Nouveaux services, productivité et maîtrise des coûts : le tryptique du secteur public

Si les stratégies IT du secteur public restent encore très marquées par les réductions de coûts, l’optimisation de processus et le redesign de services progressent. Les exemples du conseil départemental de Loire-Atlantique et de la Caisse nationale d’allocations familiales.

Parmi leurs priorités, les entreprises semblent avoir placé la réduction des coûts relativement loin, selon une étude publiée par CIOnet, le Business & IT Trends Institute et le Global Institute for IT Management (Key European IT Management Trends for 2016). La réduction des coûts figure, en effet, à la neuvième place dans l’échelle des priorités des managers IT, loin derrière l’alignement avec les métiers, la sécurité, la productivité des métiers, l’innovation et l’agilité.

Le secteur public semble se distinguer : selon le Global CIO Survey 2015 publié par Deloitte, les priorités des DSI dans le secteur public, par rapport aux autres secteurs, sont encore très orientées vers la réduction des coûts, beaucoup plus que dans la finance ou l’industrie. Ce qui est observé au niveau mondial est également vrai en France.

Cette recherche de réduction des coûts n’est évidemment, et heureusement, pas exclusive de la stratégie SI des organisations publiques. Elle est associée à la recherche de performance/optimisation de processus et de modernisation qui se traduisent, au final, en réduction des coûts.

Gartner, parmi les dix grands chantiers IT du secteur public recensés, met en exergue deux besoins importants : d’une part, celui d’accroître la productivité des salariés, par exemple à travers des initiatives de type digital workplace et, d’autre part, le redesign des services d’une façon plus « marketing ». Nous détaillons deux projets qui correspondent à ces problématiques : le conseil départemental de Loire-Atlantique, qui a mis en œuvre une initiative digital workplace et la Cnaf (Caisse nationale d’allocations familiales), qui a mis en place un nouveau service avec des contraintes temporelles et réglementaires fortes, ce qui lui a valu de remporter l’un des Trophées des utilisateurs Oracle, remis lors de la dernière journée des clubs utilisateurs de solutions Oracle.

Conseil départemental de Loire-Atlantique : s’approprier les outils collaboratifs par le jeu

En novembre 2013, le conseil départemental de Loire-Atlantique se lance dans une réforme organisationnelle consistant à déconcentrer les services du siège nantais sur six territoires. Ce projet, politique et managérial, vise à décloisonner un fonctionnement jusqu’alors hiérarchique et en silos, et à impulser une approche transversale et de proximité vis-à-vis de ses usagers.

Au même moment, la DSI s’engage dans une transformation digitale avec le programme Sirius digital workplace. Il s’agit de repenser entièrement le poste de travail et les outils intranet de la collectivité. Deux projets à mener de front, avec un impact considérable sur l’organisation du travail des 4 500 agents des services départementaux.

Pour mettre en œuvre ce nouvel environnement « digital workplace », la DSI entame, en 2011, un dialogue compétitif et part à la recherche d’un outil capable de mettre en œuvre des espaces collaboratifs. Le choix se porte sur l’outil Alfresco. Mais c’est fin 2013 que la transformation numérique va réellement se jouer avec la mise en œuvre du plan d’accompagnement, et l’arrivée de Safia D’Ziri, nouvelle directrice solutions numériques au conseil départemental de Loire-Atlantique.

A la tête d’une équipe de 96 collaborateurs et 50 prestataires, elle se donne comme missions d’accompagner les usages et de promouvoir les pratiques numériques. Et la tâche est délicate. Il faut savoir qu’au sein de cette administration coexistent plus d’une centaine de métiers différents (cuisiniers, secrétaires, médecins, médiateurs culturels…), générateurs d’autant de pratiques. L’outil doit donc répondre aux besoins hétérogènes de ces métiers, mais être également convivial pour des utilisateurs moins férus de nouvelles technologies.

« Le choix d’Alfresco s’est joué principalement sur la technique et non sur le fonctionnel », précise Safia D’Ziri. « Même si l’outil devait apporter de vrais avantages en matière de collaboration et d’échange pour l’ensemble des agents. » Les métiers ont été légèrement impliqués dans la définition du besoin durant les ateliers. Le choix final a été porté par la direction des solutions numériques.mais seulement sondés.

