E-mails, les acariens du cerveau

C’est un véritable réquisitoire contre les e-mails que dresse Yannick Chatelain, professeur associé à Grenoble École de Management, dans ce petit ouvrage. L’objet de son ire ?

« Les courriels s’infiltrent partout, tels de redoutables et redoutés acariens à cerveaux, qui fondent sur vous dans une cadence effrénée. Des tumultes de mots, des cascades de phrases qui transitent via des intestins en forme d’ordinateurs, de smartphones et de tablettes. » Face à un tel déferlement, l’auteur ne voit qu’une seule solution « pour ne pas finir sur le marché aux esclaves » : ne plus lire ses e-mails… « L’avenir des mails est tout tracé. Pour la plupart d’entre eux, et tout au long de l’année, vu leur teneur, c’est : courrier indésirable les jours pairs, poubelle les jours impairs ! » ajoute Yannick Chatelain.

Certes, le traitement est radical et semble probablement irréaliste pour la plupart des individus. Mais il est incontestable que le mail est associé à plusieurs nuisances. Parmi celles-ci :

  • la chute du taux de natalité ;
  • l’augmentation du nombre de divorces ;
  • la multiplication des arrêts cardiaques, du fait du stress généré par une surabondance de mails, surtout ceux venant de personnes toxiques ;
  • la ruine des vacances car vos collègues, qui s’ennuient, pensent à vous et vous inondent de mails ;
  • la dégradation du quotient intellectuel (dix points de moins, paraît-il…), voire la disparition inattendue des smartphones dans la cuvette des WC ! Sans parler de la ruine de l’orthographe… « Vous qui vous targuiez d’avoir une orthographe irréprochable ! Sachez qu’elle est en grave péril, la gangrène orthographique est en marche, la nécrose des accords progresse, l’obstruction grammaticale par embolie avance », prévient l’auteur.

146 biblio
  • LinkedIn
  • Twitter
  • Facebook
  • Gmail

Mes mails m’emm…mêlent, par Yannick Chatelain, éditions Kawa, 83 pages.

D’ores et déjà, il convient de repérer, pour mieux les éradiquer, plusieurs types de mails :

  • Les mails sans objet : « Le mail sans objet est donc (comme cela est expressément indiqué dans l’objet qui n’existe pas) : sans objet ! » Donc sans fondement et sa place naturelle est à la poubelle.
  • Les mails écrits par des zombies : « Certains éprouvent le besoin d’exister et de faire savoir régulièrement au plus grand nombre, en toute occasion, qu’ils ne sont pas morts. » Cette « pathologie de sniper », selon l’auteur, s’apparente au comportement du pilote de chasse, qui applique le principe « shoot and forget », avant de passer à la cible suivante.
  • Les mails pourris : ils sont, selon l’auteur, assez faciles à identifier lorsque l’on prend connaissance du nom de l’expéditeur, et doivent être classés immédiatement dans la catégorie des indésirables.
  • Les mails incompréhensibles : selon Yannick Chatelain, 80 % des mails envoyés ne seraient pas compris par leur destinataire. « Il est des mails qui contiennent des mots, des verbes, des compléments, des adjectifs, pourtant, mis bout à bout, le tout ressemble vaguement à des phrases, mais semble écrit dans une autre langue. » D’où une conclusion logique : « Soit 20 % de la population est profondément débile, soit la population est à 80 % crétine et définitivement incapable de d’exprimer clairement, inapte à formuler sa pensée convenablement, infoutue de placer les bons mots aux bons endroits. »
  • Les mails dont les auteurs sont atteints du syndrome de Balzac : on reconnait ce type de mails au fait qu’en l’ouvrant, on pressent que ça va être long, voire très long, pour en prendre connaissance et que le contenu semble compliqué et obscur. « La méthode la plus efficace de lecture rapide est la touche « suppression » », conseille l’auteur, sauf si Honoré de Balzac a fini par dénicher votre adresse mail, ce qui est fort peu probable.
  • Les schizomails : ils sont produits par des individus « qui ont une pathologie lourde : celle d’organiser la confusion chez autrui pour avoir la prétention de dominer », explique l’auteur pour qui, dans tous les cas, « vos interprétations seront erronées », car le contenu du mail sera truffé d’injonctions paradoxales et d’affirmations incompréhensibles.

    Le coupable ? Ray Tomlinson

    On connaît le responsable des avalanches de mails : Ray Tomlinson, ingénieur américain qui a eu l’idée, en 1971, d’associer deux programmes pour envoyer un message à un utilisateur connecté à un autre ordinateur. Le mal était fait… Il est d’autant plus coupable qu’en montrant son invention à l’un de ses collègues, il lui avait affirmé : « N’en parle à personne. Nous ne sommes pas censés travailler là-dessus. » Yannick Chatelain débute son ouvrage en pourfendant cet ingénieur qui, pourtant, avait l’impression de faire progresser l’humanité. Le fait que Ray Tomlinson ait recommandé de n’en parler à personne témoigne, selon Yannick Chatelain, « d’une prise de conscience de la gravité de son immonde forfait. Il n’y a dans ce propos nulle autre interprétation possible : il a subitement réalisé l’impérieuse nécessité de ne pas laisser se répandre ce fléau, en invitant son collègue à fermer sa grande gueule. » Hélas, poursuit l’auteur : « Il y a forcément quelqu’un, quelque part, qui a trouvé futé d’en parler à quelqu’un qui en a parlé à quelqu’un d’autre, qui lui-même ne s’est pas privé de bavasser… » Résultat, aujourd’hui : il s’échange dans le monde chaque seconde, entre trois et quatre millions de mails. Yannick Chatelain en tire trois leçons : d’abord, quand on n’est pas censé travailler sur quelque chose, on ne travaille pas dessus. « Cela s’appelle jouer sur son lieu de travail ». Ensuite, « quand on travaille avec des individus qui ne savent pas tenir leur langue, on évite de s’épancher sur ses forfaitures ». Enfin, « ce n’est pas le tout d’inventer des trucs pour faire son intéressant et passer le temps quand on s’emmerde au bureau. Si on s’ennuie, soit on change de travail, soit la moindre des corrections est de fournir un mode d’emploi de ce que l’on a inventé. »