Le niveau de maturité du prestataire et de son client constituent des facteurs déterminant la réussite d’une transformation du modèle de sourcing vers davantage d’externalisation. Plusieurs configurations sont possibles. Dans la politique de sourcing, l’externalisation figure en bonne place, comme un scénario crédible.
Il répond à de multiples besoins de transformation, qu’il s’agisse d’accompagner une nouvelle stratégie, de rendre l’organisation plus agile ou, plus basiquement, de réduire les coûts (voir tableau ci-dessous). « Véritable nerf de la guerre, la réduction des coûts est souvent, à tort ou à raison, la première motivation qui pousse les entreprises à externaliser, qu’il s’agisse de mieux affecter sa capacité d’investissement ou de réduire l’engagement financier », souligne Pierre Moulin, senior manager chez Rhapsodies Conseil au sein du pôle sourcing & performance économique. Ce point central est souvent le parent pauvre des réflexions sur l’externalisation, chaque partie prenante estimant que les réductions de coûts seront obtenues naturellement. Mais ce n’est pas toujours le cas : selon les analyses du cabinet américain Computer Economics, réalisées en 2015 auprès de 132 entreprises, 58 % des contrats d’outsourcing entraînent une augmentation des coûts. Dans 25 % des entreprises, les coûts restent stables et diminuent dans 17 % des cas. Côté qualité de service, celle-ci se dégrade dans un tiers des cas, reste stable dans 42 % et s’améliore pour 25 % des entreprises.
Mais l’externalisation est de plus en plus utilisée par les entreprises : selon l’Outsourcing Index publié par ISG (Information Services Group) et qui évalue les contrats d’externalisation d’une valeur supérieure à quatre millions d’euros, la valeur annuelle des contrats d’infogérance, en Europe, a augmenté de 20 % au cours du premier trimestre 2016, par rapport à l’année précédente et le nombre de contrats de 32 % pendant la même période. « Les contrats de restructuration ont dynamisé le marché dans la zone EMEA, avec une valeur annuelle en hausse de 115 % et une progression de 91 % du nombre de contrats », soulignent les auteurs de l’étude ISG.
« Transformer n’est pas qu’une simple affaire d’appels d’offres », prévient Jean-Michel Goubert. Selon lui, il convient de se focaliser sur trois points d’attention : le niveau de maturité de l’entreprise vis-à-vis d’un modèle de sourcing, le degré d’incitation du prestataire à proposer des améliorations et des innovations et le degré de maturité du capacity planning.
Concernant l’évaluation du niveau de maturité de l’entreprise, trois approches sont recommandées par Jean-Michel Goubert : réaliser un audit flash, pendant une dizaine de jours, pour évaluer les forces et les faiblesses sur les activités liées au sourcing, définir deux ou trois scénarios de sourcing, avec les prérequis opérationnels à traiter (rétro-documentation, recrutement, conduite du changement…) et, enfin, établir un plan de convergence pour piloter le projet de transformation.
Inciter le prestataire à être proactif
Comment inciter le prestataire à être proactif et à proposer régulièrement des améliorations ? Pour Jean-Michel Goubert, il faut utiliser quatre leviers. Sur le plan contractuel, il est utile de définir des obligations de résultats sur l’amélioration et l’innovation, « par exemple, avec une baisse des prix pluriannuelle convenue dès le départ, l’amélioration continue de certains indicateurs, notamment la satisfaction des utilisateurs et la baisse des volumétries, et des clauses d’audit ou de benchmarking, assorties d’une obligation de remise à niveau », précise Jean-Michel Goubert. Le deuxième levier concerne l’innovation, par exemple avec la possibilité, pour l’entreprise, d’accéder aux moyens du prestataire, une réelle démarche d’innovation, préparée dans la durée avec les métiers, et sa formalisation au sein d’un comité d’innovation. Troisième levier : les contraintes d’environnement. « Il s’agit de précariser la position du prestataire, avec des remises en concurrence, avec des contrats courts et une approche multisourcing, avec de vrais challengers », conseille Jean-Michel Goubert. Enfin, le quatrième levier porte sur des mécanismes incitatifs, de manière à réduire les freins financiers à l’amélioration : « Il s’agit de développer une culture métier au sein de la DSI, par exemple avec des bonus liés aux projets selon le retour sur investissement. »
Quant au degré de maturité du capacity planning, il est lié à quatre éléments : la proximité métier (pour la gestion du changement), les processus (d’engagement, de planification, de budgétisation), l’outillage et les instances de pilotage (suivi des volumes, mises en production, roadmap des projets, changements majeurs…). « Il est crucial de déployer des instances de pilotage à plusieurs niveaux : des roadmaps projets trimestriels pour réactualiser la vision des besoins et des points mensuels de visibilité opérationnelle selon le type de service », recommande Jean-Michel Goubert.
