Le numéro de juillet-août 2014 de la Harvard Business Review publie une série de contributions sur la « nouvelle organisation du marketing », dans laquelle les DSI ont un rôle déterminant à jouer.
« La plupart des entreprises sont encore organisées, sur le plan marketing, selon les principes du siècle dernier : comment peuvent-elles adresser les enjeux de l’ère numérique ? », se demandent les auteurs d’une vaste étude mondiale (Marketing2020), dont les résultats sont présentés dans le numéro de juillet-août 2014 de la Harvard Business Review.
Selon eux, la fonction marketing est celle, avec les technologies de l’information, qui a le plus évolué au cours de ces dernières décennies. Malgré tout, la plupart des entreprises, sur le plan organisationnel, demeurent ancrées sur les modèles du passé. Les auteurs ont étudié plusieurs centaines d’entreprises et interrogé plus de 10 000 directeurs marketing dans 92 pays. Ils ont divisé les entreprises en deux groupes : les plus performantes, par rapport à leurs concurrents, et les moins performantes.
L’une des caractéristiques des entreprises les plus performantes est qu’elles font une utilisation intensive de leurs données pour mieux connaître les besoins de leurs clients et les segmenter. Ainsi, 52 % des directeurs marketing de ces entreprises affirment utiliser les approches d’analyse de données pour améliorer leur efficacité. Les entreprises les moins performantes ne sont que 35 % à l’affirmer. L’autre point clé, qui explique la performance des entreprises, est la collaboration entre la direction marketing et les autres fonctions de l’entreprise, en particulier la DSI. Avec deux avantages : l’agilité et la capacité de construire des solutions mieux adaptées.
Dans une autre contribution sur le Decision-driven marketing, deux consultants du cabinet Bain expliquent que les directions marketing, dans leurs missions multiples (construire l’image de marque, susciter la demande, accompagner les ventes), doivent davantage arbitrer, dans un contexte économique qui raréfie les ressources, mais qui impose des retours sur investissements positifs. « Les directions marketing doivent en particulier choisir les activités à conserver en interne, celles à automatiser et celles à sous-traiter », résument les auteurs.
Un principe qui s’applique évidemment aux solutions technologiques. « La décision ne peut relever des seuls responsables marketing, du fait des multiples interactions avec les autres fonctions de l’entreprise, par exemple les ventes, le management des produits et les systèmes d’information », affirment les auteurs.
L’un des changement mis en exergue par ces derniers est le déplacement du contrôle des solutions décisionnelles, de l’IT vers le marketing : « Les organisations marketing dépendent des technologies de l’information, avec les solutions de CRM, d’analyse de données volumineuses, ou d’automatisation du marketing. Historiquement, les outils étaient essentiellement hébergés et gérés par les directions des systèmes d’information, mais tout est en train de changer », assurent les consultants de Bain, qui voient dans le rapprochement entre DSI et directions marketing une tendance lourde.
Ils citent le cas de la chaîne de magasins américaine Nordstrom qui, à l’occasion de l’arrivée d’un nouveau directeur marketing, a changé les modes de collaboration avec la DSI : « Les responsabilités sont désormais partagées entre le marketing et l’IT pour la sélection des technologies et des solutions. La DSI reste maître de la décision finale, en fonction des contraintes d’interconnexions, de sécurité et d’infrastructures. »
L’approche industrielle du client a-t-elle vécu ?
Une telle collaboration est d’autant plus cruciale que les enjeux du marketing vont bien au-delà du choix des meilleures solutions. Dans une contribution sur « les mystères des relations avec les clients », trois autres experts affirment que les solutions de CRM montrent leurs limites, même si leurs capacités à segmenter et personnaliser les cibles de clients sont indéniables. « Malgré le « R » de CRM et les onze milliards de dollars dépensés chaque année dans ce domaine, la plupart des entreprises n’ont toujours pas compris comment se forment les relations avec leurs clients, en particulier l’importance de « l’intelligence relationnelle » dans les interactions avec les clients. »
Les entreprises savent parfaitement collecter des données sur leurs clients, les classer selon des critères socio-démographiques et les associer aux informations sur les ventes, pour identifier ceux qui sont les plus contributeurs au chiffre d’affaires. « Mais c’est une approche industrielle de la relation client, dans laquelle celui-ci est considéré comme une ressource à qui il faut adresser des opportunités et des promotions, alors qu’il est plutôt en attente d’une vraie interaction », ajoutent les auteurs.
