Les DSI et les start-up ne peuvent plus, comme par le passé, s’ignorer. Chacun a besoin de l’autre. Reste à organiser au mieux les modes de collaboration et plusieurs approches coexistent. Un second article détaillera les principes pour travailler ensemble.
Ces dernières années ont vu la multiplication des start-up un peu partout dans le monde, y compris en France, avec des initiatives comme la French Tech. S’il est un peu tôt pour se prononcer sur la pérennité de ces entreprises, celles-ci apportent d’ores et déjà une multitude de nouvelles idées et d’approches intéressantes. Par ailleurs, contrairement à ce que certains termes à la mode peuvent faire croire, toutes ne se positionnent pas forcément en nouveaux barbares à la conquête d’un supposé ancien monde. Mieux, les solutions proposées par ces jeunes entrants peuvent souvent bénéficier à des entreprises déjà bien implantées, grands groupes ou PME.
En France, les grandes entreprises l’ont bien compris : « En 2016, toutes les grandes entreprises françaises du CAC 40 ont des partenariats avec les jeunes entreprises », notent ainsi les auteurs d’une étude (1), menée par le cabinet de conseil Bain & Company et la société d’investissements Raise. « Sur la seule année 2015, huit accélérateurs et quatre fonds de Corporate Venture en propre ont été lancés par les entreprises du CAC 40. » Un constat confirmé par une autre étude, réalisée par l’INSEAD (2) : « Quand il s’agit de collaborer, c’est la France et non les Etats-Unis qui affiche le plus haut pourcentage de grands groupes s’engageant avec les start-up : 23 de ses 25 premières entreprises ont mis en place ces partenariats. »
De leur côté, les jeunes entreprises trouvent également leur compte dans ce type de collaboration. Toujours selon Bain & Company et Raise, « une relation avec une grande organisation impacte positivement la croissance de la jeune entreprise dans 93 % des cas. »
Start-up et IT : dans quels domaines ?
Sur le créneau florissant des start-up ciblant les entreprises, les DSI peuvent être amenés à rencontrer deux types de fournisseurs : d’un côté, des start-up qui intègrent une forte composante IT dans leurs solutions, mais qui répondent à des problématiques métier ; de l’autre, des solutions destinées aux métiers de l’IT.Le premier type de start-up se rencontre dans des domaines très divers : logistique, e-learning, finance (les fameuses Fintech), industrie, santé… Le panel des technologies exploitées est lui aussi très vaste, allant de la modélisation 3D aux drones, en passant par les différents capteurs connectés ou le traitement de données. Si ces solutions ne s’adressent pas en premier lieu aux entités IT, la DSI peut participer au processus de sélection et d’évaluation, en validant notamment leur capacité à s’intégrer au système d’information de l’entreprise.
Il arrive également qu’elle dispose en interne de compétences en lien avec les technologies utilisées par ces solutions, comme le Big Data, le cloud ou les réseaux… Lorsque c’est le cas, la DSI peut détacher ces collaborateurs auprès des équipes travaillant sur les projets innovants : leur aide peut être précieuse lors des phases d’évaluation et de réalisation de prototypes (sous réserve que leurs compétences ne soient pas requises pour d’autres projets plus stratégiques).
La seconde catégorie de start-up intéressera plus directement les DSI (lire dans notre prochain numéro), car ces acteurs visent les problématiques auxquelles ils sont régulièrement confrontés : sécurité, amélioration des performances et de la qualité des applications/de l’infrastructure, collaboration, conduite de projet… Malheureusement, pour ces nouveaux acteurs, il n’est pas toujours aisé de se faire connaître des DSI, noyés dans le bruit médiatique actuel et les multiples événements généralistes consacrés au phénomène « start-up ». Inversement, ce n’est pas chose facile pour les DSI que d’identifier de potentielles pépites dans le vaste et remuant marché IT.
Pourquoi les DSI doivent s’intéresser aux start-up ?
Tout comme les start-up ont besoin des DSI pour étoffer, voire initier leurs parcs de clients, les DSI, pour leur part, ont également besoin des start-up. En réalité, ceux-ci se trouvent face à un paradoxe. D’un côté, tout le monde s’accorde pour mettre en exergue les besoins d’innovation et de transformation numérique : les entreprises anticipent d’ailleurs une proportion significative de leurs revenus issus du numérique. Selon les DSI interrogés par Gartner, cette proportion passera de 16 % aujourd’hui à 25 % dans deux ans et à près de 40 % dans cinq ans.