Un rôle proactif de la DSI

Le choix final de la solution reviendra à la DSI. « Notre rôle est d’être proactif et de s’assurer que les outils sont là au bon moment », justifie Safia D’Ziri. Et ce choix va s’avérer bénéfique, puisque le produit est en adéquation avec le projet de déconcentration et va même faire émerger de nouvelles formes de travail. « Il y a eu une bonne concordance des calendriers entre la réforme organisationnelle et notre volonté de redessiner le poste de travail des agents. Sans une proactivité de la part de la DSI, il aurait été difficile d’apporter, en temps réel, des solutions concrètes au projet de déconcentration. »

L’outil de collaboration validé, il s’agit maintenant de former les agents à son utilisation. Car la mise en place de ce nouvel outil nécessite un apprentissage et l’acquisition de nouvelles compétences. Pour cela, la directrice solutions numériques va investir près 60 000 euros pour s’adjoindre les services d’un cabinet de conseil, chargé de l’accompagner dans l’élaboration de la conduite du changement, notamment dans l’ingénierie de formation.

Ce dernier propose de faire découvrir l’usage de l’outil collaboratif d’une façon interactive et pédagogique grâce à un « serious game ». Dix « éclaireurs » des services départermentaux, représentants les différents métiers du conseil départemental, sont formés. Puis l’application en ligne est publiée sur l’intranet pendant quinze jours et les agents peuvent évaluer, le temps du jeu, leurs connaissances en matière de collaboration.

Ils sont ensuite orientés vers un niveau de formation en fonction de leurs réponses : initiation, intermédiaire ou avancée. « À notre grande surprise, la formation initiation a connu un vrai succès, car les agents avaient besoin qu’on leur explique l’intérêt de l’usage d’un espace collaboratif », précise Safia D’Ziri.

À noter que la participation aux formations est totalement volontaire, ce qui explique sans doute son succès. Ainsi, 600 agents se prêtent au jeu dès septembre 2013, 500 sont formés en février 2014, puis 1 600 en août de la même année. « Le bouche à l’oreille, la curiosité et la diffusion d’informations, via un blog, un Q&A, et sept didacticiels, ont contribué au succès de cette opération », explique Safia D’Ziri.

Elle tient à préciser que l’objectif n’est pas de former la totalité des agents, mais d’encourager la pratique de nouveaux usages. Car, si certains agents sont éloignés du monde numérique, 30 d’entre eux endossent le rôle de référents numériques. Agissant comme de véritables bêta-testeurs, ils permettent notamment de faire évoluer la solution. Et leur rôle ne s’arrête pas là, argumente Safia D’Ziri. « Ils gèrent la création des espaces collaboratifs et servent de support de proximité pour les collègues. »

Une appropriation rapide

Le conseil départemental de Loire-Atlantique déploie finalement trois types d’espaces collaboratifs : pour le support à la gestion de projet, l’animation des équipes et le partage de pratiques métiers, accessibles depuis les postes de travail. Les retours s’avèrent satisfaisants, les utilisateurs appréciant les différentes fonctionnalités. Safia D’Ziri cite comme exemple un chef de projet qui anime la vie de son équipe de 50 personnes en se connectant pour échanger sur les projets en cours ou les procédures en vigueur.

Autre exemple, celui du groupe des assistantes et secrétaires qui, désormais, partage des référentiels et des pratiques sur leur métier. Elle évoque, enfin, un usage « particulier et surprenant », avec la mise en place d’une plateforme collaborative d’aide au déménagement des 500 agents des services départementaux. Le groupe responsable de ce projet va développer un espace collaboratif dont l’objectif sera de raconter l’histoire du bâtiment, d’informer de l’avancement des travaux, de gérer la logistique, etc.

« Cette approche a permis aux agents de s’approprier leur futur lieu de travail et, ainsi, de réduire leur appréhension face à ce déménagement. » Safia D’Ziri reconnait que les agents se sont facilement appropriés cet outil, mis en œuvre graduellement, et que la réussite des premières expériences a largement favorisé le déploiement des autres métiers.