Ceux-ci ont identifié pas moins de 29 modes différents d’interactions (positives ou négatives) entre une entreprise et ses clients. D’où leur suggestion : intégrer « l’intelligence relationnelle » dans les outils de CRM existants. Cela passe par l’analyse des données dont les entreprises disposent déjà : e-mails, sessions de chat dans les centres d’appels, demandes sur le Web, appels téléphoniques… Prises individuellement, ces informations n’ont guère de valeur, mais leur analyse consolidée est riche d’enseignement.
C’est en effet grâce à cette « analyse des conversations avec les clients » que les signaux faibles peuvent être détectés. « Il s’agit de transformer ces signaux en connaissances pour renforcer l’engagement des clients vis-à-vis d’une marque », résument les auteurs. Avec, là encore, une nécessaire collaboration entre le marketing et l’IT, qui peut s’apparenter, dans certains cas, à une « reprise en main » : « Trop d’entreprises ont confié leurs bases de données de CRM aux seules directions des systèmes d’information ou à des consultants externes ; les organisations marketing doivent reprendre et étendre leur influence », estiment les auteurs.
Sur ce terrain, deux entités sont particulièrement concernées : les directions des ventes et celles des systèmes d’information, pour l’analyse fine des données liées aux relations entre une entreprise et ses clients, et non plus simplement la collecte des données brutes. « Combiner big data et intelligence relationnelle ouvre une nouvelle fenêtre d’opportunités », assurent les auteurs.
L’émergence du Chief Marketing Technologist
Si cela change l’approche de gestion des données dans les DSI, la posture du directeur marketing évolue également, avec le métier de Chief Marketing Technologist. Les auteurs de l’article consacré à cette fonction, Scott Brinker (CTO de Ion Interactive) et Laura McLellan (vice-présidente de la recherche chez Gartner), expliquent qu’une « nouvelle fonction émerge au cœur de la transformation numérique : le Chief Marketing Technologist est à la fois un directeur artistique, un leader technologique et un évangéliste. » Ses missions : aligner les technologies marketing avec les besoins métiers, accompagner la mise en œuvre de nouveaux business modèles, assurer le lien avec les DSI, évaluer et choisir les fournisseurs.
Selon Gartner, 67 % des directions marketing vont augmenter leurs budgets technologiques, au cours des deux prochaines années, et 65 % vont davantage faire appels aux fournisseurs de services technologiques. À mesure que le marketing digital et le e-commerce tendent à remplacer les points de vente traditionnels, le besoin de gouvernance des solutions augmente, celles-ci constituant la base de l’amélioration de l’expérience client. Selon les auteurs, il existe, au niveau mondial, un millier de solutions logicielles dédiées au marketing (CRM, gestion de contenus, marketing automation, réseaux sociaux….).
Il n’est donc plus pertinent de séparer le marketing et la technologie : les DSI et les directeurs marketing doivent collaborer, de manière à ce que chacun puisse assimiler ce que l’autre peut lui apporter, avec une approche holistique : c’est le rôle du Chief Marketing Technologist de faciliter cette approche. Concrètement, le Chief Marketing Technologist est en lien étroit avec quatre parties prenantes : le directeur marketing (pour s’assurer que la technologie est capable d’accompagner la stratégie), le DSI (pour prioriser les besoins technologiques), les équipes marketing (pour s’assurer que les bonnes solutions sont en place et que les équipes sont formées) et les fournisseurs de solutions (pour contrôler leurs performances).
- “The Ultimate Marketing Machine”, par Marc de Swaan Arons, Franck van den Driest et Keith Weed.
- “Decision-Driven Marketing”, par Aditya Joshi et Eduardo Giménez.
- “Unlock the Mysteries of Your Customer Relationships”, par Jill very, Susan Fournier et John Wittenbraker.
- “The Rise of the Chief Marketing Technologist”, par Scott Brinker et Laura McLellan.
Harvard Business Review, juillet-août 2014. www.hbr.org