Les directions générales, elles, avancent des proportions supérieures de quatre à sept points. « Les directions générales ont changé parce qu’elles ont compris que les technologies constituent le futur des produits et services des entreprises qu’elles dirigent et que le business numérique va mêler le monde physique et le monde digital », assure Mark Raskino, analyste chez Gartner, pour qui les DG vont davantage s’impliquer et s’intéresser aux actions des DSI.
D’un autre côté, les acteurs du vieux monde high-tech sont de moins en moins capables d’accompagner de manière flexible leurs clients dans des démarches d’innovation. Gartner a publié un classement intéressant (Cf. Best Practices Systèmes d’Information, n° 162, 14 décembre 2015), issu d’une étude dans laquelle il était demandé aux DSI européens de caractériser le positionnement des fournisseurs, selon que ces derniers sont plutôt facilitateurs d’innovation numérique ou, au contraire, inhibiteurs. Sans surprise, on trouve, parmi les facilitateurs, des entreprises dont l’image d’innovatrices est largement partagée (Salesforce, Amazon, Google, Apple…) et, à l’inverse, d’autres perçues comme des inhibitrices, par au moins 15 à 20 % des DSI interrogés, par exemple T-Systems, Oracle, BT, Atos, Lenovo, Dell ou Fujitsu.
Le pire reste les entreprises dont les clients ont du mal à identifier le caractère innovant alors que, en parallèle, leurs discours marketing et communication sont fortement axés sur l’innovation et la transformation. C’est le cas, par exemple, de fournisseurs tels que HP, CGI, IBM, SAP, EMC, CapGemini ou Accenture. On peut craindre que cette incertitude dans le positionnement se traduise aussi par un certain flou dans les performances des solutions. Cela crée une difficulté, notamment pour s’engager avec des fournisseurs stratégiques.
Dans un tel contexte, les start-up ont évidemment un rôle à jouer. En effet, elles bénéficient de trois atouts majeurs. D’abord, leur structure actionnariale est plus simple à gérer que celle des grands éditeurs : le diktat des résultats trimestriels est moins fort, même si les capitaux-risqueurs ont aussi leurs exigences…
Ensuite, les start-up proposent des solutions ciblées et évitent la tentation, comme chez les grands éditeurs, de proposer des solutions qui font tout, avec des coûts très élevés et des contraintes contractuelles trop fortes. Enfin, les entreprises peuvent s’attendre à davantage de flexibilité, absente chez les grands éditeurs, empêtrés dans des processus mondiaux qui paralysent les équipes locales, y compris dans la liberté commerciale et l’adaptation des solutions aux besoins de leurs clients.
De part et d’autre, cela implique une évolution dans les modes de relations : les start-up doivent mieux comprendre comment fonctionnent les DSI, adapter leurs discours et pratiques marketing et les DSI, de leur côté, doivent tisser des liens étroits avec les start-up, de manière à capitaliser au mieux sur les pratiques innovantes.
Si l’engagement des grands groupes auprès des start-up est généralement piloté par les départements en charge de l’innovation et de la stratégie (ou par les directions financières, quand il s’agit d’investir), les opérationnels, dont les DSI, sont les premiers concernés quand le partenariat prend la forme d’une solution à mettre en œuvre. Les DSI peuvent également avoir un rôle à jouer dans certaines formes de collaboration mises en place à l’échelle d’un groupe.
De plus, certaines solutions développées par ces nouveaux acteurs s’adressent aux directions IT. Les DSI peuvent y trouver des réponses à leurs problématiques, des opportunités pour améliorer le fonctionnement du système d’information et accroître sa valeur.
La relation entre les DSI et les start-up peut donc prendre plusieurs formes, selon que la collaboration est mise en place par le groupe ou par la DSI. Dans le premier cas, cette dernière aura plutôt tendance à jouer un rôle d’accompagnant. Dans le second, elle sera le client direct de la start-up. Dans ces deux configurations, quelles sont les différentes formes de collaboration possibles et comment s’y prendre pour travailler avec ces fournisseurs d’un nouveau genre ?
La DSI comme accompagnant
A l’échelle des grands groupes, plusieurs leviers peuvent être actionnés pour s’engager auprès des start-up. L’étude #500Corporations présente en introduction son « couteau-suisse de la collaboration grandes entreprises-start-up », avec les modèles suivants :
- Fusions & acquisitions.