Côté résultat, les équipes sont plus productives, les échanges simplifiés, la sécurité des données est optimisée et le suivi des avancées des projets se fait en temps réel. « Il serait impossible de revenir en arrière. Les espaces collaboratifs sont devenus une brique majeure de notre SI », rapporte Safia D’Ziri. En deux ans, 450 espaces collaboratifs se sont développés, dont 55 % dédiés aux communautés de pratiques, 29 % aux projets et 16 % à l’animation d’équipe, avec des durées de vie différentes.

Aujourd’hui, 4 500 agents utilisent cette plateforme collaborative, dont 200 quotidiennement et 1 000 agents deux à trois fois par semaine. Sans oublier les 500 partenaires des services départementaux, car la mise en œuvre de cet outil s’est voulue ouverte à l’extérieur dès le démarrage. À noter, cependant, que 1 500 agents ne font aucun usage de l’outil collaboratif.

Côté économie, on reconnait que la mise en place de l’espace collaboratif a supprimé la création de multiples petits outils, réduit les déplacements et le temps passé en réunion et diminué le volume du trafic des messageries. En 2016, Safia D’Ziri entend placer la gestion de la relation usager au cœur de sa stratégie numérique. Même si, comme elle le souligne, aucune demande n’a été émise par les métiers. Mais elle veut poursuivre la démarche de développement des services numériques.

Caisse nationale d’allocations familiales : un nouveau service en temps contraint

La Cnaf a mis en place une nouvelle application pour le calcul de la prime d’activité : un simulateur permettant, via une saisie simplifiée, de vérifier l’éligibilité et d’obtenir le montant du droit sur la base d’informations concernant les bénéficiaires, potentiellement sept millions de personnes. Née de la fusion RSA activité/prime pour l’emploi, la prime d’activité est une aide financière visant à encourager l’activité et à soutenir le pouvoir d’achat de travailleurs aux ressources modestes.

Calculée sur la base d’une déclaration trimestrielle, son versement tient compte des ressources de l’ensemble des membres du foyer. Elle est versée par le réseau des CAF (branche famille) et par la MSA (Mutualité sociale agricole) pour les allocataires relevant du régime agricole.

« Il s’agissait de fusionner le RSA activité et la prime pour l’emploi, avec un raccourcissement des délais de traitement et le zéro papier », précise Joël Jouan, directeur de programme prime d’activité à la DSI de la Cnaf. « L’enjeu de ce projet consistait à simplifier la vie des usagers, à réduire le délai de traitement des dossiers et à se diriger vers le « zéro papier », tout en simplifiant les processus informatiques. Ce projet était complexe dans sa mise en œuvre, car il devait prendre en compte les exigences du service public, les impératifs de la CNIL et surtout les besoins de nos utilisateurs. »

Un calendrier contraint

Le calendrier était particulièrement serré, nécessitant une solution progicielle déployée selon une approche fortement agile. De plus, le cadre réglementaire n’était pas stabilisé en début de projet dans la mesure où les discussions au Parlement se poursuivaient. Le 15 septembre 2015, l’institution dispose enfin des décrets d’application et peut intégrer les spécificités au projet. Début novembre, le simulateur bascule en production et est inauguré le 22 décembre. La gestion de la prime d’activité est désormais 100 % en ligne et plus de 7 millions de simulations ont été effectuées en un mois, avec des pics de plus de 600 000 sur une journée.

L’application repose sur une solution SaaS principale (OPA Cloud Service) et sur Oracle Database Cloud Service. « Avec Oracle Cloud, nous avons pu mettre en place le nouveau service, dans un temps très court, dans une période de forte charge pour les caisses d’allocations familiales et sans désorganiser les autres services », assure Julien Orlandini, directeur adjoint du réseau à la Cnaf.

Une saisie simple permet à l’allocataire de vérifier l’éligibilité et d’obtenir le montant du droit. Les écrans s’affichent automatiquement au bon format sur les smartphones ou les tablettes. Pour les usagers préinscrits, leurs données, conservées dans Oracle Database Cloud, ont permis de les relancer automatiquement une fois la prime d’activité initiée en janvier 2016.

L’exercice n’était pas aisé, notamment pour maîtriser les risques métiers. Surtout si l’on effectue un parallèle avec un autre dispositif, le RSA, également géré par les CAF, mais dont le lancement avait été considéré comme un échec, pour trois raisons principales : d’abord, le dispositif est complexe, avec des déclarations papier peu faciles à compléter. Ensuite, les CAF ont été rapidement submergées par les volumes de papier et d’allocataires. Enfin, le RSA a fait l’objet d’une « publicité » insuffisante, ce qui s’est traduit par un taux de non recours particulièrement élevé, pas moins de 68 % pour le RSA activité.

