Revente des licences d’occasion : une piste à explorer

Le tribunal de Hambourg (Allemagne) avait réaffirmé la jurisprudence Usedsoft c/Oracle, en dépit de la résistance des éditeurs, notamment SAP. Dans un arrêt du 3 juillet 2012, la Cour de justice de l’Union Européenne a consacré le marché du logiciel d’occasion en permettant à tout titulaire légitime d’une licence d’utilisation d’un logiciel de revendre légitimement cette licence.

Sans avoir à demander l’avis de l’éditeur, ni devoir négocier avec lui un quelconque avenant de cession.

La Cour s’était appuyée sur le principe d’épuisement du droit de distribution : le titulaire du droit qui a commercialisé une copie sur le territoire d’un État membre de l’Union perd la possibilité d’invoquer son monopole d’exploitation pour s’opposer à la revente de cette copie. Néanmoins, la Cour avait soumis une telle revente à plusieurs limites. D’une part, elle n’est possible qu’en présence du téléchargement d’une copie du programme et de la concession d’un droit d’usage à titre onéreux, « sans limitation de durée » ou « de manière permanente ».

D’autre part, lorsque la licence est cédée, le cédant doit détruire sa propre copie du programme, ce qui signifie que la licence ne peut être cédée qu’en totalité. Ainsi, un éditeur de logiciels ne peut plus s’opposer à sa revente, même si le logiciel est vendu sous une forme dématérialisée, et ce, quand bien même le contrat de licence conclu à l’origine comporte des clauses interdisant une cession ultérieure du logiciel !

Les éditeurs ont tenté de résister

Cette décision s’imposant aux États membres de l’Union, elle a conduit plusieurs éditeurs de logiciels à modifier leurs conditions contractuelles, notamment en proposant des licences à durée longue, mais déterminée (vingt ans), afin d’éviter que leurs licences de logiciels ne se voient appliquer la jurisprudence Usedsoft c/ Oracle. Ce fut le cas de SAP qui a inséré dans ses contrats deux clauses visant à empêcher les utilisateurs d’acheter des licences « d’occasion » de ses logiciels.

La première clause impose :

  • aux utilisateurs d’origine des logiciels de SAP d’obtenir son consentement avant de pouvoir transférer les droits de licence à un nouvel acquéreur,
  • au nouvel acquéreur de déclarer par écrit à SAP qu’il utilisera son logiciel conformément aux conditions de la licence de l’utilisateur d’origine.

L’autre clause oblige les utilisateurs de logiciels à acquérir des licences supplémentaires exclusivement auprès de SAP, interdisant ainsi leur achat auprès de revendeurs de licence d’occasion. Une société allemande, la Susensoftware, ayant justement pour activité la revente de licence de logiciels d’occasion, notamment de SAP, a intenté une action en justice contre SAP considérant que les clauses précitées constituaient une pratique déloyale.

Le tribunal de Hambourg, saisi du litige, a invalidé, le 25 octobre 2013, les deux clauses en appliquant les principes dégagés par la Cour de justice dans son arrêt Usedsoft c/ Oracle. Elle a considéré que les clauses étaient discriminatoires, celles-ci revenant en fait à restreindre et contrôler la revente de licences d’occasion.

Pour la première clause, ce sont l’autorisation préalable de SAP pour la revente et le contrôle qu’elle peut opérer vis-à-vis des tiers qui sont contraires au droit de l’Union européenne. Pour la deuxième clause, c’est le fait d’imposer l’acquisition de licences supplémentaires uniquement auprès de SAP. Les juges allemands ont ainsi confirmé la licéité du marché d’occasion des logiciels.

Cet arrêt est aussi intéressant dans le fait que ce n’est pas un éditeur de logiciels qui a initié l’action, mais une société qui revend des logiciels d’occasion. Si les contrats des éditeurs comportent des clauses s’opposant directement ou indirectement à la revente de logiciels d’occasion, elles peuvent être considérées comme non valables. Néanmoins, la portée précise de la jurisprudence Usedsoft c/ Oracle en France demeure encore incertaine à ce jour : on ne sait pas comment un juge français va appliquer cette jurisprudence aux contrats des éditeurs ; on ne sait pas si cette décision pourra être appliquée à d’autres biens culturels immatériels (fichiers musicaux, etc.).

Sur ce dernier point, rappelons qu’aux États-Unis, dans une affaire concernant la société Redigi exploitant une plateforme en ligne pour vendre des MP3 d’occasion, il a été jugé que le principe du first sale (soit l’équivalent de notre règle d’épuisement des droits) ne trouvait pas à s’appliquer au téléchargement en ligne, celui-ci ne constituant pas, au sens du droit américain, une vente, ce qui rend donc illégal tout transfert ou revente de fichiers musicaux à des tiers. Il convient donc d’être attentif à l’évolution de la jurisprudence en la matière…

Cet article a été écrit par Par François-Pierre Lani, associé au cabinet Derriennic.