- Investissements financiers.
- Spin-off.
- Accélérateurs et incubateurs.
- Événements (concours, hackathons…).
- Support (RH, technique, marketing…).
- Programmes dédiés aux start-up.
- Espaces de co-working.
Les analystes de Bain & Company et Raise proposent, quant à eux, la typologie suivante, avec trois rôles possibles pour les grandes entreprises :
1. Investisseur :
- Prise de participation directe dans le capital de la jeune entreprise. Exemple : Elior avec Touch and Play, rachat de Wipolo par Accor…
- Via un fond de capital risque. Exemple : Bouygues Immobilier avec BIRD, Total Energy Venture…
2. Partenaire :
- Partenariats commerciaux dédiés (développement d’une offre commune ou relation client/fournisseur). Exemple : partenariats d’Accor avec OnePark, TravelCar…
• Incubateurs, accélérateurs, labs… Exemples : BNP-Paribas, Allianz, « Usine 4.0 » de Total…
3. Parrain :
- Événements, concours (hackathons, prix…). Exemple : le Global Fintech Challenge avec le groupe BPCE et Covéa comme partenaires ; le hackathon des Échos…
- Transition vers l’entreprenariat, essaimage. Exemple : Pivotal, spin-off d’EMC.
- Fondations, mécénat. Exemple : fondation Cegid, Covéa Next…
Initiatives RH comme le tutorat : Exemple : programme Virgin Startup, mentoring et coaching par des experts chez Engie… A l’échelle d’une DSI, la plupart de ces leviers sont difficiles à actionner. Néanmoins, quand elle appartient à un groupe qui met en œuvre de telles approches, elle peut s’impliquer dans certaines d’entre elles, notamment lorsque la démarche cible des start-up technologiques.
Un rôle de fournisseur de plateforme
Le type de collaboration dans lequel la DSI est la plus légitime est peut-être l’accompagnement technique, intéressant à proposer pour les groupes qui souhaitent créer un écosystème autour de leurs solutions. Dans ce cas, les start-up sélectionnées ont, bien souvent, besoin de s’appuyer sur le système d’information du groupe, qu’il s’agisse d’exploiter des données (projets de type Big Data), d’en remonter à travers des objets connectés (projets autour de l’Internet des objets) ou de bâtir de nouveaux services (mobilité, cloud…).
La DSI est alors sollicitée pour fournir des connecteurs ou des API (interfaces de programmation) permettant à des tiers d’interagir avec le système d’information. De la même manière, la DSI peut accompagner la mise en place de concours de type « hackathons », là encore en fournissant le support technique nécessaire pour la durée de l’événement. Si ces concours débouchent sur des propositions intéressantes, la DSI pourra ensuite accompagner les lauréats dans l’élaboration d’une vraie solution, en partageant avec eux son expertise du métier et ses compétences techniques. •
(1) David avec Goliath, étude Bain & Company-Raise, mars 2016.
(2) #500Corporations, How do the world’s biggest companies deal with the start-up revolution? Etude INSEAD de Arnaud Bonzom et Serguei Netessine, février 2016.
Acheter des solutions aux start-up quand on est DSI : dix recommandations
- Organiser une veille active sur les start-up et leurs solutions.
- Collaborer avec la direction juridique pour simplifier les conditions contractuelles.
- Nouer des relations avec les incubateurs ou créer un incubateur interne.
- Raccourcir les cycles de décision.
- Capitaliser sur les retours d’expérience des premiers clients, s’il y en a.
- Réaliser un proof of concept pour valider la pertinence de la solution.
- Sensibiliser la direction des achats sur le référencement des start-up.
- Éviter de se disperser et rester concentré sur les besoins stratégiques.
- Organiser régulièrement des « hackathons » sur des thématiques spécifiques.
- Développer l’esprit start-up parmi le management intermédiaire, par exemple avec des stages d’immersion.
Source : IT Business Review , n° 8, janvier 2016.
Vendre aux DSI quand on est patron de start-up : dix recommandations
- Orienter l’approche marketing pour mettre en évidence les bénéfices métiers.
- S’informer sur les pratiques d’achats et les procédures internes.
- Intégrer la notion de temps dans les cycles de décision, souvent très longs.
- Cibler les entreprises potentiellement intéressées et éviter de communiquer tous azimuts.
- Créer du contenu pertinent pour attirer l’attention.