Progiciel et mode agile : les ingrédients pour tenir les délais

Comment faire pour éviter de se retrouver dans la même situation et réussir à livrer un simulateur en moins de cinq mois (y compris les vacances d’été), en responsive design avec une charte graphique imposée dans un environnement réglementaire non stabilisé ? D’une part, précise Joël Jouan, « il fallait dématérialiser l’ensemble du processus. »

La numérisation apporte ainsi de nombreux avantages : moins de files d’attente, moins de dossiers, moins de déplacements, même si l’ampleur de la montée en charge a forcément généré de la demande. Pour ceux qui n’ont pas accès aux technologies, des rendez-vous peuvent être organisés et des bornes numériques sont mises à disposition.

D’autre part, le cadre réglementaire non stabilisé en début de projet (décrets en septembre 2015 pour une ouverture du service en janvier 2016) et un calendrier de mise en œuvre très serré nécessitaient une solution progicielle déployée selon une approche agile.

La DSI avait plusieurs challenges à adresser : « Sécuriser le paiement de la prestation dans les délais, prendre en compte, dans un temps très court, le multidevices, s’intégrer dans le patrimoine applicatif existant, s’adapter à la demande des usagers et faire de l’application un levier de la transformation organisationnelle de la DSI », résume Joël Jouan.

« Les projets complexes réussis représentent souvent une opportunité pour resserrer les liens à tous les niveaux », confirme Annie Prévot, DSI de la Cnaf : « Le projet a permis de redorer l’image de la DSI auprès du directeur général qui s’est positionné comme un sponsor fort du projet, mais également auprès de nos utilisateurs et des directions métiers. Appréhendée comme une difficulté potentielle, la collaboration entre la DSI et les directions métiers a finalement été la clé de voûte de la réussite du projet », affirme Annie Prévot.

Les priorités des DSI (2015)
Priorités Finance Industrie Distribution Secteur public Services
Performance 32 % 58 % 63 % 43 % 43 %
Innovation 50 % 41 % 44 % 48 % 45 %
Clients 53 % 43 % 52 % 26 % 49 %
Coûts 37 % 50 % 43 % 65 % 39 %
Croissance 42 % 48 % 56 % 7 % 55 %
Source : Deloitte.

 

Quinze exemples de projet de réduction coûts/optimisation de processus/redesign de services dans le secteur public
Domaine Organisation Projet Solutions retenues
Réduction
de
coûts
France Télévisions Réseau à très haut débit pour ses échanges de données et vidéos entre ses 120 sites en métropole Orange Business services
Ville de Lyon Infrastructure applicative virtualisée pour les établissements scolaires Clients légers Dell Wyse
Ville d’Issy les Moulineaux Rationalisation du parc de serveurs et des capacités de stockage SimpliVity
RATP Renouvellement des infrastructures de transmission du système vidéo et migration des services de télécommunications Alcatel-Lucent – Cofely-Ineo et Bull
Nîmes Métropole Refonte de l’architecture de communication Artelcom
Conseil départemental des Alpes-Maritimes Réduction des consommations d’énergie du patrimoine immobilier Ubigreen
Optimisation
de
processus
Inserm Dématérialisation de 500 000 certificats de décès Jouve
Académie de Versailles Amélioration de la qualité du service desk, avec un guichet unique EasyVista
Régime Social des Indépendants (RSI) Gestion des flux financiers pour 30 établissements et 130 utilisateurs Elcimaï Financial Software
Caisse des Français à l’étranger Dématérialisation des flux entrants Tessi
Redesign
de
services
Grand Lyon Version mobile de l’intranet Exakis, Microsoft Sharepoint
La Poste Déploiement des applications mobiles du programme Facteo (smartphone du facteur) Octo Technology
CNED Accès à des supports de cours dématérialisés sur tablettes et smartphones Jouve
CCI Nantes Saint-Nazaire Nouveau portail pour les entreprises SQLI
Mégalis Bretagne Rénovation de la plateforme régionale de services d’administration numérique Numergy
Source : Base de contrats Digitalonomics.