Le point de vente, maillon faible du système d’information

Les points de ventes constituent autant de zones de friction entre le système d’information et le client final. La qualité et l’étendue des services, la finesse de la personnalisation, ainsi que la fluidité du parcours, participent à l’expérience client.

Les DSI peuvent le regretter, mais ils doivent « faire avec » : les systèmes d’information sont de plus en plus poreux. D’abord en interne, avec les multiples interactions des collaborateurs avec l’extérieur, renforcées lorsque le BYOD est institutionnalisé. Ensuite, avec l’écosystème de partenaires et de fournisseurs. Enfin, avec les clients, surtout lorsque le multicanal essaime les points d’entrée possibles.

Si l’on reprend la grille d’analyse Best Practices des missions de la DSI, le carré en haut à droite a été historiquement le plus négligé (voir schéma page 3). En effet, tant la gestion interne de la DSI que les relations avec les métiers et les fournisseurs se sont, avec le temps, professionnalisées et le niveau de maturité des DSI, dans ces domaines, est relativement bon.

En revanche, la partie du système d’information directement en contact avec le client final se caractérise par des marges de manœuvre significatives. On le voit, par exemple, avec la gestion de la chaîne logistique. L’enquête menée par Generix, fin 2015, a révélé que 62 % des entreprises ont encore besoin d’améliorer leurs performances dans ce domaine et d’accroître la satisfaction du client final.

Éviter la fuite des consommateurs

Ce qui pouvait paraître, il y encore peu, comme un chantier secondaire, est aujourd’hui vital : selon l’Observatoire des usages Internet de Mediamétrie, 34,7 millions d’internautes français ont effectué un achat sur Internet au second trimestre 2015, soit 628 000 de plus qu’un an plus tôt, autant d’achats qui déclenchent des flux logistiques.

D’autre part, les consommateurs sont de plus en plus sensibles à leur expérience client : une dégradation, due, par exemple, à des performances insuffisantes d’un site Web ou à des dysfonctionnements dans la chaîne logistique de livraison des biens achetés en ligne, se traduit par une fuite des consommateurs vers la concurrence.

Selon une étude IBM, 83 milliards de dollars seraient perdus chaque année aux États-Unis en raison d’expériences clients défaillantes, en particulier du fait du manque de cohérence entre les différents canaux de vente.

Heureusement, la transformation numérique de la chaîne logistique progresse : selon une étude Cap Gemini Consulting, Infor et GT Nexus, 70 % des entreprises ont entamé une transformation numérique de leur supply chain. Même si seulement 5 % des dirigeants se déclarent très satisfaits des résultats obtenus, cela va dans le bon sens.

Outre la logistique, la pierre d’achoppement des entreprises réside dans les points de vente. Selon Forrester, 53 % des points de vente en Europe seront numériques en 2020. Sur ce terrain, l’enjeu est double : d’une part, capitaliser sur les données disponibles, et elles sont nombreuses à être sous-exploitées, voire pas du tout. D’autre part, faciliter l’expérience client.

Cela passe par du service (accès Internet), les équipements des vendeurs (tablettes, catalogues virtuels, interface temps réel avec les stocks), de la personnalisation (gestion des programmes de fidélité) et de l’innovation (paiement sans contact, essayage virtuel…). Sans oublier le fameux multicanal : selon la même étude, 45 % des ventes en magasins seront directement influencées par le Web à l’horizon 2020.

Le SI et les points de vente : les évolutions pour les missions des DSI

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Source : Digitalonomics.

Le retard de la grande distribution

Historiquement, les groupes de la grande distribution ont négligé les investissements en technologies de l’information. C’est encore le cas aujourd’hui : les études de benchmarking des budgets IT par rapport au chiffre d’affaires indiquent que la grande distribution se situe entre 2 et 3 %, moitié moins que la moyenne des entreprises. C

ertes, dans ce secteur, les chiffres d’affaires se comptent en milliards et quelques pourcentages représentent déjà des sommes significatives, mais on peut anticiper que la grande distribution gagnera en moyenne un demi-point au cours des trois prochaines années. Même les groupes du luxe, plutôt sensibilisés à l’expérience client, sont très inégaux face à la transformation numérique des points de vente. Une étude ContactLab-Exane BNP Paribas, sur l’intégration des réseaux physiques et du numérique par les marques du luxe, constate des écarts importants entre les différents acteurs.