Quatre configurations possibles
Cette question de l’alignement entre les niveaux de maturité respectifs des entreprises et de leurs prestataires est fondamentale, car c’est elle qui peut faire échouer ou réussir toute tentative de transformation du modèle de sourcing.
Selon les différences ou, au contraire, les similitudes, on peut en déduire quatre situations types :
- Lorsque les niveaux de maturité de l’entreprise et de ses prestataires sont alignés et élevés, ils se trouvent dans une logique vertueuse de partenariat à long terme, chacun ayant compris et intégré les intérêts de l’autre, avec une culture service des deux côtés, une volonté d’amélioration continue et une envie de capitaliser sur les ruptures technologiques pour améliorer la performance du SI.
- A l’inverse, lorsque les niveaux de maturité sont relativement bas des deux côtés, la logique industrielle prévaut, c’est-à-dire une focalisation sur la réduction des coûts, qui est rarement compatible avec des velléités d’innovation ou d’amélioration continue. C’est une pure relation client-fournisseur qui domine, dans tous ses aspects (contractuels, opérationnels, humains, financiers…).
- Lorsque le niveau de maturité du prestataire est élevé et que celui de l’entreprise est faible, tout dépend de leurs attitudes respectives : s’ils sont conscients que l’amélioration est nécessaire, il y aura des opportunités d’innovation, le prestataire étant moteur vis-à-vis de son client. Sinon, la situation restera bancale, avec le risque de basculer dans la situation « erreur de casting ».
- Lorsque le niveau de maturité du prestataire est faible et que celle de l’entreprise est élevée, on se trouve dans une configuration de type « erreur de casting ». On peut d’ailleurs se demander à qui incombe la responsabilité : probablement à ceux qui, dans l’entreprise, auront sélectionné un prestataire sans en vérifier les compétences, les expertises et la capacité d’accompagnement.
Ces quatre configurations types peuvent, bien sûr, se combiner, de sorte que les scénarios possibles sont beaucoup plus nombreux, surtout si l’on intègre la diversité des motivations du recours à l’infogérance. Dans tous les cas, on ne peut que recommander un accompagnement externe pour limiter les risques.
Deux exemples illustrent cette maîtrise des risques et de la transformation. D’une part, Solvay, qui s’est engagé dans une démarche de réduction du nombre de ses prestataires et, d’autre part, Dassault Aviation, qui a besoin de valoriser son patrimoine applicatif.
Externalisation : les quatre situations selon les niveaux de maturité
Source : Digitalonomics.
Solvay : réduire le nombre de prestataires géographiquement dispersés
Le groupe chimique Solvay, qui a absorbé le français Rhodia en 2011, a initié son projet Slalom pour l’application management et l’application développement. Cette initiative vise à optimiser les coûts, renforcer les expertises clés et la qualité de service et simplifier la gouvernance. Il s’agit également d’industrialiser davantage, par exemple avec un support 24/24, des équipes flexibles, des processus standards et documentés. Le périmètre concerné était géographiquement dispersé avec un prestataire au Brésil (pour SAP, la TMA Web et les solutions Documentum), au Portugal (pour SAP), au Maroc (pour les solutions WebMethods), l’assistance à maîtrise d’ouvrage et le Front Office étant gérés en Europe. Le groupe a fait évoluer cette configuration vers davantage d’offshore, accompagné par CapGemini en Inde (Bangalore et Calcutta).
