« Il est plus facile de grimper l’Everest que de mener des projets IT, la proportion de ceux qui arrivent au sommet est plus importante », affirme Jonathan Mitchell, auteur de l’ouvrage Staying the course as a CIO (Editions Wiley). Le métier de chef de projet a pourtant le vent en poupe. Trop peut-être…
« On crée des postes de chef de projet pour tout et n’importe quoi. Les dirigeants semblent croire qu’il suffit de donner le titre de chef pour qu’une personne le soit, que changer l’organigramme c’est changer l’organisation. C’est bien sûr faux », assène François Dupuy, sociologue, dans son ouvrage sur « La faillite de la pensée managériale », paru aux Éditions du Seuil.
Les chefs de projet (rémunérés entre 48 000 et 56 000 euros par an, pour une expérience de trois à six ans, selon le cabinet Robert Half, sont accusés de tous les maux, en particulier de dépasser les délais et les budgets. « Nous ne connaissons jamais d’échecs de nos projets IT, nous avons simplement des succès extrêmement coûteux », souligne le DSI d’un groupe pharmaceutique cité par Jonathan Mitchell, auteur de l’ouvrage Staying the course as a CIO.
Selon une étude d’Appleseed Partners (pour le compte de l’éditeur Planview), la moitié des managers en charge de la planification des ressources dans les entreprises assurent que le dépassement des délais des projets constitue le principal risque opérationnel, devant la perte de chiffre d’affaires et les coûts.
Pour leur part, les deux-tiers des DSI français estiment que le délai d’attente entre les demandes exprimées par les métiers et la mise à disposition réelle de nouveaux services par la DSI est de cinq mois et que cette inertie impacte l’activité de leur entreprise, selon une étude réalisée par le cabinet Vanson Bourne pour le compte de VMware.
Cet écart a des répercussions sur l’entreprise en matière de performances, de compétitivité et d’opportunités de croissance. Les décideurs informatiques estiment en effet qu’il réduit la capacité d’innovation au sein de toute l’entreprise (36 % d’entre eux), cause la perte de clients au profit de concurrents plus réactifs (35 % d’entre eux) et la productivité du personnel (24 % d’entre eux). Ce déséquilibre a également un impact sur les salariés, qui sont 44 % à juger la situation démotivante.
Une étude commandée par le cabinet de conseil Médiatris à l’institut Harris Interactive se penche sur les difficultés rencontrées dans les projets d’organisation et de conduite de projets en systèmes d’information. Réalisées auprès de 40 chefs d’entreprise et 110 DSI et chefs de projets en systèmes d’information, cette étude montre que :
- La très grande majorité des entreprises ont connu des difficultés dans les projets. Le projet se déroule sans difficulté dans seulement 22 % des cas. Les difficultés rencontrées par plus de la moitié des interviewés ont impacté fortement leurs projets (retards, coûts,…)
- La majeure partie des difficultés rencontrées a des origines internes à l’entreprise. 56 % des répondants invoquent des difficultés organisationnelles internes : relations entre directions ou services, réorganisation interne. Les difficultés inter-entreprises sont citées par 35% des répondants.
- Les problèmes liés aux spécifications des besoins et à la compréhension des attentes par le fournisseur sont cités dans la majorité des cas (55 %). Les difficultés liées à un cadrage insuffisant des besoins et à une compréhension partielle des solutions sont les premières causes citées.
- Les problèmes de faisabilité technique et de compétences techniques des équipes internes sont cités comme source de problèmes par près de 40 % des personnes ayant rencontré des difficultés.
Les difficultés rencontrées ont fortement pénalisé la conduite et le déroulement du projet pour la moitié des répondants. Dans 3/4 des cas, ces difficultés ont généré un retard dans la livraison du projet. Dans 2/3 des projets ayant connu des difficultés, un surcout a été généré. Enfin, ces difficultés ont abouti à l’annulation du projet dans 1 cas sur 6. L’analyse à postériori des projets ayant connu des difficultés montre qu’elles auraient pu être anticipées pour les 2/3 des répondants.
Joseph Gabay, auteur de l’ouvrage « Maîtrise d’ouvrage des projets informatiques, guide pour le chef de projet MOA », paru chez Dunod, pointe les principales dérives des chefs de projet :
- Sombrer dans le conservatisme.
- Réinventer des solutions qui existent déjà.
- Être trop procédurier.
- Diluer la responsabilité de prise de décision et entretenir un climat d’indécision permanent.
- Rester dans un modèle trop théorique et individualiste.
- Considérer que les méthodes sont des lourdeurs.
- Donner trop peu de place à la responsabilisation individuelle.
- Faire une course sans fin pour atteindre des résultats.
- Trop déléguer sans s’impliquer.
- Élaborer un système de contrôle trop pesant, être trop autoritaire et ne pas communiquer.
Il existe pourtant plusieurs principes à suivre pour moins se tromper. Les consultants de McKinsey ont établi une check-list de la prise de décision, qui permet de limiter les biais, en se posant six questions :
- Les facteurs qui permettraient que le projet dépasse ses objectifs ont-ils été considérés ?
- Les hypothèses ont-elles été comparées à des projets similaires menées hors de l’entreprise ?
- Les hypothèses ont-elles été comparées à des projets similaires menées au sein de l’entreprise ?
- Le processus de décision rassemble-t-il des personnes ayant une diversité de points de vue ?
- L’équipe qui doit prendre la décision a-t-elle été confrontée à des personnes qui ne sont pas a priori d’accord ?
- Au moins une solution alternative a-t-elle été envisagée ?
Selon le nombre de « oui » aux questions, quatre stratégies peuvent être envisagées : mener le projet, le suspendre, le reconsidérer ou le soumettre à un stress-test. Les consultants de McKinsey proposent également des bonnes pratiques, notamment lorsque les projets sont basés sur des scénarios. Il convient en effet de combattre le réflexe de prendre des décisions basées sur ce que l’on sait déjà, la trop grande confiance et l’optimisme excessif, de ne pas attribuer trop de poids à des événements peu probables, de ne pas croire que le futur n’est qu’une projection du passé.
De leur côté, les consultants d’Oliver Wyman proposent, pour réduire les risques, une approche fondée sur quatre piliers qui ont tous vocation à réduire « l’entropie croissante » qui se développe inexorablement en temps de crise :
- Décider de l’ordre des priorités : faut-il servir le client à tout prix, stopper l’hémorragie des coûts, ou stopper la non qualité ? Il est faux de croire que l’on peut en période de crise gérer, au départ, plusieurs priorités. C’est au top management d’indiquer aux équipes la priorité et à s’y tenir, d’allouer ensuite les ressources pour tenir ce premier objectif.
- Faire un diagnostic exhaustif des problèmes à régler, quelle qu’en soit la nature, et les gérer dans une base unique. Plonger trop vite dans l’action fait courir le risque de laisser des « trous dans la raquette ».
- Mettre en place une gouvernance opérationnelle claire, rigoureuse et, surtout, s’y tenir (pilotage, réunion de travail, séance d’information…). Lors des crises, en mode « panique », un observateur extérieur, assistant à une réunion, serait incapable de dire quelle est la finalité de la réunion, ce qui s’y passe vraiment, quelles en ont été les conclusions.
- Mettre en place un « thermomètre fiable ». Il faut au plus vite que le dialogue avec le top management se fasse sur la base d’indicateurs fiables, délivrés régulièrement, pour lui éviter la tentation de plonger dans le détail et venir perturber les équipes chargées du redressement.