Une vingtaine de paramètres ont été étudiés pour mesurer l’intégration numérique et physique des boutiques, avec trois niveaux de maturité : basique (la technologie existe en boutique), développé (les clients numériques sont reconnus en boutique) ou avancé (le numérique est mis à profit pour tirer le meilleur du trafic en boutique). Résultats : Ralph Lauren, Bergdorf Goodman, Burberry et Louis Vuitton se détachent nettement par rapport à Dior, Chanel, Dolce&Gabbana ou Saint-Laurent, très en retrait.

Pour les DSI, s’intéresser de près aux points de vente va devenir incontournable pour au moins trois raisons :

  • C’est une zone à risque car les points de vente sont des zones de « collision » (heureuse ou malheureuse) entre le système d’information et le client final. Elle expose le DSI en cas de non qualité, mais elle peut aussi constituer un tremplin pour démontrer la valeur du système d’information.
  • C’est un terrain d’expérimentation pour l’innovation technologique et dans les usages. D’autant que de nombreuses start-up se positionnent sur des fonctionnalités B2C, centrées sur l’amélioration de l’expérience client.
  • La transformation numérique passe nécessairement par les points de vente. Si, dans l’entreprise, le discours sur ce sujet reste théorique, nul doute qu’à court terme, il intégrera les aspects opérationnels, dont la modernisation des points de vente. Les DSI ont une carte à jouer en étant proactifs et apporteurs d’idées.

Si ce chantier s’impose, il se traduira par des changements dans les quatre domaines d’actions de la DSI :

  • La gestion interne de la DSI : les équipes devront modifier leurs modes de travail et de collaboration avec les métiers si le temps réel devient une composante importante des applications.
  • Les relations avec les métiers : les modes de gestion de projet se trouveront transformés, avec une agilité accrue et davantage de projets pilotes, de même que la collaboration avec les équipes commerciales et marketing.
  • Les relations avec les clients finaux : la DSI devra faire preuve de davantage de réactivité et d’une bonne compréhension des ressorts de l’expérience client.
  • Les relations avec les fournisseurs : il s’agira d’accentuer la veille pour repérer les technologies, les expériences et les start-up potentiellement créatrices de valeur pour le réseau de points de vente.
Les enjeux de la transformation des points de vente
 Enjeux  Pourquoi ?  Comment ?
Performance du site Web  Éviter que le client ne fuit vers la concurrence  Outils de monitoring
 Performance de la chaîne logistique  Consolider l’expérience client  Analyse temps réel
 Performance du SI marketing/commercial  Fidéliser avec des actions personnalisées  CRM, bases de données clients
 Performance du SI point de vente  Éviter que le client sorte du magasin sans rien acheter  Catalogue virtuel, paiement sans contact…
Source : Best Practices Systèmes d’Information.

L’exemple du groupe Eram : le paiement en mobilité dans les magasins

Afin de proposer aux clients une expérience fluide et « sans couture » au moment du paiement, le groupe Eram a décidé de tester l’usage de terminaux de paiement mobiles dans ses magasins.

Faire converger le paiement de proximité en boutique avec les processus de paiement du Web, tel est l’objectif d’un projet pilote mené par le groupe de mode Eram. « L’enjeu est, notamment, de pouvoir proposer dans nos magasins l’accès à une gamme plus étendue de nos produits : si le client souhaite un colori ou une pointure qui n’est pas disponible en boutique, mais qui l’est en stock, le vendeur peut lui présenter l’article sur la tablette et réaliser tout le processus d’achat directement sur la tablette, sans passer par les caisses », illustre Dominique Burban, directeur des services et de la monétique au sein de la DSIO du groupe Eram.

