Le cabinet de conseil en stratégie Oliver Wyman publie une synthèse des ruptures issues du numérique, avec l’analyse des nouvelles dynamiques concurrentielles, de la transformation numérique des entreprises et des nouveaux comportements des consommateurs.
En 2025, plus de 80 % de la population mondiale sera connectée. C’est sur ce chiffre que s’ouvre une étude du cabinet de conseil en organisation Olivier Wyman, consacrée à la transformation numérique en cours. Pour son auteur, Bruno Despujol, partenaire au sein du cabinet, « la France, tout comme l’Europe, a pris un retard considérable dans ce nouveau monde digital. »
En effet, la révolution numérique provoque d’ores et déjà des turbulences pour les entreprises existantes, remettant en cause les modèles économiques de très nombreux secteurs : automobile, distribution, immobilier, assurance, tourisme, services, industrie…
L’étude commence par présenter et analyser les principaux signaux de cette transformation, en s’appuyant sur de nombreux chiffres : plus de 230 millions de nouveaux utilisateurs d’Internet dans le monde chaque année, notamment en Asie ; 80 milliards d’objets connectés dans le monde en 2025 ; 17 % de croissance pour le e-commerce entre 2011 et 2016 ; 30 % de gains de productivité attendus dans les usines numériques…
Les marchés potentiels sont donc immenses et les bénéfices non négligeables, mais, pour autant, le vieux continent semble mal armé pour saisir cette opportunité. En effet, 80 % des sites les plus fréquentés dans le monde sont américains, alors que 81% des utilisateurs sont hors des états-Unis. Pour rattraper ce retard, l’étude propose donc diverses clefs aux dirigeants, afin de les aider à comprendre les tenants et les aboutissants de cette révolution.
Une évolution des rapports de force
Dans une première partie illustrée d’exemples concrets, Bruno Despujol détaille tout d’abord les implications en termes d’usages et de comportements chez les consommateurs. Pour qualifier ces changements, un maître mot : la rupture. Celle-ci intervient tout d’abord au niveau de la demande, qui se porte sur des services et des offres ultra-personnalisés. « En contrepartie, l’exigence est beaucoup plus forte que par le passé : le rapport de force entre le client et l’entreprise a changé. »
La seconde rupture est l’exigence plus forte du client et une sensibilité accrue au prix. « Chaque erreur sur le prix ou la qualité se paye beaucoup plus chère que par le passé : le pouvoir d’information, de prescription, de nuisance et de négociation des clients est infiniment supérieur et communicable en temps réel », observe Bruno Despujol.
Révolution digitale : nouvelles expériences clients, nouveaux modèles économiques, nouvelles transformations, Oliver Wyman, décembre 2014, 42 pages.
La bataille pour la conquête du temps disponible
Troisième rupture, l’état de connectivité permanente des utilisateurs et son corollaire côté entreprise : la conquête du temps disponible. « Un français passe en moyenne 1,5 heure par jour sur Internet. Entre les transports (1,5 heure) ou les 4,5 heures de temps potentiellement disponible hors domicile (repas, loisirs hors domicile, sport), le temps « capturable » hors des heures de travail pourrait être multiplié par six dans les prochaines années », ont calculé les auteurs de l’étude.
Viennent ensuite la réinvention des parcours d’achat et de l’expérience client, la simplification des usages et enfin l’Internet des objets, à travers lequel les industries physiques vont elles aussi pouvoir bénéficier de la transformation numérique. « De nombreux secteurs (assurance, immobilier, automobile, distribution…) font face à une rupture brutale du comportement d’achat de leurs clients et sont obligés de se repositionner pour éviter d’être marginalisés par certains nouveaux entrants numériques », souligne l’étude.
Les rentes historiques remises en cause
Le second chapitre se penche sur les nouvelles dynamiques concurrentielles et les modèles économiques émergents. « La numérisation réécrit les règles de la dynamique concurrentielle. Plus rapide, plus violente, elle se joue des barrières sectorielles historiques et des frontières géographiques. » Le cas d’AmazonSupply, site de vente de pièces détachées mis en place en un an par Amazon, ou d’Uber, qui vient bousculer la mainmise des taxis, en sont quelques exemples.
Les stratégies économiques gagnantes
L’étude analyse les tendances caractéristiques de ces nouveaux modèles économiques (voir encadré) :
1. L’innovation par la réponse à des demandes latentes plutôt que par la technologie pure ; « Les gagnants ne sont plus les pionniers technologiques, ni ceux qui détiennent les plus fortes parts de marché, mais ceux qui comprennent et résolvent mieux que les autres les problèmes existants ou latents des clients. »
2. Le passage du tout transactionnel au relationnel, à travers l’accès en continu aux contenus, des offres évolutives très personnalisées, une tarification dynamique et une relation client privilégiant la compréhension des comportements en amont ; les modèles relationnels représenteraient aujourd’hui un tiers de la valorisation du Top 30 des entreprises numériques.
3. L’accélération des modèles de croissance, avec un effet d’échelle qui joue à pleine puissance pour les leaders de ces marchés.
4. La numérisation de l’industrie, qui s’oriente vers une production en flux tendu et personnalisée grâce à des technologies comme l’impression 3D.
5. Enfin, la dernière partie s’intéresse à la gestion de la transformation numérique dans les entreprises, présentée comme « une longue mutation » par les auteurs de l’étude. Il ne s’agit pas d’un « projet d’entreprise de trois ans », l’échelle de temps nécessaire est plutôt de l’ordre de la décennie. Le cabinet Oliver Wyman propose ensuite quelques pistes, estimant que les dirigeants devront répondre à trois questions pour réussir la mutation :
- Quel modèle de transformation faut-il adopter pour gérer les rythmes et des cultures d’entreprises différentes ?
- Comment intégrer l’innovation entrepreneuriale ?
- Comment faire évoluer les grands groupes, ce qui constitue un enjeu crucial quand on sait que « les gagnants du numérique ont été jusqu’à présent Internet natives ».
Les quatre modèles émergents
- Le modèle « transparent » : sans être pionnier technologiquement, il s’agit de comprendre et de résoudre mieux que les autres ce qui pose problème aux clients de créer un lien émotionnel fort avec eux, à l’instar de Netflix, Blablacar, ZipCar ou HomeAway.
- Le modèle « relationnel » qui consiste à offrir, de façon très personnalisée, un accès continu à une gamme de contenus très large et évolutive sous forme d’abonnement, en remplacement de l’achat des services produits à l’unité et avec un prix différencié par segment client (Alibaba.com, AirBnB…). « Entre les acteurs physiques et les intermédiaires numériques, la bataille va être de plus en plus centrée sur le contrôle de la relation client », explique Bruno Despujol.
- Le modèle « croissance accélérée » qui met en place des plateformes globales (telles iTunes, Google, Facebook…), dans un contexte où, avec près de trois milliards d’utilisateurs d’Internet, les modèles numériques procurent d’importantes économies d’échelle et réduisent les coûts de distribution.
- Le modèle « Industrie 4.0 » : « Dans les dix prochaines années, le développement des systèmes cyberphysiques (CPS) permettra de numériser les processus industriels et de faire émerger des smart factories avec des gains de productivité de l’ordre de 30 % », expliquent les auteurs de l’étude.