- Disposer d’un site Web en français, avec une vraie page contact.
- Sponsoriser ou participer à des événements pour rencontrer les DSI.
- Adapter la communication aux cibles B2B (les DSI s’intéressent moins à la taille des levées de fonds qu’aux bénéfices concrets des solutions).
- Rassurer sur la pérennité de l’entreprise.
- Mettre en exergue les expériences et le savoir-faire des fondateurs et des équipes de la start-up.
Source : IT Business Review , n° 8, janvier 2016.
Où trouver des start-up pertinentes ?
Identifier des start-up prometteuses, notamment dans le domaine IT, n’est pas une mince affaire. Comment peuvent s’y prendre les DSI pour réaliser une veille technologique axée sur les start-up intéressantes dans leurs domaines ? Hormis la voie classique des médias spécialisés, voici quelques pistes possibles, avec leurs avantages et leurs inconvénients :
1. Les concours
Les + : il existe de nombreux concours et prix destinés à récompenser de jeunes entreprises innovantes et à leur apporter davantage de visibilité. Quelques-uns ciblent les start-up du marché IT, comme les Trophées du CRiP. Certaines start-up IT peuvent également être distinguées lors de concours plus généralistes : c’est le cas par exemple de Pradeo (sécurité des smartphones), lauréate de plusieurs concours dont Tremplin Entreprises (co-organisé par le Sénat et l’ESSEC) et i-Lab (ministère de la Recherche).
Les – : il est difficile de s’y retrouver parmi tous ces concours, chaque structure lançant le sien ou presque. En outre, les concours généralistes prévoient rarement une catégorie IT, comme en témoigne par exemple la compétition Hello Tomorrow, avec dix thèmes plutôt axés métier (sauf peut-être le thème data). Mieux vaut donc regarder en priorité les concours organisés par des associations ou des organisations du monde IT.
2. Les fonds d’investissement spécialisés
Les + : les fonds de capital-risque accompagnent souvent des entreprises ayant déjà bien avancé dans l’élaboration de leurs solutions (Couchbase, Nexthink, Sentryo ont, par exemple, annoncé récemment des levées de fonds). Cela garantit une certaine maturité de l’offre.
Les – : les entreprises réussissant ces tours de table sont souvent plus avancées dans leur développement, même si elles sont récentes. La collaboration avec elles se rapprochera donc d’une relation client-fournisseur classique. Par ailleurs, les grands fonds d’investissements spécialisés ciblent la technologie au sens large, ce qui se traduit par des portefeuilles très diversifiés et rarement centrés sur les enjeux IT.
3. Les annuaires de start-up
En France, citons par exemple usine-digital.fr ; lespepitestech.com ou encore www.myfrenchstartup.com.
Les + : ces annuaires recensent en général des acteurs de proximité.
Les – : les recherches ramènent peu de résultats sur les problématiques IT. Par ailleurs, le référencement dans certains annuaires est à l’initiative des start-up, ce qui peut laisser de côté les acteurs n’ayant pas fait la démarche.
4. Le retour d’expérience d’autres grandes entreprises
Les + : les témoignages des premiers clients sont essentiels pour assurer la notoriété d’une start-up, que ce soit à travers les médias ou, de manière plus informelle, lors de rencontres entre DSI de différents groupes.
Les – : si un groupe concurrent a identifié une solution très intéressante en terme de valeur ajoutée, il peut être tenté de la garder pour lui.
5. Les fournisseurs
Plusieurs grands fournisseurs IT ont développé leurs propres programmes pour accompagner les start-up : Orange Fab France, BizSpark (Microsoft), Lab’Innovation (CapGemini), startup.focus (SAP), Programme HP Start-up, IBM Global Entrepreneur… Pour ces groupes, l’objectif est à la fois de se tenir au plus près de l’innovation et d’alimenter un écosystème autour de leurs propres solutions (pour les fournisseurs de plateformes).
Les + : ces acteurs peuvent inclure certaines solutions conçues avec les start-up dans leurs offres, ce qui facilite la partie commerciale et le déploiement. Par ailleurs, en tant qu’intermédiaires connaissant les deux parties, ils peuvent plus facilement orienter leurs clients vers des start-up dont les solutions répondent à leurs besoins.
Les – : quand les start-up s’appuient sur la plateforme d’un fournisseur donné, leur client doit accepter de s’engager un peu plus dans l’écosystème de celui-ci.