Il y a quelques années, le groupe avait testé la mise en place de bornes Internet dans les magasins, mais cela ne répondait ni aux attentes des clients ni aux pratiques des vendeurs. « Nos enseignes souhaitaient, depuis plusieurs années, pouvoir conclure des ventes sur tablettes, mais, jusqu’à présent, le paiement était la partie limitante », explique Dominique Burban.

En effet, « la réglementation n’autorise pas la saisie de données bancaires directement sur tablette ; de plus, le processus est long et peu sécurisant pour le client (aucune confidentialité). » Une solution proposée par Lyra Network, le boîtier de paiement mobile Payzen mPOS, a permis de fournir la brique manquante et de lancer une nouvelle expérimentation.

Concrètement, il s’agit d’un petit terminal de paiement mobile : sans imprimante, il est plus léger qu’un terminal classique, mais offre le même niveau de sécurité que celui-ci. Après une phase de développement avec son fournisseur, le groupe Eram a équipé les vendeurs de quelques sites pilotes avec cette solution, couplée à des terminaux mobiles de type tablettes et smartphones.

Depuis ces derniers, les vendeurs peuvent accéder au catalogue, vérifier la disponibilité d’un article dans le stock central et passer commande pour un client, dans une optique Store-to-Web. Le système Payzen communique, par Bluetooth ou Wi-Fi, avec l’application de vente installée sur les tablettes et smartphones, afin de récupérer les données liées à la transaction. Pour payer, il suffit au client d’introduire sa carte bancaire et de saisir son code. « Une fois le paiement validé, la commande est déclenchée, elle peut être livrée selon le choix du client, en magasin ou à son domicile », décrit Dominique Burban. Le ticket de caisse est, quant à lui, envoyé au client par mail ou par SMS.

Au niveau du système d’information du groupe, c’est le processus de paiement mis en place pour le site Web qui s’enclenche. « Le débit s’effectue au moment où le produit est expédié. En cas d’indisponibilité totale ou partielle des produits commandés, le client peut être remboursé ou débité du montant correspondant à ce qui lui est livré », précise Dominique Burban.

Pour trouver une banque acceptant de l’accompagner sur ce projet, le groupe a réalisé au préalable plusieurs cas d’usages, qui ont été présentés au GIE Cartes Bancaires. « Il faut trouver l’équilibre entre une sécurité efficace et une expérience client facilitée », souligne Dominique Burban. « Le boîtier ne remplace pas une caisse complète, mais il permet de répondre à certaines situations de vente spécifiques. »

A l’heure actuelle, le projet est encore en phase pilote, afin de tester l’appétence des vendeurs et des clients pour cette nouvelle solution. Il a d’ores et déjà reçu un accueil positif de la part des vendeurs, qui le perçoivent comme une aide à la vente et apprécient de contribuer à cette expérimentation. « Il faut néanmoins rester attentifs : il reste beaucoup à faire dans ce domaine, y compris en matière de réglementation bancaire », prévient Dominique Burban.

La DSIO du groupe réfléchit actuellement à d’autres façons d’apporter une souplesse dans le paiement, notamment dans le sens Web-to-Store. « La digitalisation des points de vente est un beau concept, mais pour le moment il existe peu d’expériences durables en magasin. Dans notre secteur, des contraintes comme les antivols freinent le déploiement de caisses en libre accès. La RFID va permettre de proposer des solutions, mais les processus se doivent d’être développés progressivement », estime Dominique Burban.


Nos recommandations

  • Identifier tous les points de contacts entre le système d’information et le client final.
  • Tester la charge des sites Web et suivre les indicateurs clés (taux de conversion, taux d’échecs par action, temps de réponse…).
  • Évaluer l’impact des principales actions génératrices de revenus qui utilisent le système d’information.
  • Pratiquer la veille sur les technologies utilisables dans les points de vente.
  • Étudier les usages d’autres entreprises du même secteur, mais aussi d’autres secteurs.
  • Identifier les processus pour lesquels il est pertinent et possible d’intégrer le temps réel.