prenantes et acteurs de cette fonction ou processus. Le modèle proposé d’une gouvernance tendant à l’autogestion repose donc sur trois piliers principaux :
- Une décomposition des actions/tâches de gouvernance en sous-ensembles, afin de limiter la taille et la complexité de ces actions pour qu’elles puissent être gérées par des petites équipes, sans avoir besoin de mobiliser des ressources importantes (qui nécessiteraient d’être approuvées par des autorités supérieures). Cette décomposition pourrait se faire selon les quatre dimensions considérées pour l’évaluation d’un wiki (outil, contenu, individu, collectif).
- Une mobilisation des différents acteurs impliqués dans la gestion de l’encyclopédie collaborative.
- Un workflow cyclique (compatible avec un workflow d’amélioration continue de processus). Ce processus standard se décompose en cinq étapes :
1. Définition des objectifs : de façon cyclique, les objectifs de développement/d’amélioration/de correction seront définis en s’appuyant sur les informations fournies par l’analyse des indicateurs de performance (KPI) en place.
2. Planning : cette étape consiste à identifier les ressources indispensables à la réalisation des objectifs définis, notamment pour la mobilisation des ressources externes à la communauté et pour les investissements qui pourraient être nécessaires.
3. Implémentation des objectifs définis : durant cette étape, il est nécessaire de mettre à jour les indicateurs de performances, pour prendre en compte les modifications apportées au « système ».
4. Mesure : cette analyse est récurrente et permet d’établir un tableau de bord sur la base des KPIs définis et mesurés.
5. Amélioration : à ce stade, on intègre l’analyse des données disponibles dans le tableau de bord et l’identification de l’ensemble des points d’amélioration. Un classement de ces points d’amélioration sera effectué en fonction de la priorité avec laquelle ils doivent être implémentés. Cet ordre de priorité est déterminé en fonction des objectifs stratégiques définis par le sponsor du wiki.
La mise en place des évolutions proposées dans le modèle de gouvernance doit s’appuyer sur une connaissance précise du fonctionnement actuel de la gouvernance du wiki. Elle nécessite la participation des acteurs impliqués, pour développer et valider un plan détaillé de la transition des activités retenues pour la décentralisation.
L’implémentation de ces évolutions et transferts de responsabilités devra être soutenue par un plan d’accompagnement au changement afin d’identifier et de réduire les obstacles, maximisant ainsi les chances de succès de ce projet.
Il est recommandé d’effectuer les exercices préparatoires suivants avant le lancement du projet :
- Une analyse SWOT (identification des Quick Wins/obstacles majeurs/aide à la priorisation).
- Une analyse rigoureuse des risques.
- Une identification des différents acteurs et parties prenantes dans ce projet, ainsi qu’une cartographie des partenaires.
- Une roadmap permettant de gérer ces évolutions en plusieurs phases (approche progressive/éviter de trop nombreux changements simultanés dans un même domaine/une même organisation).
Les principales caractéristiques d’un wiki
- Un référentiel d’informations cohérentes.
- La paternité collaborative.
- La publication instantanée.
- L’information accessible.
- La culture de la confiance.
Un exemple de wiki d’entreprise : ISEE de Schneider Electric
Le groupe industriel Schneider Electric s’est lancé, depuis plusieurs années, dans cette transformation et dispose d’un ensemble d’outils de collaboration, parmi lesquels figure un wiki d’entreprise, né en mars 2015. Au service de l’élaboration de l’encyclopédie interne, cette plateforme, baptisée ISEE (Internal Schneider Electric Encyclopedia) permet de collecter, organiser et distribuer des informations. Elle constitue l’un des référentiels de la connaissance dans l’organisation et l’un des piliers de la stratégie du Knowledge Management Office (KMO, rattaché à la division Information Process Organization) : c’est le « système de référence de la connaissance explicite pour et par l’ensemble des collaborateurs de Schneider Electric. »
L’application de Schneider Electric repose sur la solution MediaWiki, la même que celle de Wikipédia. Utilisés dans le contexte professionnel, les wikis deviennent souvent des référentiels pour collecter et structurer les connaissances informelles de l’organisation (partage d’informations et d’astuces), ce qui se révèle généralement bénéfique pour les entreprises. C’est pourquoi nombre d’entre elles intègrent ce type d’application à leur système d’information, le wiki faisant ainsi partie intégrante de la stratégie de l’entreprise.
ISEE est le référentiel collaboratif pour le vocabulaire interne, ayant pour vocation initiale de centraliser tous les acronymes utilisés dans l’entreprise. Dès 2015, le contenu d’ISEE s’ouvre progressivement à la définition de produits, services, technologies, métiers propres à l’entreprise, en s’appuyant sur les communautés de pratiques de Schneider Electric.
Les communautés de pratiques, appelées C@Work, se sont développées depuis 2011 au sein de Schneider Electric. Pour Louis-Pierre Guillaume, directeur KM chez Schneider Electric, elles suivent trois principes de gestion : des objectifs communs documentés dans une charte, un environnement de travail collaboratif, animé par un leader, et une vision stratégique commune partagée par le sponsor de la communauté.
Les communautés de pratiques offrent plusieurs bénéfices : la promotion de l’innovation et la pénétration d’une culture de collaboration d’entreprise, la résolution de problèmes et la diffusion des bonnes pratiques, le maintien et le développement des connaissances (individuelles et collectives). Fin 2015, il existait plus de 140 C@Work chez Schneider Electric, regroupant plus de 24 000 membres répartis dans plus de cent pays.
Les bonnes pratiques pour favoriser l’appropriation d’un wiki | |||
Dimension | Critère | Principes | Leviers de progression |
Outil | Accès et paramétrage |
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Facilité d’utilisation |
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Contenu | Pertinence du contenu |
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Quantité de contenu |
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Structure du contenu |
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Individu | Régularité d’utilisation |
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Intérêt pour l’utilisateur |
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Implication de l’utilisateur |
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Connaissance de l’outil |
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Collectif | Culture de la collaboration |
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Pratique de la collaboration |
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Exemples d’indicateurs à suivre
- % d’articles écrits par plusieurs contributeurs.
- Moyenne de contributions par article.
- % de contributions/nombre total de visiteurs uniques.
- % de contributeurs uniques/nombre total de visiteurs uniques.