Comment la DSI peut-elle concilier le fait qu’elle est, avant tout, un centre de coût alors qu’elle contribue, de façon permanente, à la création de valeur pour l’entreprise, par le biais du développement de nouveaux projets systèmes d’information ? On a coutume de dire que l’informatique coûte, alors qu’elle rapporte aux autres.
Cette image est plus que pertinente et nous conduit à bannir le concept du « ROI informatique », véhiculé par de trop nombreux experts. Le ROI n’a évidemment de sens qu’au niveau d’un projet, qu’il soit d’ailleurs de nature SI ou pas.
Si l’on tente une classification plus fine des projets système d’information, on parviendra rapidement à une typologie simple telle que :
- le projet obligatoire,
- l’augmentation du chiffre d’affaires,
- la réduction des coûts,
- l’amélioration du service / qualité.
Le projet obligatoire regroupe principalement l’accompagnement de la réglementation pour la pratique des activités exercées par l’entreprise ou la diminution volontaire des risques encourus par l’entreprise dans la pratique de ses activités.
Ce premier cas nous fait d’abord réfléchir à l’évidence suivante : s’il est plus que délicat, voire impossible, de chiffrer financièrement les gains escomptés par la mise en œuvre d’un tel projet, il n’en est pas moins vrai que le développement, puis l’exploitation, du projet représentent un coût, et ce n’est pas parce que l’on ne peut pas mesurer la rentabilité de ce type de projet qu’on devrait pour autant se dispenser de mesurer son coût. Il nous apparaît également saugrenu de vouloir apprécier les gains réalisés sur ce type de projet par la prise en compte de la sanction financière encourue si l’on ne développait pas le projet.
La nécessité d’un premier outil : le plan de coûts
La DSI regroupe un ensemble de moyens, organisés soit en sections homogènes, soit en activités, qui consomment des charges, identifiées et classifiées dans un plan comptable analytique et mises en évidence au travers de rubriques de gestion constituant le budget de la DSI.
Tout projet, projet SI compris, a un coût de développement, puis d’exploitation, identifié par des rubriques de dépenses organisées au travers du budget prévisionnel du projet.
Il faut noter que le concept de dépenses est différent de celui de charges. Alors que le second est directement issu de la comptabilité générale, le premier est basé sur un raisonnement « différentiel », qui consiste à ne prendre en compte que les éléments modifiés par la décision de réaliser le projet, par rapport à une situation de référence qui consisterait à ne pas réaliser le projet. En conclusion, il y a deux plans : un plan de coûts pour la DSI, centre de coûts, et un plan de dépenses différentielles pour tout projet SI, centre de « valeur », dans la mesure où tout décideur avisé va se poser la question légitime de connaître (donc mesurer) les gains, les bénéfices, les avantages… que le projet devra générer en contrepartie du sacrifice de ces nouvelles dépenses.
Peut-on résumer la valeur à une mesure purement financière ?
En France, la définition de l’AFNOR fait référence : la valeur d’un produit est une grandeur qui croît lorsque la satisfaction du besoin augmente et/ou que le coût du produit diminue.
VALEUR = Satisfaction du besoin / Coût
Cette formule doit nous mettre en garde contre toute tentation de passer à côté de l’efficacité au prétexte d’améliorer coûte que coûte l’efficience. La recherche inconditionnelle de l’efficience consiste à diminuer systématiquement le coût, quitte, d’une part, à réduire la satisfaction et, en fin de compte, la valeur. D’autre part, cela conduit à s’interdire d’améliorer notoirement la satisfaction des utilisateurs, dans une proportion plus forte que l’augmentation corrélative du coût, ce qui aurait créé de la valeur.
On voit, au travers de cet exemple, le danger du tout financier. Il nous reste maintenant à nous interroger sur le fait que la « satisfaction » soit toujours un critère mesurable, surtout en termes financiers. Lorsqu’une entreprise améliore, en dehors de tout contexte système d’information, la qualité de son produit pour mieux satisfaire le client final, est-elle toujours capable de prévoir exactement combien de clients existants seront ainsi fidélisés et combien de nouveaux clients viendront grâce à ce nouvel atout dont l’entreprise veut se doter ?
Non, mais si la direction générale lance ce projet, c’est parce qu’elle est persuadée que l’impact ne pourra être que positif sur la progression du chiffre d’affaires, par rapport à la solution qui consisterait à ne rien faire. Mais, parallèlement, la nécessité de piloter son organisation la conduira à mesurer précisément l’atteinte de l’objectif « qualité », sous forme d’un ou plusieurs indicateurs physiques (tels que l’indice qualité, les enquêtes de satisfaction client…). En conclusion, la valeur est toujours un objectif mesurable, pas seulement avec des indicateurs financiers, mais aussi physiques.
La nécessité d’un second outil : le plan de gains d’un projet SI
Dès lors, le plan de gains n’est plus nécessairement constitué des seules recettes financières prévisionnelles, estimées dans un nouveau projet système d’information, mais, si nécessaire, des rubriques constituées d’indicateurs physiques, qui seront considérés comme les outils de mesure des avantages attendus de la réalisation du projet.
Plan de gains = ensemble des indicateurs financiers et/ou physiques mesurant les avantages attendus de la réalisation du projet SI.
Dans notre ouvrage Le contrôle de gestion du SI, paru chez Dunod en 2012, nous avons tracé un modèle résumant notre perception du rôle du système d’information dans la création de valeur (voir schéma ci-dessus).
Ce modèle obéit à quelques principes simples et de bon sens :
• indépendamment de la plus ou moins grande difficulté à mesurer la rentabilité prévisionnelle d’un projet SI, celui-ci a toujours un coût qui doit impérativement être évalué,
• l’optimisation des processus métier existants dans l’entreprise conduit, dans la plupart des cas, soit à réduire les coûts, soit à générer du chiffre d’affaires : il n’y a alors aucune contre-indication à estimer, à l’aide d’une approche financière (VAN, payback…), la rentabilité de tels projets,
• les projets SI porteurs d’innovation répondent à deux objectifs : soit l’amélioration de la satisfaction du client interne (les directions métier) ou mieux celle du client final, sur un segment stratégique existant, soit la création d’un nouveau segment stratégique, dans lequel l’information s’identifie au produit lui-même ou contribue fortement à créer un avantage concurrentiel décisif :
~ la création de valeur revêt alors de nombreuses facettes : meilleure information du client final, fidélisation, conquête de nouveaux clients, aide à la prise de décision en interne…
~ il n’y a alors pas de contre-indication à considérer que la rentabilité financière ne peut pas être complètement cernée et qu’elle peut être utilement complétée par la mise en avant d’indicateurs physiques, tels qu’une qualité de service, un délai, une fiabilité de l’information… meilleurs que la concurrence,
~ la DSI porte alors à la connaissance de la direction générale le maximum d’éléments susceptibles d’éclairer sa décision, charge à cette dernière de se les approprier au moment de prendre sa décision, au vu de critères qui ne seront plus uniquement financiers.
Cet article a été écrit par Jacques Nau et Christophe Legrenzi (PDG du cabinet de conseil Acadys), auteurs de l’ouvrage Le contrôle de gestion du SI, méthodes et outils pour la maîtrise des coûts informatiques (Dunod, 2012, 240 p.)