« De moins de 80 % en offshore, nous sommes passés aujourd’hui à 85 % et l’objectif est d’atteindre les 90 % », précise Christophe Pariset, technology manager chez Solvay, qui est intervenu sur ce thème lors d’une conférence organisée par le cabinet Rhapsodies Conseil. Le fait d’avoir un seul prestataire pour les environnements SAP a permis de réduire le nombre de collaborateurs (de 58 à 36). « Les gains ont atteints 30 % », estime Christophe Pariset. Cette transformation s’est également accompagnée d’une évolution du modèle d’engagement avec le prestataire de services : « Nous avons systématisé l’engagement de résultats, ce que nous n’avions pas auparavant, avec des SLA, des pénalités et des engagements multitechnologies », ajoute Christophe Pariset, qui assure « avoir trouvé en Inde des compétences que nous n’avions pas, avec globalement une amélioration de la qualité et du degré d’automatisation. » Pour les environnements SAP, c’est en revanche plus difficile : « Nous disposons d’une centaine de designers au niveau mondial, issus de Solvay et de Rhodia, et tous n’ont pas les mêmes manières de travailler, ni la même culture, il nous faut développer une vraie culture de type « One Team »», souligne Christophe Pariset. À cela s’ajoute le fait que les spécifications évoluent régulièrement et que « Calcutta, là où sont centralisés les développements SAP, c’est quand même loin… »
Dassault Aviation : pérenniser le patrimoine applicatif
« Notre système d’information est très morcelé, c’est le résultat du poids du passé, et son homogénéisation constitue l’un des enjeux de la transformation, car nous devons entretenir notre patrimoine applicatif », explique Guillaume Tran Thanh, responsable des développements logiciels chez Dassault Aviation. Le groupe dispose d’environ 850 applications, « dont la moitié ont plus de dix ans et un quart sont récentes », précise-t-il. Dassault Aviation a lancé un programme, baptisé Talisman, dont l’ambition, selon le responsable des développements logiciels, est « de construire une vision applicative urbanisée du système d’information, de maîtriser la diversité technologique, les coûts de maintenance et les compétences avec l’aide d’un partenaire en sous-traitance. » Le projet Talisman cible quatre domaines, avec un périmètre initial de 330 applications : l’expertise (gestion de projet, technologies discriminantes), le modèle de service (agilité, amélioration continue, gestion des connaissances), la capacité d’engagement du prestataire (périmètre de responsabilités, compétences internes, SLA) et la performance économique (diminution des charges récurrentes et des risques financiers, prédictibilité des coûts). Le principe a été, d’une part, de créer un centre de services multitechnologies, à Aix-en-Provence, sous l’égide du prestataire (Sopra Steria). D’autre part, côté Dassault Aviation, d’harmoniser l’outillage, de faire converger les processus et de créer une « usine logicielle ». « Le retour sur investissement est atteint en année 2, avec une baisse des coûts de 30 %, puis de 4 à 6 % les années suivantes », précise Guillaume Tran Thanh.
La transformation du modèle de relation et d’engagement avec le prestataire s’est matérialisée de trois manières. D’abord, par l’amélioration continue, via des SLA, des pénalités associées et la mise en place de comités d’amélioration continue. Ensuite, précise Guillaume Tran Thanh, par « un partage des gains obtenus par l’automatisation et le dépassement des objectifs. » Enfin, par un rapprochement avec les métiers, « avec la création d’indicateurs de création de valeur (KVI : key value indicators), des engagements sur la satisfaction des utilisateurs et une gestion dynamique de la demande », résume le responsable des développements logiciels.
Stratégie d’externalisation : dix bonnes pratiques
- Définir des objectifs précis et alignés avec les orientations stratégiques de l’entreprise.
- Prendre en compte les aspirations des collaborateurs.
- Être réaliste sur la capacité d’évolution des collaborateurs.
- Donner une place centrale à la conduite du changement.
- Définir le bon rythme de transformation, tout en démarrant fort.
- Piloter la trajectoire avec une structure dédiée.
- Mettre en place un véritable suivi des gains.
- Établir une stratégie de sourcing « dynamique ».
- Externaliser des activités maîtrisées.
- Anticiper la montée en compétences des internes sur les aspects de pilotage de contrats.
Source : Best Practices Spotlight, n° 2, juin 2014.